Retour sur le Premier numéro de la Pêche et les Poissons :
C’est en Juin 1935 qu’est sorti le premier numéro de votre magazine préféré. Il en a coulé, de l’eau sous les ponts, depuis…
Ceux qui ont fait le calcul avec le nombre de numéros se rendront compte d’une anomalie. En effet, la publication s’est arrêtée entre mai 1940 et Juillet 1946, pour cause de conflit mondial.
Elle redémarre ensuite comme nouvelle série, c’est-à-dire à partir du numéro un. Il a fallu une longue enquête de nos équipes pour mettre la main sur le « vrai » premier numéro, celui de 1935, mais nous l’avons finalement trouvé grâce à l’aide d’un libraire spécialisé en livres anciens. En voici quelques morceaux choisis…

Organe de presse
Dès le début, la Pêche et les Poissons est conçue comme un véritable organe de presse visant à promouvoir la communication autour de la pêche, et à organiser le loisir en véritable lobby influençant les pouvoirs publics.
« Notre journal marque le début d’une campagne qui doit aboutir au regroupement de tous les intéressés : pêcheurs, commerçants, fabriquants, officiels ». Apprend-on dès les premières lignes.
De nombreux politiques et officiels y ajoutent quelques mots, tous dithyrambiques sur la pêche.
On est à la veille des premiers congés payés, et le tourisme commence tout juste son essor… Un parallèle intéressant avec la situation actuelle où ce fameux « lobby de la pêche » peine toujours à se former. Mais où l’on voit des signes encourageants avec des regroupements d’acteurs tels que le récent salon de Nantes.

Cette bonne recette de chènevis devrait être encore valable aujourd’hui… Olivier Wimmer ne dirait pas le contraire. Mais on remarque qu’à l’époque, le chènevis était l’objet de critiques, jugé trop meurtrier. Leurre, asticots, sondeur, live scope… chaque innovation d’un temps ou technique efficace a toujours ses détracteurs.
Pour ou Contre
Dès l’édito, les termes sont posés, avec une ligne éditoriale marquée :
La Pêche et les poissons interviendra énergiquement dans toutes les questions touchant à l’existence même de la pêche. Elle sera donc toujours contre la pollution des eaux, contre le braconnage, la vente et la circulation du poisson en temps prohibé, contre tout permis de pêche et toute taxation des pêcheurs. Pour la liberté de la pêche, pour le respect du droit de circulation des pêcheurs, pour le réempoissonnement obligatoire par les adjudicataires des lieux de pêche, pour que la préférence soit donnée aux sociétés de pêche dans les adjudications. La pêche et les poissons veut être l’organe vivant de la pêche.
Certaines idées sont encore d’actualité, d’autres non. Si le journal s’est construit contre un permis de pêche aujourd’hui accepté par tous, l’esprit est resté : défense des milieux aquatiques contre pollutions et braconnage, opposition à des dérives et taxations abusives, pour que la pêche reste un loisir de liberté. Et force est de constater qu’en France, contrairement à d’autres pays, cela a plutôt bien fonctionné. Globalement, la pêche est restée un loisir accessible à tous, et praticable presque partout. Quel dommage que concernant l’environnement, la sonnette d’alarme tirée dès 1935 par notre magazine n’aie jamais été écoutée…
« A vous tous, bonne pêche » conclut l’édito. Autre temps, autres superstitions…
Articles variés
Le magazine de 1935 fait déjà étalage de rubriques variées. Des tribunes libres, articles techniques, actualités… Un magazine très moderne, en somme.

Les billets d’humour sont déjà présents dans le premier numéro. Pas encore les BD de la Vandoise, quand même… il faudra attendre une quarantaine d’années pour cela !
Un Philosophe au bord de l’eau
Jean Nohain, parolier célèbre et futur pionnier de la TV, écrivit des chroniques dans notre magazine. En voici la toute première, extraite du premier numéro. Vous reconnaitrez la plume de Jean Nohain, future star du petit écran…
« J’allais autrefois, tous les samedis, faire la mise en page d’un petit journal dans une petite imprimerie et je rencontrais là trois jeunes typographes avec lesquels nous parlions de nos projets pour le dimanche.
- Moi, disait Alfred, demain je vais aux courses. Ça n’est pas que j’aie un tuyau, mais, sur le papier, Folle Cavale et Laridondaine doivent être là. Et puis, c’est Jakson qui monte la pouliche de la baronne Kaspik dans la troisième, alors, il faut que je voie ce que ça va donner…
– Moi, disait Léontin, je pré- fère m’occuper de sport, de vrai sport. C’est plus sain. Alors j’em- mène ma femme à la huitième de finale de la Coupe d’Asnières : Barbizon contre Folkestone… Avec Julot de Bezons comme demi et P’tit Fred comme gardien de but, il y aura du sport… Tu ne viens pas, Lucien ?…
Mais Lucien refusait doucement : Non, merci, disait-il, moi, demain, je vais à la pêche…
Le lundi, je les revoyais tous les trois au travail. Alfred m’expliquait pendant une heure, avec une extraordinaire volubilité, qu’il avait « failli gagner » dix-sept cents francs (et cinquante centimes). En fin de compte, il s’en tirait avec trente-deux francs de déficit mais si le terrain avait été moins sec et si Jackson était revenu plus tôt sur le peloton, etc. Léontin, lui, avait fait du sport, du vrai. Assis sur son der- rière, en plein soleil, de 1 h. 30 à 6 heures et quart, il avait vibré dans le stade, plus que jamais : tellement vibré qu’on l’avait même un peu bousculé dans la foule, à l’entrée et à la sortie, et qu’il était encore tout fatigué des émotions de la journée. Quant à Lucien, il ne me disait rien, ou presque rien. Mais de temps en temps, je trouvais chez moi, de sa part, une petite friture…
C’est Lucien qui m’a initié, un jour, aux douces joies de la pêche. Le départ, au petit matin, à motocyclette sur la route fraîche et déserte… La recherche du petit coin propice… Les premières « encontres avec l’adversaire »… Le plaisir de ruser avec lui… La volupté incomparable de ramener adroitement une jolie pièce…
Et puis, le déjeuner sur l’herbe… La bonne sieste aux rêves reposants… Les petits bonjours et les signes d’amitié que l’on adresse aux « navigateurs », aux riverains, aux jeunes baigneuses souriantes…
Bien sûr, m’expliquait Lucien, bien sûr, je ne risque jamais de gagner dix-sept cents francs comme notre vieux turfiste d’Alfred, et s’il sait le pedigree de ses chevaux, j’ignore, moi, le nom de mes pois- sons et de leur propriétaire !… « Et les « exploits » que je peux accomplir ne me vaudront jamais la gloire d’un grand boxeur ou d’un coureur cycliste. «Mais je pense pourtant que le plaisir que je prends vaut bien le leur… En tout cas, je m’en satisfais pleinement – c’est le principal ! Et je pense qu’il présente un avantage sérieux sur tous les autres plaisirs, c’est que je ne dépends de personne pour en profiter !… »
Mon brave Lucien avait raison : la merveilleuse supériorité de la pêche à la ligne sur toutes les autres distractions, c’est qu’elle se pratique sans partenaire. Le pêcheur à la ligne est son maître… Pour pêcher à la ligne, il faut être un… avec quelques poissons, à la rigueur… Et c’est sans doute dans son paisible et charmant isolement que le pêcheur à la ligne a puisé sa sagesse et sa philosophie légendaires…
A une époque où tout le monde s’agite et où règne la machine trépidante, il est réconfortant de penser qu’il existe encore, tout au long des douces rivières de France, des dizaines et des dizaines de milliers de braves gens qui savent goûter en paix un plaisir simple et délicat…
Un jour, au fait, nous connaitrons peut-être la canne à pêche à moteur électrique, la pêche à « la chaîne et le trust des asticots ? En vérité, je ne le crois pas… Il y aura toujours, dans notre beau pays – heureusement! – des amis du calme, de la poésie et du bon sens. Il y aura toujours des Français il y aura toujours des pêcheurs à la ligne… » Jean NOHAIN.

Le Fishing Club a bien changé… Dès cette époque, ce nom était celui d’un groupe d’éminents pêcheurs. De quoi faire sourire les aficionados de ce talk-show halieutique sur Youtube.