Le dorado a longtemps été considéré comme un salmonidé à cause de sa forme et car il possède une nageoire adipeuse comme nos truites et autres saumons. Salminus brasiliensis ou Salminus maxillosus, en raison de sa bouche immense, est en fait un poisson de l’ordre des characiformes. Il peut atteindre de grandes tailles et dépasser un mètre de longueur pour un poids de plus de vingt-cinq kilos, et vivre une quinzaine d’années ! Des spécimens de plus de trente kilos ont été pris en Argentine et en Uruguay, dans l’immense rio Paraná, notamment.
Le tigre de la rivière
Il habite les eaux tropicales et subtropicales de certaines zones de l’Amérique du Sud, surtout dans les bassins des fleuves, donc du rio Paraná, rio Paraguay, Uruguay, ainsi que dans les rivières et affluents du Chapare, Mamoré ou Secure du bassin de l’Amazone en Bolivie. Une légende raconte que les premiers conquistadors, totalement obnubilés par la recherche de « l’El Dorado », pensaient qu’il prenait son incroyable couleur jaune doré en se frottant sur le fond des cours d’eau recouvert du métal précieux… Le dorado est un poisson puissant à la forte musculature en lien avec son habitat. En effet, il aime particulièrement les zones de courants et de rapides, même si on le retrouve dans certains dédales d’étangs et de marais comme ceux d’Ibera, au nord de l’Argentine. Sa tête est très grande, jusqu’au quart de la longueur totale de la bête et surtout de forme conique. La gueule béante est ornée de fortes dents coniques et atteint la moitié de la tête ! Cette partie de sa morphologie n’a donc plus rien à voir avec nos salmonidés ! Il est souvent surnommé « el tigre del rio », le tigre de la rivière car c’est un chasseur vorace et ses attaques sont souvent violentes. Il est quasi exclusivement piscivore et aime beaucoup les « sabalos » une espèce ressemblant un peu à nos hotus et qui paie un lourd tribut à notre tigre doré ! Le dorado migre régulièrement vers l’amont des fleuves et rivières de son habitat, poursuivant ses proies favorites qui se rassemblent en bancs immenses pour frayer. Il en fait de même pour sa propre reproduction pendant les mois de printemps austral (octobre et novembre) et remonte parfois loin vers les sources lors d’une migration connue sous le nom de « Piracema ». Ce phénomène profite notamment aux lodges de l’organisation de pêche à la mouche Tsimane, située en Bolivie, sur le rio Secure et ses affluents.
Hameçons renforcés
Plusieurs mâles courtisent et suivent alors la même femelle. Lors de ce rituel d’approche, les individus sautent hors de l’eau, et il est alors facile de les repérer et de les observer. La fécondation est externe, la femelle pondant jusque 200 000 œufs en une seule fois. L’espèce ne surveille pas les œufs, déposés dans des endroits d’eau vive. La maturité sexuelle est atteinte la seconde année chez les mâles et la troisième chez les femelles. Les jeunes s’alimentent surtout de crustacés et d’insectes. Il n’est pas rare de prendre des sujets d’un à trois kilos en sèche avec des mouches type « tchernobyl ant » ou de petits poppers, par exemple. J’ai vu également quelques gros individus pris en surface sur des ersatz de cafards géants sur hameçons 4/0 ! Le dorado est de toute façon un superprédateur et il ne dédaigne pas croquer un oisillon tombé d’un nid, un insecte géant ou un rongeur imprudent… Au niveau de la pêche, je recommande une canne en soie de dix pour les destinations à gros poissons ! Une soie de huit est suffisante pour les zones mixtes où possédant une forte population de juvéniles d’un à quatre ou cinq kilos. Le dorado est un bon combattant, mais utilise beaucoup d’énergie dans ses sauts en dehors de l’eau et n’a pas la puissance d’un peacock bass qui va essayer de rentrer dans sa cache. Mais comme nous devons lancer de grosses bouchées en 4/0 voire 6/0, du genre imitations de petits poissons de quinze à vingt-cinq centimètres, la canne doit avoir une bonne réserve de puissance et être plutôt d’action de pointe. Les mouches à brochet montées sur des hameçons classiques ne conviennent pas et risquent de s’ouvrir. Il faut du solide pour l’impressionnante mâchoire de notre tigre d’eau douce. Les artificielles destinées aux carangues ignobilis type « brush fly » ou « EP fly » (Enrico Puglisi) et donc montées sur des Gamakatsu et autre Tiemco 600SP sont parfaites !
Deux mètres de 40 livres et de l'acier
Comme pour les prédateurs marins, il faut d’ailleurs le ferrer à la soie la canne basse et dans l’axe de la ligne sous peine de tous les décrocher… La soie doit être tropicalisée car il fait souvent chaud lorsque l’on traque le Dorado ! Une soie classique se transforme vite en spaghetti trop cuit ! Bien sûr le profil doit être bien chargé vers l’avant, j’aime beaucoup la série « Grand Slam » et « Sonar Titan » de chez Scientific Anglers, par exemple, les modèles pour le tarpon ont aussi les qualités requises. La plupart du temps, les lignes flottantes suffisent, mais lorsque l’on pêche les grandes rivières et les cours d’eau teintés, une intermédiaire, voire une pointe plongeante est un plus. Le bas de ligne doit être simple. Deux mètres de quarante livres sur lequel on noue, grâce à un nœud « Albright », un brin d’acier multibrins d’une cinquantaine de centimètres également en quarante livres et le tour est joué ! Un bon moulinet large arbor fiable complète la panoplie même si, normalement, on ne se retrouve pas sur le backing car les combats se mènent tout en puissance. Maintenant, reste la pêche en elle-même qui peut être bien différente suivant la destination…
Repérer les lingots d'or
La plus belle, la plus intense est celle que l’on pratique à vue dans des cours d’eau clairs qui ressemblent à s’y méprendre à des rivières à truite, hormis la végétation un peu trop luxuriante. On retrouve cela sur quelques affluents du nord de l’Argentine et surtout dans la jungle Bolivienne. Repérer un lingot d’or d’une dizaine de kilos en poste devant un bloc, le voir surgir sur son streamer et l’engamer violemment a quelque chose de jouissif pour les pêcheurs de salmonidés que nous sommes ! Malheureusement, très peu d’endroits dans le monde permettent cette expérience unique et cela a donc un prix élevé… Ensuite, de nombreux cours d’eau en Uruguay et même au Paraguay possèdent des populations de dorados et certains ont des eaux claires. Ces deux pays sont nettement moins connus et la pêche de ce poisson y est moins développée. Les grands fleuves, comme, encore une fois, le Paraná, offrent un tout autre biotope, mais restent très intéressants pour le pêcheur à la mouche grâce aux marais et nombreux bras formés par ces autoroutes liquides. Les plus gros individus vivent ici, notamment sous les énormes barrages construits sur le Paraná et qui constituent une catastrophe écologique en empêchant la migration pour la reproduction de cette espèce, mais créent aussi d’énormes concentrations de poissons. L’endroit de ce type le plus connu est nommé « la Zona », à Concordia, en Argentine. Sous cet énorme barrage se prennent régulièrement des spécimens entre vingt et plus de trente kilos !
Les barrages le mettent en danger
L’espèce était en danger il y a une vingtaine d’années, suite la surpêche commerciale effectuée dans les années 1980 et 1990 et la construction de barrages hydroélectriques. Le gouvernement argentin a donc décidé en 2005 de la classer « poisson d’intérêt national ». Une loi a renforcé la conservation du dorado qui se porte mieux aujourd’hui, mais peine à retrouver ses populations d’antan, surtout à cause des immenses barrages qui interrompent les flux migratoires pour la reproduction… Le dorado est un poisson fantastique qu’il me tarde franchement d’avoir la chance de traquer à nouveau. La sauvagerie presque primale de cette gueule conjuguée à la beauté picturale de sa livrée d’or en fait un adversaire unique en eau douce. Un mythe vivant pour tous les conquistadors halieutiques dont je fais partie. « Viva el tigre del rio » !