La question de la pêche nocturne peut concerner toutes les pratiques, qu’il s’agisse des pêches au coup, de carnassiers ou de salmonidés.
La réglementation générale limite aujourd’hui l’activité après la tombée du jour, mais les usages évoluent : la montée en puissance de la carpe hier, comme celle du silure aujourd’hui, illustrent notamment ces changements.
La question est donc moins de savoir s’il faut tout ouvrir que d’examiner comment ce cadre peut évoluer ou non, en tenant compte des différents contextes.
En France, la pêche de nuit en eaux douces est interdite par l’article R. 436-13 du Code de l’environnement, qui stipule que « la pêche ne peut s’exercer plus d’une demi-heure avant le lever du soleil, ni plus d’une demi-heure après son coucher ».
Il existe toutefois plusieurs exceptions qui seront précisées plus loin. Cette règle contraste avec le domaine maritime, où la pratique nocturne est autorisée.
Sur les eaux intérieures, la nuit reste donc soumise à un régime de méfiance, les contrevenants risquant amendes et confiscation du matériel. Cette interdiction s’explique par un ensemble de facteurs combinés. Elle répond d’abord à une logique écologique : la nuit correspond à des moments clés pour de nombreuses espèces, notamment la reproduction, et l’interdiction vise à réduire toute perturbation.
Elle répond aussi beaucoup à des considérations de contrôle, l’obscurité compliquant la surveillance et favorisant le braconnage comme les dérives en tout genre. À cela s’ajoutent des enjeux de sécurité : de faible visibilité, risques liés à la navigation et dangers accrus de chute ou de noyade rendent la pratique plus périlleuse.
Enfin, cette méfiance s’enracine aussi dans la culture halieutique française : contrairement à la mer, où la pêche de nuit est une pratique ancienne et intégrée, les eaux douces n’ont jamais développé de tradition comparable, ce qui explique en partie la réticence persistante des autorités.
Exceptions et dérogations
Si l’article R. 436-13 pose une interdiction générale, le texte suivant prévoit plusieurs exceptions. Certaines concernent les pêcheurs professionnels ou ceux utilisant engins et filets, mais d’autres visent directement les pêcheurs à la ligne.
Le préfet peut ainsi, par arrêté, autoriser la pêche de la truite de mer du lever du jour jusqu’à deux heures après le coucher du soleil dans certains cours d’eau réputés pour l’espèce, comme la Touques, où pêchait Gaël Even dans notre numéro de septembre 2025.
Il peut aussi permettre la capture des aloses, du flet, des lamproies et du mulet deux heures avant le lever et jusqu’à deux heures après le coucher du soleil dans les eaux appartenant à l’État. Pour les aloses et lamproies, la réglementation va plus loin en autorisant leur pêche de jour comme de nuit dans les zones visées par l’article L. 436-10, c’est-à-dire, pour simplifier, à proximité de la limite de salure des eaux.
La dérogation la plus connue reste toutefois celle des parcours de pêche de nuit réservés à la carpe : le préfet peut autoriser sa capture « à toute heure », mais seulement sur certaines portions de cours ou plans d’eau de deuxième catégorie et pour des périodes déterminées.
Enfin, dans les eaux closes et privées, la pêche de nuit est libre dès lors que le propriétaire l’autorise. C’est notamment le cas dans certains carpodromes où les pêcheurs au coup pratiquent alors avec des flotteurs lumineux.
We have a dream ou la tentation de la nuit
Tel est donc l’état actuel de la réglementation. Rien n’empêche toutefois de laisser vagabonder l’esprit pour imaginer les perspectives qu’ouvrirait la pêche de nuit en eaux douces. Les premiers bénéficiaires seraient sans doute les passionnés de silure, poisson aux mœurs résolument nocturnes.
Le sandre, dont la vision est favorisée dans l’obscurité et les eaux troubles, deviendrait lui aussi plus accessible aux pêcheurs de carnassiers.
Les carpistes, friands de longues sessions au bord de l’eau, verraient leur terrain de jeu largement élargi et pourraient exploiter davantage de parcours.
Quant aux pêcheurs au coup, à la grande canne ou au feeder, très nombreux mais souvent oubliés des réflexions sur l’évolution de la réglementation, ils profiteraient pleinement de l’activité nocturne de nombreux cyprinidés.
Je pense ici notamment à ce magnifique poisson qu’est la tanche, particulièrement active et toujours prompt à se rapprocher du bord quand la luminosité baisse. Les pêcheurs de salmonidés en rivière ne seraient pas en reste : ils jouiraient en toute légalité de coups du soir et du matin beaucoup plus étendus, et découvriraient sans doute que les plus beaux spécimens n’hésitent pas à s’alimenter dans l’obscurité.
Enfin, on peut imaginer l’intérêt d’une telle ouverture pour la pêche en lacs d’altitude : ombles chevaliers et cristivomers, poissons aux habitudes crépusculaires et nocturnes, deviendraient alors bien plus faciles à prendre. Finies les 4 h de marche pour 30 min de coup du soir et 2 h à l’aube : la nuit entière pourrait leur être consacrée.

Est-il pertinent d’ouvrir plus largement la pêche de nuit ?
À première vue, les arguments qui fondent l’interdiction de la pêche nocturne en eaux douces pourraient sembler réversibles. Après tout, les mêmes préoccupations – sécurité, contrôle, protection des milieux – existent en mer, où la pêche de nuit reste pourtant permise, alors même que les risques y sont souvent plus élevés.
En réalité, la différence tient à la nature des milieux et à leur mode de gestion.
Les plans d’eau et rivières intérieures, par définition limités, sont plus vulnérables aux pressions de pêche et au braconnage que l’immensité maritime.
Seuls quelques grands fleuves ou lacs échappent partiellement à ce constat. À cela s’ajoute une gestion très locale : les AAPPMA, qui financent l’empoissonnement ou la restauration des milieux mais disposent de moyens humains limités, restent assez logiquement prudentes, voire opposées à une ouverture nocturne généralisée.
De surcroît, la question des baux de pêche est aussi essentielle : toutes les associations n’en disposent pas sur l’ensemble des secteurs qu’elles gèrent, et beaucoup de propriétaires privés, déjà hésitants, seraient sans doute encore plus réticents à céder leurs droits si la pêche de nuit était autorisée, invoquant nuisances et risques accrus.
L’exemple des parcours carpe de nuit, en place depuis plusieurs années, illustre cette complexité. S’ils ont rencontré un succès certain, ils ont aussi révélé des dérives : déplacements de spécimens, dégradations des berges ou encore nécessité de recourir à des outils numériques pour gérer les réservations.
Enfin, une autre interrogation mérite d’être soulevée : la généralisation de la pêche nocturne ne risquerait-elle pas de modifier le comportement des poissons ?
Les coups du soir et du matin, si prisés pour leur intensité, perdraient sans doute de leur singularité si la nuit entière devenait accessible.

En ville, l’éclairage urbain offre un cadre parfait pour la pêche de nuit. A partir du passage à l’heure d’hiver, celle-ci est souvent la seule option pour les pêcheurs qui veulent pratiquer leur passion en sortant du travail.
Comment surmonter l’interdiction ?
L’ouverture plus large de la pêche de nuit ne peut pas se réduire à un simple alignement sur le modèle maritime. Elle suppose de peser soigneusement les bénéfices pour les pratiquants et les gestionnaires, mais aussi les risques pour les milieux aquatiques, en tenant compte de la diversité des contextes locaux. Concrètement, deux pistes d’évolution sont envisageables : une ouverture ciblée par espèces (silure, sandre, cyprinidés…) ou bien par créneaux horaires élargis (par exemple soirée prolongée et début de nuit).
Quelle que soit l’option retenue, le chemin sera long. Toute modification passe par une révision du Code de l’environnement, en particulier de l’article R. 436-14 qui définit aujourd’hui les exceptions.
L’initiative doit d’abord émerger des pêcheurs eux-mêmes, idéalement dans un esprit d’unité entre disciplines – souvent plus promptes à s’opposer qu’à s’entraider – avant de remonter vers les AAPPMA puis les fédérations départementales.
Toute demande devrait ensuite être validée par la FNPF, qui la porterait auprès des décideurs politiques. Ceux-ci s’appuieraient sur une expertise scientifique et sur le précédent des parcours carpe de nuit pour mesurer avantages et dérives pour éventuellement envisager des modifications.
par Thierry Bruand
Dossier complet dans le numéro 962