Texte et photos Fabrice Chassaing

Le genre Salmo englobe toutes les truites natives du continent européen. Salmo trutta, la célèbre fario, est une seule et unique espèce mais sa grande faculté de spécialisation et d’adaptation, associée aux nombreux bouleversements géologiques et climatiques qu’a pu connaître l’Europe depuis 10 millions d’années, ont multiplié les particularités génétiques d’une région à une autre du vieux continent. On retrouve cette capacité de la truite fario à exprimer des caractéristiques très différentes suivant le milieu où elle vit chez la splendide truite de l’âge de glace, qui forme une sous-espèce à part entière : Salmo trutta urridi.

Une truite anadrome enfermée en eau douce

L’ancêtre de la truite de l’âge de glace (Ice age brown trout en anglais) était une truite fario anadrome, une truite de mer, jusqu’à il y a environ 10 000 ans c’est-à-dire la fin des dernières grandes glaciations. D’ailleurs, urridi signifie truite de mer en islandais. Par la suite, le recul des glaciers et l’activité volcanique intense ont rendu impossible la circulation entre l’océan et le lac Þingvallavatn. Piégées dans ce milieu immense (le lac Þingvallavatn est le plus grand lac naturel d’Islande), les truites ont su s’y adapter en développant des caractéristiques très particulières.

Dans un seul lac au monde

La truite de l’âge de glace vit exclusivement sur le vaste lac Þingvallavatn dans le sud-ouest de l’Islande. Sur cette île où lacs et rivières ne couvrent que 2% de la surface du pays alors que les glaciers en couvrent 10%, le Þingvallavatn fait figure de géant. Il affiche 8300 hectares et monter au sommet de l’Alþingi, le meilleur point de vue sur le lac, ne suffit pas pour apercevoir la rive opposée.

Isolé au beau milieu de l’Atlantique Nord, entre l’Écosse et le Groenland, l’Islande émerge sur la dorsale de plaques qui traverse toute l’île, et les manifestations de l’activité volcanique sont donc nombreuses : sources naturelles d’eau chaude, geysers, failles éruptives ou encore volcans dont plus d’une centaine sont encore actifs…

L’Islande une île isolée

La visibilité des eaux de ce lac est spectaculaire. En atteignant parfois jusqu’à 100 mètres et plus, elle offre des conditions exceptionnelles. Aussi les pêcheurs seront-ils impressionnés en voyant les fissures et failles des fonds du Þingvallavatn qui descendent jusqu’à – 115 mètres.

Aussi rare que magnifique

La truite de l’âge de glace atteint régulièrement 20 voire 30 livres dans ce lac mais en général, la taille moyenne des captures s’établit entre 2 et 4 kg. Elle est massive et puissante. Sa robe argentée, brillante est ponctuée de très nombreux points noirs sur le dos, les flancs et le ventre. La dorsale présente, elle aussi, quelques taches noires plus discrètement marquées. Sa large queue grise, toujours très droite, est ourlée d’une bande plus claire à son extrémité. Sa grande bouche, largement fendue, est fortement dentée : pas de doute, c’est une grande prédatrice. Mais que mange-t-elle  ? 

Truite mangeuse d’ombles

L’écologie et le comportement de cette truite sont dictés par les caractéristiques très particulières du lac où elle vit. À commencer par ses sources de nourriture. En effet, outre la truite, le Þingvallavatn n’abrite que 5 autres espèces de poissons : l’épinoche à trois épines (Gasterosteus aculeatus) et quatre morphotypes d’ombles arctiques (Salvelinus alpinus) ayant développé des différences anatomiques importantes (notamment au niveau des formes de mâchoires qui se sont adaptées aux conditions d’alimentation) au fil des siècles et de l’évolution. Salvelinus alpinus  kuðungableikja et S. alpinus sílableikjaatteignent régulièrement le poids de 5 à 6 livres mais leurs cousins S. alpinus murta et dvergbleikja dépassent rarement les 20 à 25 centimètres. Ils sont donc, avec l’épinoche, régulièrement la cible de notre Ice age brown trout et expliquent probablement son fort taux de grossissement. Pour autant, comme toutes les truites, notre grande mouchetée islandaise ne négligera pas les insectes et leurs larves lorsqu’ils se présenteront en fonction des saisons.

« Au mois de mai, on cherche cette truite en wading en s’avançant dans l’eau. Et pour cause : seule la pêche du bord est autorisée. »

La maturité sexuelle n’est atteinte que très tardivement, à des âges compris entre 5 et 8 ans, et il a déjà été capturé des individus de 10 kgs qui n’étaient pas encore sexuellement matures. On sait aussi que cette truite ne fraye pas chaque année mais tous les 2 ou 3 ans seulement. Les années sans reproduction sont celles où la prise de poids est la plus importante (jusqu’à 3 kg de croissance chez certains sujets). Presque la totalité des eaux du lac proviennent de sources qui percolent dans les roches volcaniques et sont ainsi à une température stabilisée autour de 3 à 5 °C. Cette stabilité favorise probablement le grossissement des truites en optimisant leur métabolisme.

Pêcher la truite de l’âge de glace

Sur une grande partie de sa superficie, la profondeur du Þingvallavatn est comprise entre 40 et 100 mètres. Les truites de l’âge de glace y passent une grande partie de leur existence et s’y gavent de petits ombles. Pourtant, chaque printemps, sans que l’on sache expliquer pourquoi avec certitude (peut-être attirées par les alevins d’ombles récemment éclos), ces truites géantes se rapprochent des rivages pendant quelques semaines. La pêche est ouverte du 15 avril à septembre mais c’est clairement au mois de mai que cette mini-migration prend tout son essor, ce qui est déterminant car toute pêche bateau, même en float tube, est interdite.

Seules trois techniques de pêche sont autorisées. On se demande bien sur quelle logique, car ce sont la pêche à la mouche, la pêche aux leurres et la pêche au ver de terre qui sont légales. Il semble que cette réglementation vise principalement à interdire l’utilisation et l’introduction d’appâts divers et notamment d’origine marine dans les eaux du Þingvallavatn.

C’est la pêche au leurre qui est la moins pratiquée ici, tout simplement parce qu’elle apparaît comme la moins productive. Par goût, je l’ai mise en œuvre pendant des dizaines d’heures avec mes plus beaux poissons nageurs, et force est de constater que les résultats ne sont pas proportionnels à l’effort de pêche. Cependant, j’ai capturé une de mes plus belles Ice Age Brown Trout avec un de mes leurres fétiches pour la pêche des truites : un petit et discret suspending de 7 cm, le Duel Minnow 3D. Son coloris très naturel est, à mon sens, déterminant lorsqu’on pratique dans des eaux aussi limpides. Le fantasque X 80 Trick Darter Megabass a également connu le succès.

La pêche à la mouche est très pratiquée. Pas question de sèche, il s’agit de pêcher avec des nymphes ou des streamers. Les moucheurs progressent en waders jusqu’à la taille afin de pouvoir projeter leurs imitations dans des profondeurs de 2 à 4 mètres. Lors de mes expériences, les streamers de taille modeste (3 à 4 cm) peu fournis et blancs, avec une pointe de vert chartreuse en tête, avaient la faveur des poissons.

La pêche au ver, certes beaucoup moins prestigieuse aux yeux de certains, n’en reste pas moins très productive. Placer plusieurs gros vers de terre sous un flotteur dans une zone où circulent les truites est un moyen aussi simple qu’efficace pour les capturer. 

Quelle que soit la technique de pêche choisie, il ne faut pas chercher les truites près du fond. Elles se tiennent systématiquement dans les couches d’eau superficielles, le plus fréquemment entre 1 et 2 mètres sous la surface. On les voit d’ailleurs souvent se manifester par des sauts ou des marsouinages plus que par des gobages. Il est judicieux de s’appuyer sur ces manifestations de surface pour choisir les zones que l’on va prospecter car les truites ne sont pas partout autour du lac mais semblent se rassembler sur certaines zones.

Retrouvez notre article sur les truites Fario : https://peche-poissons.com/mouche/mouche-biologie-environnement-linstinct-territorial-chez-les-truites-fario-960577-php/

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