Portrait de Daniel Mestrot, le Maestro

A sa manière, c’est un chef d’orchestre, savoir mener la plume et le crayon, l’art de fusionner ces deux disciplines qui sont tellement complémentaires aux yeux d’un grand nombre de pêcheurs. Daniel est un artiste, un vrai, je vais vous le démontrer, ou plutôt les images parleront d’ellesmêmes. Je suis allé à sa rencontre, au fin fond du Pays basque souletin, non loin de Mauléon avec les Pyrénées en arrière-plan, bref, le plus beau pays du monde ! Bien évidemment en toute objectivité, je suis impartial j’habite dans le Labourd… En deux phrases, j’ai perdu géographiquement tous les lecteurs qui ne connaissent pas le Pays basque, vous tapez « plus beau pays du monde » dans un moteur de recherche et vous pourrez situer les lieux ! C’est donc au pied de ces montagnes pyrénéennes que j’ai eu la chance de partager de bons moments avec cet artiste et m’imprégner de son univers, dans son atelier mais également sur l’eau.

L'antre du créatif

Un musée, une caverne d’Alibaba, une collection, c’est un peu tout en même temps, Daniel possède une multitude d’objets souvent anciens liés à la pêche et aux débuts de la pêche à la mouche ou au leurre. Des objets parfois loufoques et humoristiques, c’est sûrement une source d’inspiration ou une façon de vivre au quotidien au contact de sa passion pour l’univers de ce sport qui hante son esprit jour et nuit. Tout dans son atelier est référence à la pêche et, bien sûr, au dessin. Dans la même pièce, il peut monter des mouches à bass et à brochet mais aussi dessiner à l’encre de Chine ou peindre en pastel. Au milieu d’autres objets divers posés sur une étagère, un livre ou plutôt un auteur fascine Daniel, Enki Bilal. Cet artiste polyvalent d’origine yougoslave réalise, entre autres, des bandes dessinées dans un style inimitable avec une grande maîtrise des traits du visage humain. Une source d’inspiration parmi tant d’autres pour ce dessinateur pêcheur, ou pêcheur dessinateur, on ne sait plus trop, Daniel est en perpétuelle recherche créative, il expérimente certaines choses et essaie toujours d’évoluer dans sa pratique du dessin. Cette recherche permanente lui donne l’inspiration et enrichit son style qui est déjà bien en place et reconnaissable. Il représente sa passion à sa manière avec cette façon, ou plutôt ce style de dessiner les poissons avec un œil très imaginaire comme un conte féerique, les poissons sont mécaniques et dotés d’engrenages et de pièces métalliques.

Lorsque Daniel dessine ce genre de scène irréelle, cela donne une dimension poétique et une vision de notre monde que je trouve assez juste, nous pourrions nous poser certaines questions et y réfléchir en observant les dessins du Maestro. La technologie n’a-t-elle pas altéré la vision de notre passion ? Les poissons ne sont-ils pas la pièce maîtresse de cette usine ? Le pêcheur moderne ne s’éloigne-t-il pas des fondamentaux et de ses instincts primaires au profit de la technologie ? Autant de réflexions et de remises en question transpirent de ces magnifiques dessins, c’est quelque part l’ADN de Daniel qui aime remuer certains sujets et tenter de faire bouger les lignes. Ce n’est pas toujours le but recherché par le dessinateur, qui aime cette esthétique et cette association improbable de la nature avec la création humaine froide et métallique mais, inconsciemment, Daniel a des choses à dire. C’est bien connu qu’au Pays basque, nous avons des choses à dire ! Lorsque le dessinateur s’assoit sur sa chaise devant sa table, la plume et l’encre de Chine en place à sa droite, les crayons de couleur face à lui et sa feuille de papier de grande qualité bien disposée, Daniel devient une personne différente. Beaucoup de concentration, un geste précis et efficace, le Daniel bavard et blagueur est estompé par le Daniel perfectionniste et minutieux, j’ai pu rapidement me rendre compte de sa grande maîtrise du trait et son expérience dans cet exercice. Comme si le dessinateur sublimait le pêcheur ou tout simplement l’homme qu’est Daniel, généreux et créatif.

Daniel le moucheur

Pêcheur de bass de la première heure aux côtés de Franck Rossman, un ami de longue date donc pour Daniel, cet amoureux des belles choses a choisi la canne à mouche comme instrument de plaisir. À l’occasion, il fait quelques infidélités à la belle en soie pour manier le fleuret à l’américaine afin de skipper un jig sous les frondaisons à la recherche d’un bass plus discret. J’ai eu la chance de partager quelques sessions de pêche avec le Maestro, et je dois dire que la rigolade est au rendez-vous, un peu de moquerie mutuelle ne fait pas de mal et donne le ton pour la journée de pêche. Daniel maîtrise la plume et la soie, j’aurais tendance à dire, pour trouver une formule poétique à ses passions, et le résultat est toujours d’une beauté saisissante. Lors de notre première session ensemble, l’objectif du jour est de chercher les brochets, Daniel canne à mouche en main et, pour ma part, canne à leurre. L’occasion de se moquer du leurriste n’a pas tardé avec un premier poisson pour le Maestro après cinq minutes de pêche. Heureusement pour moi, un petit poisson – pour ma défense je prenais des photos lorsqu’il eut la touche ! Évidemment, le pêcheur que je suis a comme objectif de prendre rapidement un poisson sur le terrain de jeu de Daniel, il faut vite sauver la face avant qu’il ne prenne le large, autrement dit la journée allait être compliquée pour moi, simple leurriste !

Beau poisson à l'épuisette

Après un poisson manqué pour ma part, la pression monte, Daniel ne manque pas de se moquer. Une belle session de pêche comme j’aime, des poissons réactifs, une bonne ambiance et le résultat importe peu, c’est toujours ce que nous disons, nous pêcheurs, lorsque la réussite n’est pas au rendez-vous ! La main crispée sur la poignée de ma canne à l’annonce de Daniel qui vient de ferrer un beau poisson, là c’est officiel, la journée va être compliquée pour moi. Après un très joli combat, le Maestro met un poisson magnifique à l’épuisette, une robe incroyable, des reflets bleus, un très beau poisson pour un moucheur !

Trêve de plaisanteries, la journée a été magique avec un bon nombre de très beaux brochets pris et j’étais très heureux d’être en compagnie de Daniel qui a, encore une fois prouvé sa générosité et son sens de l’humour. Daniel en profite aussi pour faire un petit tour d’horizon sur les streamers qu’il utilise et réalise pour cette pêche du brochet; la taille utilisée n’est pas forcément grande. En écrivant cette dernière phrase, j’entends déjà Daniel répliquer « la taille n’a aucune importance… » pour citer une phrase qui revient souvent dans le débat entre l’homme et la femme, mais dans un autre domaine ! En effet, ses streamers ne sont pas forcément les plus grands en longueur mais gardent un très bon volume dans l’eau, ce qui est tout aussi important. Daniel a pu piquer de très gros brochets avec ses créations, le modèle a été testé et approuvé je dirais. Il emploie le même souci du détail lorsqu’il réalise des mouches ou streamers sur son étau, ses réalisations sont vraiment très sympas et, le plus important, ça pêche bien ! Daniel le « Maestro » est un vrai personnage attachant et passionnant d’une très grande sensibilité artistique, qui vit sa passion sans limite et avec une grande sincérité. Toujours soucieux de l’environnement dans lequel il pêche, c’est un amoureux de la nature, et ses dessins le prouvent bien. J’invite les pêcheurs et non pêcheurs à suivre son travail et peut-être un jour avoir la chance de rencontrer ce personnage ou, devrais-je dire, cet artiste qui met en valeur notre passion de la plus belle des manières.