Louper des touches parce qu’on a sa ligne à l’eau sans être concentré, les yeux rivés sur son téléphone, en train de bricoler sur le bateau ou occupé à écouter le copain, c’est arrivé à la plupart d’entre nous, et c’est d’autant plus frustrant quand il fait froid et que les touches de la journée se comptent sur les doigts d’une main. Dans ce cas, la majorité des pêcheurs se contente de pester et d’évoquer la malchance sans tirer de conclusion, mais pour Arnaud Landrieu c’est une grossière erreur. Rien n’est dû au hasard et si la touche est intervenue durant ce moment d’inattention, c’est un indice qu’il faut exploiter. Fort de ce constat et lors de journées où la pêche était dure, Arnaud s’est amusé à reproduire ces animations minimalistes ou en marquant de très longues pauses et il a rapidement obtenu des résultats assez surprenants.
Crédit photo : Julien Mathien
Des conditions difficiles
C’est à l’occasion d’un tournage de la série JPCV dans le Cantal et par un froid intense que j’ai eu le droit à une démonstration de pêche au ralenti par ce spécialiste. Nous sommes en décembre et dès la mise à l’eau, il me prévient que la pêche sera compliquée car les températures ont chuté de plus de dix degrés en moins d’une semaine, ce qui risque fort de caler l’activité des poissons. Nous recherchons les percidés et commençons par des méthodes classiques de pêche en linéaire puis à la verticale. Chacun opte pour des leurres souples de plus ou moins dix centimètres avec une tête plombée de plus de dix grammes pour dériver lentement juste au-dessus du fond dans les profondeurs où les carnassiers se tiennent, entre six et dix mètres d’eau. Les heures passent, quelques poissons montent jusqu’au bateau mais l’ajout d’un triple voleur sur les montages n’augmente guère notre ratio touches/poissons capturés.
Crédit photo : Arnaud Landrieu
Swimbait souple et attractant
Arnaud aime pêcher le brochet au leurre dur, et privilégie souvent cette option même quand il pratique sa méthode du swimbait mort manié. Mais il lui arrive également d’utiliser des swimbaits souples, dans ce cas il applique systématiquement un attractant sur le leurre. Ceux en crème sont parfaitement adaptés pour badigeonner vos leurres mais Arnaud vante surtout l’efficacité du Gulp slime, une poudre dans laquelle on trempe son leurre humide et qui au contact de l’eau forme une substance visqueuse et odorante similaire au mucus qui recouvre la peau des poissons.
Crédit photo : Julien Mathien
Jigging "crevé"
C’est le moment que choisit Arnaud pour m’annoncer qu’il va pêcher au jigging rap « crevé ». Je le regarde faire, un peu abasourdi. Il fixe son leurre à jigger puis le descend sur le fond, le soulève de cinq à dix centimètres et le soutien sans aucune animation, seule la dérive naturelle du bateau, ou celle contrôlée et maintenue au moteur électrique pour atteindre une vitesse d’un demi-kilomètre à l’heure, permet de faire vivre son morceau de plomb. Je me dis que c’est une nouvelle blague car Arnaud n’est pas le dernier quand il s’agit de taquiner ! Pourtant les touches ne tardent pas, elles sont franches, les poissons sont de taille modeste mais il les enchaîne les uns derrière les autres sans jamais animer son leurre. Il se contente simplement de reprendre contact avec le fond tous les dix à quinze mètres de dérive pour être certain de suivre le relief et procède de temps à autre à des petits relâchés de quelques centimètres pour faire vaciller le leurre, mais rien de plus. Je n’en reviens pas et demande quelques explications. Comment un leurre maintenu immobile alors qu’il est conçu pour être animé énergiquement peut-il engendrer autant de touches ? Arnaud m’explique que le peu de volume d’eau déplacé et l’ombre du leurre suffisent à attiser la curiosité des poissons apathiques sur lesquels nous passons depuis plusieurs heures. Ce minimalisme semble suffire à attiser la curiosité des sandres et perches, c’est même la technique à adopter car les animations agressives que je m’applique à réaliser avec le même leurre juste à côté ne me rapportent aucune touche. Je décide donc de copier bêtement la méthode et comme par magie, je capture mes premiers sandres dont le premier poisson maillé du jour.
Crédit photo : Julien Mathien
Lipless mort et lame non vibrante
Je ne suis pas au bout de mes surprises et maintenant que je m’applique à ne surtout plus animer mon jigging rap, Arnaud décide de changer de leurre car il n’est pas encore satisfait de nos résultats. Nous sommes sur la bonne piste mais il est sûrement possible de faire mieux ! Il fixe une lame vibrante sur son ensemble et me conseille de changer mon jig pour un de ses lipless. Je me dis que nous allons repasser sur une pêche plus active mais il n’en est rien. Il m’annonce tout sourire que nous allons refaire la dérive à la lame non vibrante et au lipless mort. Je suis à nouveau très dubitatif et pendant qu’il recale la dérive, Arnaud en profite pour me montrer comment évolue ce genre de leurre, non animé, sous quelques centimètres d’eau. Si les vibrations ne sont pas perceptibles dans la canne, on aperçoit cependant que le lipless comme la lame oscillent très légèrement avec l’avancée du bateau, Arnaud m’explique que ces vibrations infimes sont bien entendu ressenties par les carnassiers et qu’elles devraient être parfaitement adaptées aux conditions du jour. Une fois le bateau replacé en tête de dérive, nous laissons descendre les leurres. La méthode est la même qu’avec le jig, le bateau dérive à moins d’un kilomètre à l’heure et les leurres sont maintenus à moins de cinquante centimètres du fond. De temps à autre, nous procédons à des relâchés de faible amplitude en abaissant le scion de quelques centimètres et tous les quinze à vingt mètres, nous reprenons contact avec le fond pour bien suivre le dénivelé. Les touches s’enchaînent, perches et sandres montent au bateau dont quelques sujets de taille correcte et cette méthode qui me semblait impensable il y a quelques heures nous permet de réaliser une belle journée avec plus de soixante touches à deux et une trentaine de poissons au bateau.
Crédit photo : Julien Mathien
Swimbait sur le fond
Le lendemain, les conditions sont encore plus rudes, les températures sont négatives et c’est devant un lac de soixante hectares en partie gelé que nous nous présentons en début de matinée. Arnaud est confiant et me précise que nous aurons peu de touches mais que cela peut être de gros poissons. Nous sommes accompagnés de Céline sa compagne et c’est d’ailleurs elle qui capture les deux premiers brochets à l’aide d’un grub de dix centimètres prémonté, légèrement plombé, qu’elle anime très lentement près du fond. Arnaud me précise qu’il aime ce genre de leurre qui offre une nage très planante et se prête particulièrement aux pêches lentes et hivernales en eaux peu profondes. Pendant ce temps, nous varions les leurres et les présentations sans succès, des plus grosses bouchées aux plus petites, en passant par des modèles vibrants et ou à palettes. Arnaud annonce qu’il est temps de pêcher au swimbait mort manié. Il saisit son ensemble casting équipé d’un moulinet au faible ratio et prend soin d’ajouter un bas de ligne en titane avant de fixer un swimbait dur de vingt centimètres. Il le lance et le laisse se poser sur le fond avant de réaliser une à deux tirées courtes à la canne pour faire danser le leurre, puis le laisse à nouveau reprendre contact avec le fond tout en récupérant le mou dans la bannière pour accompagner la descente. Il marque des pauses extrêmement longues entre chaque tirée, parfois jusqu’à dix secondes.
Crédit photo : Arnaud Landrieu
Après quelques animations, il est stoppé net à la reprise et après un joli combat, notre pêcheur sort un superbe brochet de quatre-vingt-dix centimètres qui remotive toute l’équipe. Il descend un peu en taille de leurre et sélectionne un modèle dur de quinze centimètres. La lumière commence déjà à décliner et c’est dans le money time que le cantalou prend la dernière touche en décollant une énième fois son leurre du fond. Cette fois le combat est lourd et puissant, et le gros poisson annoncé au départ est enfin au bout du fil. Quand le brochet perce la surface, on ne voit même pas le leurre qui a été complètement englouti, Arnaud le saisit et brandit un magnifique brochet de cent sept centimètres qui vient ponctuer cette journée et valider sa technique de la plus belle des manières.
Crédit photo : Alexis Mazouffre
Témoignages concordants
D’autres spécialistes ont déjà vécu ce genre d’expériences hivernales et pratiquent régulièrement ces pêches ultra-lentes et même immobiles pour faire la différence quand rien d’autre ne fonctionne. C’est le cas d’Alexis Mazouffre, un compétiteur bordelais passionné du black-bass qui recherche le diable vert au jerkbait minnow suspending lors des journées les plus froides en prospectant autour des rassemblements de poisson fourrage. Il procède à une ou deux animations puis n’hésite pas à stopper son leurre durant de longues secondes. Le poisson nageur est souvent pris lorsqu’il est parfaitement immobile ou lors de la reprise. Julien Himbert, un compétiteur renommé confirme les dires du Bordelais. Il a d’ailleurs remporté une compétition de cette manière en capturant plusieurs brochets au jerkbait minnow. Ce jour-là, il a réussi à déclencher les touches en immobilisant ses leurres six à sept secondes entre chaque animation. Il connaît également la méthode du jigging crevé utilisée par Arnaud, c’est une de ses bottes secrètes pour capturer quelques brochets supplémentaires quand il pêche l’hiver sur les lacs de la forêt d’Orient. Pendant qu’il prospecte en lancer ramener, il n’hésite pas à laisser une deuxième canne immobile avec un jigging rap suspendu entre deux eaux, cette méthode lui a sauvé la mise plus d’une fois...