Pour aborder au mieux cette journée tant attendue qu’est celle de l’ouverture du brochet, nos choix techniques doivent répondre avant tout à des considérations logiques, basées sur les circonstances et la connaissance du poisson. Un premier élément de réponse, relevant du simple bon sens, tient dans la configuration des lieux à prospecter. Sur un plan d’eau riche en herbiers et peu profond, on peut éliminer pas mal d’options, à savoir tout ce qui plonge beaucoup, coule très vite et est bardé d’hameçons triples, parce que là c’est sûr, ça va mal pêcher.
Milieux et conditions
Mais en général, ce qui va le plus influencer nos choix, c’est un mix entre les caractéristiques du milieu (profondeur moyenne, encombrement, type de structures, courant) et les conditions escomptées pour le jour J : niveaux, météo (pas juste jour J mais aussi les semaines précédentes), turbidité, développement des herbiers, etc. Ces conditions changent forcément d’une année sur l’autre, il n’y a jamais deux ouvertures identiques. Elles ont une incidence déterminante à la fois sur la tenue des poissons, sur leur comportement à l’instant t, sur le degré d’avancement du cycle biologique, etc.
Le niveau d'eau
Un niveau bas peut résulter d’un déficit de pluviométrie au printemps qui aura sans doute retardé la reproduction du brochet, souvent déclenchée par une crue en février-mars. En l’absence de crue, les femelles ont tendance à retenir leurs œufs. Le cycle biologique est décalé et nous avons plus de chances de trouver le poisson près des bordures, les fonds de baies, etc. Et pas que pour le brochet, toutes les espèces sont affectées. Il va s’agir donc de considérer non seulement les niveaux actuels mais tout l’historique des derniers mois. S’il y a eu un temps doux et de fortes pluies au printemps, il est probable que le frai est terminé depuis longtemps et que les brochets sont dispersés, plus au large et plus profond. Mais un niveau très haut change aussi la donne en matière de tenues et de postes potentiels. Si l’eau arrive dans la végétation de bordure (roseaux, buissons surplombants, arbres immergés, etc.), les chances de trouver du brochet collé à la rive sont bien plus grandes que si le niveau est bas et que les postes de bordure sont moins attractifs voire asséchés. Avec en prime une eau probablement claire. Dans ce cas, les postes de pleine eau seront de toute évidence bien plus intéressants.
Les conséquences
En quoi est-ce que ça oriente notre choix technique ? Qui dit pêche de bordure dit pêche précise de postes, souvent avec risques d’accrochages et peut-être même difficultés de lancer en cas de végétation importante. Un leurre pouvant se lancer sous la canne, capable d’insister sur place ou de passer dans la végétation pour pêcher les postes à cœur est plus indiqué : jig avec un gros trailer pour ralentir sa descente, spinnerbait, jerkbait minnow suspending, leurre souple en texan peu plombé et, à la rigueur, leurre de surface seront sans aucun doute les plus indiqués. Si au contraire le niveau est bas, les postes de bordure rares ou inexistants et que les brochets doivent se tenir au large, alors les choix s’inversent. Les leurres à grand rayon d’action, conçus pour être lancés loin, faire de longues trajectoires et ratisser large (gros jerkbait ou swimbait, crankbait, vibration, etc.) prennent l’avantage, ne serait-ce qu’en termes de gain de temps.
La turbidité
Le degré de clarté de l’eau conditionne à la fois la tenue du poisson, le choix d’un type de leurre et même sa couleur. Ça fonctionne souvent main dans la main avec la luminosité et donc la météo du jour. Dans des eaux piquées ou carrément troubles, on trouve souvent les poissons dans de faibles profondeurs, proches de la rive ou à découvert, les faibles luminosité et visibilité les rassurant. Inversement, une eau très claire les incite à se tenir plus profond, plus au large, ou à se mettre à couvert sous les herbiers, dans les obstacles, etc. Tout cela est d’autant plus vrai que la luminosité est très forte et la surface de l’eau lisse, un vent soutenu ayant pour effet de réduire fortement la luminosité sous l’eau.
Comment choisir
L’incidence de la turbidité sur nos choix techniques est forte. Si les eaux piquées rendent le brochet moins méfiant, elles diminuent aussi la visibilité de nos leurres. Plus c’est trouble, moins il utilise sa vision pour détecter les proies, se servant plutôt de sa ligne latérale. On privilégie alors les leurres à fortes vibrations, très bruiteurs et aux coloris fluo ou contrastés: spinnerbait à grosse palette, chatterbait, crankbait ou lipless crankbait à billes, poisson-nageur à la nage puissante et certains leurres de surface à hélice ou battoirs faisant beaucoup de bruit.
Discrétion
Inversement, des eaux claires vont plaider pour des techniques plus lentes, avec des animations moins agressives, des leurres plus discrets, éventuellement de plus petite taille et des coloris naturels: poissons-nageurs réalistes, leurres souples ramenés sans animation, cuillers tournantes argentées, et l’arsenal des leurres anti-accroc pour fouiller les obstacles (spinnerbait, montages texans, jig, etc.). Pour les leurres de surface, on préférera ceux qui permettent d’insister sans faire trop de bazar: frog, popper ou stickbait.
La température
La température est elle aussi un paramètre important, étant entendu qu’il ne faut pas considérer juste cette donnée à l’instant t ni même le jour J mais son évolution dans les jours qui précèdent. Début mai, les eaux ne sont pas encore bien réchauffées et les poissons, affaiblis par le frai, sont assez sensibles aux variations. Si la tendance est au réchauffement, ils seront sans doute plus facilement actifs que si l’on subit une vague de froid, et le choix des techniques s’en ressent. Des poissons actifs autorisent les techniques rapides et agressives, avec un rayon d’action important. Dans le cas contraire, optez pour des techniques plus lentes, plus insistantes, plus naturelles.
Le bon vent
Attention à ne pas confondre mauvais temps et refroidissement, ce sont souvent deux phénomènes indépendants en début de saison. Tant que les eaux sont froides, un temps venteux et pluvieux peut conduire à un réchauffement de l’eau. Par exemple, un vent fort par 14°C va vous sembler plus que frisquet mais si l’eau est à 12°C, eh bien il la réchauffe !
Le choix dans le choix
Il est rare que les circonstances imposent une technique unique. Un arbitrage entre différentes options pertinentes est à la fois l’occasion de se faire plaisir en privilégiant votre préférence ou de chercher à creuser davantage pour trouver, parmi plusieurs options possibles, celle qui aura le plus la faveur du poisson. Car ce n’est pas parce qu’une technique est adaptée aux conditions de pêche qu’elle l’est forcément à l’humeur de notre brochet. Et, comme toujours, le pêcheur propose mais le poisson dispose.