Texte et photos de Thierry Bruand
Thierry, pêcheur régulier à la cuiller tournante et fin connaisseur des nombreux modèles disponibles, rappelle la place que ce leurre, ô combien classique, conserve dans le paysage halieutique français. Contrairement à ceux qui la jugent dépassée, il l’utilise régulièrement, convaincu de son efficacité. Il nous livre ici quelques subtilités pour en tirer le meilleur parti.
Il y a quelques années, lors d’un séjour en famille dans un charmant village de Chartreuse, j’ai aperçu un jeune pêcheur équipé d’un moulinet bait finess.
Comme les pêcheurs de truite en casting sont rares, je me suis approché pour discuter avec lui. L’œil attentif, j’ai remarqué qu’il avait rapidement et discrètement caché, dans sa main, la cuiller accrochée à sa ligne.
J’ai donc ajusté ma question et, faussement candide, lui ai demandé s’il avait attrapé des truites et avec quoi. Sans trop s’étendre, il m’a répondu qu’il avait pris quelques farios au poisson-nageur. Avec un brin de malice, je me suis alors penché sur le torrent qui coulait juste en dessous du parapet et lui ai lancé :
« Bizarre, avec une telle configuration, j’aurais pêché à la tournante». Il avait fait le bon choix mais n’osait pas l’avouer.
Cette anecdote en dit long sur la place de la cuiller, en France, pour la truite : parfois honteuse, mais toujours incontournable.
Pour débutants et spécialistes
Le principe de la cuiller repose sur une palette métallique qui tourne autour de son axe en vibrant et en livrant des éclats lumineux pour attirer les truites. Sans sophistication particulière, la tournante aurait bien pu être éclipsée par les avancées récentes de la pêche de la truite aux leurres.
Dès la fin des années 1990, les poissons-nageurs très techniques, notamment ceux conçus au Japon, ont envahi le marché, déclenchant deux décennies et demi de course à l’imitation, y compris du côté des leurres souples. Pourtant, la cuiller tournante, leurre n’imitant rien de vraiment précis et qui n’a pas connu d’innovation majeure, a su résister.
Tel un village gaulois défiant l’envahisseur, la « cuiller à la française » conserve sa place de choix dans les boîtes de leurres. Elle connaît même aujourd’hui un retour en force, comme en témoigne la multiplicité des nouveaux modèles proposés (voir encadré) et son utilisation fréquente lors des compétitions truites au leurre en rivière.
Ce succès repose sur son incroyable capacité à déclencher une réaction d’attaque chez les truites, plus encore que chez les autres « carnassiers »
.
Sa facilité d’utilisation et son prix modeste en font souvent le premier choix des débutants. Avec le temps, certains la délaissent pour des pièges plus techniques et coûteux, mais y reviennent finalement, réalisant qu’elle est irremplaçable et parfaitement complémentaire aux autres leurres.

Lancer plein amont ici dans une vasque profonde.
Deux grands types de modèle
Les cuillers tournantes se distinguent par la forme de leur palette, mais surtout par leur mode de fixation. Sur certains modèles, celle-ci est fixée via un étrier, tandis que sur d’autres, dits axiaux ou « in-line », elle est directement enfilée sur la tige. Historiquement uniquement adoptée par les célèbres Panther Martin et XD de Mepps, cette dernière configuration est aujourd’hui largement utilisée sur les modèles récents. Cette différence de montage, en apparence mineure, impacte pourtant significativement la « signature » vibratoire de la cuiller.

Une palette fixée sur étrier tourne avec un angle plus ouvert par rapport à la tige, produisant ainsi des mouvements et des éclats plus intenses.
Ce montage, davantage porté par le courant, « tire » donc davantage, offrant une meilleure perception du « travail » du leurre dans le poignet. Par contre, cela procure une sensation peu confortable dans les courants très vifs, notamment avec les plus gros formats.
En revanche, les modèles axiaux, plus compacts à poids égal, ont moins de prise sur l’eau lors de la récupération. Ils se faufilent mieux dans les veines d’eau et permettent donc de pêcher un peu plus creux. Ils demandent en contrepartie un peu plus de vitesse dans les courants mous pour que la rotation de la palette conserve sa régularité.
Les signaux sont également un peu plus discrets, ce qui peut être un avantage ou un défaut au gré des configurations. Les modes d’utilisation de ces deux types de modèles selon le milieu peuvent être résumés dans un tableau (voir encadré).
| Avec étrier | Sans étrier (ou axiale) | |
| Ruisseau | +++ | ++ |
| Torrent | ++ | +++ |
| Gros torrent ou grande rivière | + | +++ |
| Rivière moyenne étiage | +++ | ++ |
| Rivière moyenne niveau normal | ++ | ++ |
| Rivière moyenne eaux fortes | ++ | +++ |
| +++ parfaitement adapté ++ adapté + moyennement adapté | ||
Trois modes de prospection
La technique classique consiste à lancer la cuiller vers l’amont et à la ramener un peu plus vite que le courant pour activer la palette.
Cela présente deux avantages : une approche discrète, car le pêcheur se situe en aval de la truite, et une trajectoire assez droite et parallèle au courant, permettant de pêcher près du fond et des obstacles. Dans cette configuration, la cuiller à étrier est plus efficace, car elle peut être ramenée un tout petit peu plus lentement.
À l’opposé, une tournante peut aussi être ramenée plein aval ou ¾ aval, une approche intéressante lorsque les farios sont peu agressives, notamment en eaux froides ou sous forte pression de pêche. Le positionnement en amont permet alors de ralentir la cuiller, voire de la maintenir quelques secondes près de caches potentielles comme les sous-berges ou pourtours de blocs.
Cela exige un dosage précis entre poids du leurre et force du courant pour éviter qu’il ne remonte ou que sa rotation ne s’arrête. Dans ce cas, les cuillers « axiales » sont légèrement plus performantes.
La troisième technique consiste à lancer perpendiculairement à la berge, un angle d’attaque idéal pour la tournante. En le ramenant rapidement avec la canne basse, le leurre passe très creux et suit une trajectoire presque rectiligne.
En revanche, en réduisant la vitesse de récupération et en ajustant la hauteur de la canne, on obtient facilement un arc de cercle, mouvement redoutable pour déclencher l’attaque des farios.
On peut s’en tenir à une seule des trois techniques lors d’une session, mais il est souvent préférable de les alterner au fil des postes et des conditions rencontrées.

Quatre situations où elle peut faire la différence
À condition de bien exploiter toute la gamme des poids, de 1 g à 15 g, la cuiller tournante est un leurre polyvalent, adapté à presque toutes les situations. Certaines configurations lui donnent cependant un avantage sur d’autres types de leurres.
Elle est d’abord particulièrement efficace face à des truites peu sollicitées. Cela inclut les premières sessions de la saison, quand les poissons n’ont pas été dérangés pendant plusieurs mois, ou des secteurs peu fréquentés comme par exemple les parcours de canyoning difficiles d’accès ou certains ruisseaux boisés rarement explorés.
À l’inverse, elle peut se démarquer aussi dans les zones à forte pression de pêche. Contrairement à l’idée reçue, les poissons-nageurs très techniques ne sont pas toujours les plus performants dans ces contextes surtout si les écoulements sont diversifiés.
Le guide Sébastien Thète m’a confié qu’une petite cuiller discrète, sans étrier et travaillée en prospection aval pour optimiser la présentation, est selon lui la meilleure option pour faire craquer les farios de l’Albarine, une rivière connue pour sa très forte fréquentation.
Son faible coût est aussi un atout pour pêcher les berges d’en face, éloignées et boisées, où la probabilité d’accrochage est élevée, car on hésite moins à prendre des risques avec un leurre abordable. Enfin, la cuiller tournante est idéale pour prospecter les zones peu profondes, comme les radiers : elle s’active dès l’impact, là où un poisson-nageur nécessite plus de profondeur pour s’animer.
Son papillonnement constant lui permet de rester dans la couche d’eau, même avec une lame très faible, ce qu’aucun autre leurre ne réalise aussi bien.
Finalement, qu’on l’emploie par habitude, par confiance ou par tactique, la cuiller tournante conserve toute sa place dans la boîte d’un bon pêcheur de truites.


Encadré 1 : Une offre pléthorique, mais….
Alors que la cuiller tournante a été quelque peu délaissée par les pêcheurs de carnassiers au profit de leurres à palette plus modernes, comme le tailspinner ou le spinnerbait, l’offre n’a jamais été aussi vaste pour la truite.
Les modèles classiques avec étrier, issus de fabricants ayant bâti leur réputation sur la tournante – Vibrax (Blue Fox), Suprem (Suissex) et les fameuses Aglia (Mepps) – continuent d’être très populaires. La marque Caperlan propose également une gamme bien pensée, offrant un excellent rapport qualité-prix.
Par ailleurs, de nombreuses marques spécialisées dans la pêche des carnassiers ont réintroduit ces dernières années la tournante dans leurs catalogues : Ultimate Fishing a relancé la célèbre Panther Martin, Gunki propose les Dots, Daiwa les Silver Creek, Spro les Trout Master etc.
Cette offre s’étoffe encore avec des marques plus jeunes orientées vers la truite au leurre, comme Sico-Lure et Morpho, qui proposent elles aussi des tournantes.
En théorie, cette grande diversité de modèles devrait couvrir toutes les conditions de pêche.
Pourtant, il reste selon moi une lacune : les cuillères axiales lourdes (7 à 15 g) sont quasiment introuvables alors qu’elles sont pourtant particulièrement précieuses en grande rivière.
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