La pêche des salmonidés aux poissons-nageurs est à la mode, surtout auprès des jeunes pêcheurs qui ont la chance de fréquenter les eaux vives. Or, il apparaît que le lancer n’est pas la technique qui prend le plus de grosses truites farios en rivière.
Les options tactiques
Sébastien Thête, par exemple, m’expliquait que sur la basse rivière d’Ain, pourtant très large, les pêcheurs les plus efficaces sur les belles sont ceux qui pratiquent au toc sur des veines d’eau qu’ils connaissent par cœur. De même, sur l’Isère amont, aux eaux limpides, le meilleur preneur de grosses truites que je connaisse est un jeune pêcheur alternant avec talent toc au ver et toc-nymphe. Sur certaines rivières haut-savoyardes, les traditions perdurent et c’est le vairon qui rapporte encore probablement le plus de poissons trophées. Ce sont donc bien les options tactiques qui permettent de sélectionner la taille des farios.
Le choix du leurre
La cuiller tournante, très efficace, n’a pas la réputation de trier les poissons. Mais du fait de sa popularité, c’est assurément le piège qui a rapporté le plus de grosses truites car elle prend tout, toute l’année. Les poissons-nageurs, imitations de poissons, prennent plus gros en moyenne. Quant aux leurres souples, leurs signaux discrets les avantagent parfois sur les poissons éduqués, souvent les plus âgés, donc forcément plus gros. Mais la donne est différente entre micro-souple et shad. Que le gabarit d’un leurre influence la taille des prises, tous les pêcheurs au lancer en conviennent. Mais l’équation gros leurre = grosse truite est très loin d’être systématique. Si les plus belles sont carnassières et très territoriales, elles consomment aussi de minuscules proies, on le constate lors des régurgitations.
Quelle taille
La dimension du leurre dépend aussi du biotope. En très grande rivière, surtout si on la découvre, on a parfois l’impression de chercher une aiguille dans une botte de foin. Les leurres volumineux (crankbaits, jerkbaits), d’une dizaine de centimètres, sont rassurants psychologiquement. Ils sont provocants et les truites les perçoivent de plus loin. Mais sur les postes connus ou des poissons repérés visuellement, ils sont clairement moins discrets. Étrangement, face à des poissons de plus de 45 cm, une mini-cuiller, un minnow coulant de 4 cm ou un micro souple peuvent faire la différence (voir encadré). En cours d’eau plus modeste, l’équation est différente car les truitelles sont souvent nombreuses. Opter pour un poisson-nageur de 7 cm ou une tournante n° 4 ou 5, qui forcent l’instinct de territorialité, est une option possible. Elle limite un peu les prises de petits poissons. Je préfère néanmoins pratiquer avec le leurre juste, légèrement plus petit, qui sélectionne certes moins mais prend plus. C’est la quantité qui permet alors d’espérer une ou deux belles truites.
Mini-leurre
L’action se déroule en mars, en rivière. Les eaux sont teintées et j’épluche tranquillement un bras en lançant mon ondulante au pied des arbres surplombants. J’aperçois, dans un amorti, au ras de la berge, une énorme fario gobant des March Brown. Je propulse mon gros leurre à bonne distance pour ne pas l’effrayer. Rien… La belle continue de monter. Je change pour un leurre flottant discret, puis une petite tournante qui passe au ras de sa gueule. Toujours rien… Retour à la voiture chercher ma boîte ultra-léger. La belle de 54 cm, qui gobait encore une demi-heure plus tard, craque… pour une minuscule imitation de nymphe !
Créneaux favorables
Le pêcheur aux leurres ne peut affranchir des conditions environnementales, erreur que je constate souvent chez certains leurristes qui croient pouvoir prendre à toute heure et à tout moment. Les parcours no-kill, alimentés en farios surdensitaires, donnent parfois l’illusion que c’est possible. Or, pour les vraies sauvages, le cœur de la stratégie ne doit pas tourner autour du choix du leurre mais plutôt autour de la disponibilité des truites, les belles sortant bien moins souvent. La tactique, c’est donc de multiplier les sorties sur les créneaux les plus favorables. Être au bord de l’eau avant le lever du jour est souvent décisif en pleine saison, tout comme au coup du soir. Cela demande une certaine organisation si le spot choisi est vraiment éloigné, envisager une longue marche d’approche, par exemple, et un retour de nuit. Dormir sur place est l’option que je retiens souvent pour être au bon endroit au bon moment. Autres épisodes d’activité : les coups d’eau, surtout en période d’étiage. Les gros poissons perdent alors leur méfiance et tapent franchement sur les leurres. Il faut être hyper réactif, être là quand la rivière encore haute commence à s’éclaircir. Un pêcheur aux leurres peut aussi profiter des périodes d’éclosions intenses même si le frai des vairons ou les concentrations de blancs sont a priori plus favorables.
Connaître le terrain
Pour cibler de gros poissons, il faut savoir où l’on peut en croiser. Les rivières à grosses truites sont souvent les plus grandes, la liste nationale est bien connue… Les fédérations donnent des informations fiables sur la taille des poissons de tel ou tel cours d’eau. Grâce aux pêches électriques, les connaissances des techniciens de rivière sont précises, et c’est leur intérêt de diffuser ces informations.
La notion de grosse
Une fario de plus de 35 cm en ruisseau ou petit torrent, c’est presque un trophée. En grande rivière, on parlera simplement de belle truite. Tous milieux confondus, c’est souvent la barre des 45 cm qui fait basculer vers le gros poisson. La notion de grosse truite est en fait plus liée à son vécu de pêcheur, pouvant même évoluer avec le temps. Certains fixent cette barre à 40 cm (c’est mon cas), d’autres à 50 voire 55 cm. Les AngloSaxons calent le trophy size à 25 pouces, soit 63, cm, ce qui dans l’Hexagone est exceptionnel en dehors des truites lacustres.
Il faut marcher
Le parcours étant choisi, reste maintenant à trouver les bons secteurs. Première approche : pêcher les postes les moins accessibles, comme les gorges par exemple. C’est souvent payant mais exigeant physiquement. Sinon, il est facile d’identifier chaque spot potentiellement prometteur (profondeur, abris). Mais tous ne sont pas occupés pour autant et c’est passer à côté de postes en apparence anodins mais habités ! Je fonctionne donc autrement. Je multiplie d’abord les sorties longues, avec des amis, pour couvrir un maximum de terrain et engranger des informations : prises, tapes, poissons repérés visuellement, habitudes des pêcheurs locaux, etc.
Comme un grand
Et j’y reviens, seul cette fois, pêcher uniquement les points chauds repérés, aux moments favorables, en fonction des conditions environnementales. Et là, les résultats sont souvent au rendez-vous !
L'avis d'Alex Barbier
« Pendant des années, j’ai pensé que le vairon était la technique reine pour prendre les belles. Mais à l’étranger, j’ai appris à traquer les gros salmonidés aux leurres. Mon piège de base est un minnow coulant de 7 cm, mais le choix du leurre a peu d’importance. Les grosses farios, discrètes, ont des périodes d’alimentation très courtes et chassent la nuit. En pleine saison, le coup du soir a ma préférence, jusqu’à la limite de l’heure légale. Parfois tout se joue en vingt minutes. La connaissance du milieu est aussi capitale. Je pêche le Chéran que je connais par cœur sur sa partie savoyarde, et j’y prends une quinzaine de poissons de plus de 50 cm par an. »