De tous les poissons présents dans nos eaux, la truite est sans aucun doute celui qui présente la plus grande diversité dans son apparence. On rencontre en effet une infinité de robes : jaunes, grises, brunes ou noires, plus ou moins ponctuées de rouge, d’orange, de noir, parsemées de gros ou de petits points. Souvent, lorsque deux pêcheurs évoquent leurs prises, le sujet de la robe arrive tout de suite après celui de la taille.
Jamais pareilles
C’est en effet le principal et le plus rapide critère d’identification. Même petite, une truite sera appréciée si elle apparaît dans une belle robe. C’est sans doute dû au fait que, contrairement aux autres espèces qui peuplent nos eaux, on ne rencontre quasiment jamais deux truites identiques. Cette parure est en effet très variable. Si elle peut être relativement homogène dans une même rivière, elle diffère grandement d’un cours d’eau, d’un bassin ou d’une région à l’autre. On l’associe souvent, et de manière plus ou moins pertinente, à l’origine génétique de l’individu. Il faut distinguer en fait deux composantes dans la robe d’une truite : sa coloration générale, le fond de robe en quelque sorte, et la ponctuation. La première a une vocation mimétique, aidant la truite à se confondre le plus possible dans son environnement.
Une démarche scientifique
Après les recherches de Jean-Marc Lascaux, à l’Ensa de Toulouse, le cabinet d’études Ecogea a développé une démarche de différenciation scientifique des souches de truites basée sur l’analyse de leurs caractères phénotypiques et notamment la ponctuation. Nombre, taille, couleur, emplacement des points sont ainsi référencés puis utilisés dans des analyses statistiques afin de déterminer et différencier les souches de truites peuplant une même région ou un même bassin hydrographique. Cette méthodologie a déjà été appliquée avec succès dans différentes régions de France.
Les chromatophores
Ainsi, une truite qui sort d’une cave est noire car il y fait sombre. Si on la place dans un seau blanc, elle devient rapidement très claire, en réponse à ce nouvel environnement. Elle possède en effet, sur la surface de son corps, des cellules pigmentaires, les chromatophores, qui jouent un rôle déterminant dans la coloration. Il en existe de différentes couleurs, notamment des brunes, noires, rouges ou jaunes, et c’est en s’ouvrant ou en se fermant qu’elles font varier la coloration d’ensemble du poisson.
Une teinte changeante
C’est pourquoi, contrairement à une idée reçue, une truite noire n’est pas forcément une truite sauvage et vice versa. Les truites possèdent simplement une coloration qui correspond à celle de leur rivière. Les rivières brunes du Massif central sont par exemple peuplées de truites ayant une teinte d’ensemble allant de brun à cuivré. Les rivières jaunes, comme en Franche-Comté, sont des résurgences calcaires plutôt peuplées de truites jaunes à dorées. Les poissons des rivières grises des Alpes sont à dominante gris clair. Enfin, les truites des grands lacs sont souvent argentées, le meilleur camouflage en pleine eau ! Cette teinte d’ensemble peut en outre varier selon l’environnement du moment : une truite qui sort d’une cache est très sombre alors qu’elle sera au contraire très claire lorsque l’eau se trouble, et particulièrement dans les eaux grises de fonte de neige.
Les points
La ponctuation est en revanche un critère très différent, puisque non lié à l’environnement de la truite mais à sa génétique. C’est donc un caractère héritable. À l’échelle de la France, on trouve ainsi de grandes différences de ponctuation entre des truites peu ponctuées (pas plus d’une vingtaine de points) et d’autres, très marquées, avec plusieurs centaines de points. La taille de ces points peut également différer, ainsi que leur couleur (rouge, noir, orange) et le fait qu’ils soient ou non entourés d’une bordure plus claire. Enfin, leurs emplacements peuvent varier : sur le dos, le flanc ou majoritairement sur l’avant et le dessus du corps. Les truites possèdent également des taches sur la tête, souvent sur l’opercule, parfois sur les nageoires adipeuse et caudale. Les possibilités de variations sont ainsi extrêmement nombreuses. À partir de cette ponctuation, on peut souvent déterminer à quel groupe génétique appartient un individu.
Les deux groupes
On en distingue deux : les méditerranéennes et les atlantiques. Les premières sont généralement ornées de points nombreux, de petite taille et sans contour, les points rouges étant en revanche peu nombreux, voire absents. Les truites du groupe atlantique possèdent, elles, des points de plus grande taille, dont des points rouges bien marqués, parfois majoritaires et souvent entourés d’une bordure plus claire. Au sein de ce groupe, on distingue en outre les modernes des ancestrales, une césure s’étant produite en son sein, il y a des milliers d’années. Les ancestrales sont beaucoup plus ponctuées que les modernes (poissons de l’ouest des Pyrénées, par exemple). Mais, même au sein de ces grands groupes, il existe une très grande variabilité, les truites restant souvent différentes d’un bassin voire d’une rivière à l’autre. Elles présentent en revanche une relative homogénéité au cœur d’une même rivière, surtout dans les petits cours d’eau.
D'autres critères
Outre sa couleur et sa ponctuation, la robe d’une truite possède également quelques ornementations, plus discrètes mais non moins intéressantes à observer, comme les franges blanches ou noires qui ornent leurs nageoires, particulièrement les anales et caudales. Elles aussi semblent liées à la génétique et peuvent ainsi aider à identifier différentes souches. Si cette grande variété perdure, c’est parce que la truite présente une diversité génétique importante, à l’échelle de la France et que, contrairement à certaines idées reçues, les truites qui peuplent nos rivières sont encore très majoritairement sauvages et de souche native. C’est un élément important de la biodiversité de notre pays, malheureusement pas toujours prise en compte à sa réelle mesure. On parle souvent de l’espèce lorsque l’on s’intéresse à ce poisson, rarement des groupes génétiques. C’est en tout cas un cadeau que nous fait la nature, et que, plus souvent qu’à notre tour, nous ferions bien d’apprécier à sa juste et inestimable valeur.
Pas si simple
Les truites de Franche-Comté possèdent souvent deux ou trois barres transversales, qui leur ont valu parfois le surnom de truites zébrées. Mais ça ne leur est pas spécifique, on l’observe dans d’autres régions, quoique moins fréquemment. On rencontre aussi des points orange qui signalent souvent des individus de pisciculture. Mais quelques sauvages en possèdent aussi tandis que certaines truites de pisciculture arborent de magnifiques points rouges !