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Carnassier à la mouche... sortir son fouet, ou pas

La pêche au steamer est efficace à condition de ne pas repousser ses limites, de respecter son champ d’action en dehors duquel la pêche aux leurres se montre tout à fait complémentaire. Faut-il alors, par dogmatisme, opposer ces deux approches alors que la frontière n’a jamais été aussi ténue ? Petite réflexion et quelques cas de figure à méditer pour se faire plaisir avant tout.

Ôtons-nous une idée fausse qui circule bien souvent dans la tête des moucheurs débutants : non, la pêche au streamer de nos chers carnassiers n’est pas la panacée, aussi séduisante soit-elle ! Comme toute approche, il y a des jours avec et des jours sans, une lapalissade me direz-vous ? Cet optimisme teinté de naïveté est bien compréhensible lorsque l’on découvre, subjugué, une technique nouvelle, au point de vouloir en explorer tous les contours. C’est d’autant plus légitime que la curiosité et le plaisir sont moteurs au cours de cette phase d’apprentissage. De là à tenter ensuite de repousser sans cesse ses limites, de pêcher « tout ce qui nage », au prix d’une certaine abnégation… C’est un choix respectable que je me garderai bien de commenter, car j’ai longtemps fait partie de cette caste d’irréductibles avec pour slogan : « À la mouche ou pas du tout ! »

Le mixage des techniques, une des grandes évolutions de la pêche sportive moderne
Crédit photo : David Gauduchon

C’est un choix d’autant plus respectable qu’il permet incontestablement de progresser, d’acquérir une solide expérience au prix parfois de remises en cause, d’échecs, de traversées du désert là où une autre technique donnerait de meilleurs résultats. Attention cependant aux œillères… Ne touche-t-on pas là aux limites d’un certain jusqu’au-boutisme, d’une passion dévorante au risque de passer à côté de réelles opportunités avec une autre approche non moins sportive ? Il ne faut pas perdre de vue l’intérêt éprouvé et la satisfaction personnelle. Le plaisir, encore une fois, doit rester le meilleur indicateur.

David et un joli bec pris en matinée
Crédit photo : David Gauduchon

Plaisir et pragmatisme

Côté efficacité, la pêche au streamer peut dépasser, dans certaines situations, une technique aux leurres « conventionnelle ». Mais l’inverse est tout aussi vrai. Après tout, n’est-ce pas le poisson qui décide ? C’est ce que les pêcheurs de la jeune génération ont bien compris en optant pour une attitude décomplexée et non dogmatique. Aussi à l’aise avec une canne à lancer qu’avec une canne à mouche, ils s’équipent souvent des deux pour leur session afin de tirer le meilleur parti des qualités de chacune avec bon sens et pragmatisme. Il faut reconnaître qu’en matière de pêche des carnassiers, la frontière entre la pêche à la mouche et aux leurres est de plus en plus ténue. Et même pour un irréductible du « fouet » comme moi, le plaisir et les sensations sont aujourd’hui au rendez-vous lorsque je décide par choix ou obligation de prendre ma canne spinning ou casting. L’allègement du matériel, la finesse des blanks et des tresses, la diversité des montages, la technicité des leurres concourent à cette prise de conscience et évolution dans ma pratique. Plutôt que de vouloir les opposer ou mettre en compétition deux approches – à quoi bon? –, je me suis rangé à cette philosophie « hédoniste et cartésienne » qui consiste, quand la pêche au streamer est « plantée » pour diverses raisons, à assurer le succès de ma partie de pêche. Car ne nous mentons pas, nous allons aussi à la pêche pour prendre du poisson ! Voyons ensemble quelques cas pratiques, tirés d’expériences récentes.

Le leurre surclasse parfois le streamer et il n’est pas forcément utile de s’entêter alors
Crédit photo : David Gauduchon

Quand pêcher à la mouche ?

Je pêche très souvent en binôme, que ce soit avec un ami moucheur ou leurriste. J’apprécie ce partage d’expérience et la prise de recul que cela offre. Ce début de saison a encore été riche d’enseignements alors que l’été approche. Disons-le tout de suite, l’ouverture fut médiocre du fait d’une instabilité météo récurrente, des coups de froids succédant à des épisodes de fortes chaleurs, des vents orientés majoritairement nord, nord-est, de rares épisodes pluvieux ponctués d’orages violents et de pluies diluviennes troublant l’eau à plusieurs reprises. Des conditions de pêche somme toute délicates qui ne m’ont pas permis de faire des étincelles, mes amis non plus, alors que traditionnellement, la fin du printemps est une très bonne période pour le streamer et les pêches rapides au leurre.

Des streamers qui s’appparentent à de véritables leurres.
Crédit photo : David Gauduchon

Mai, joli mois de mai…

Des eaux qui se réchauffent, de grosses femelles brochets qui ont retrouvé l’appétit après avoir croqué quelques petits mâles et qui profitent du rassemblement du blanc sur les bordures en vue de frayer. La végétation aquatique a fait son apparition. Les profondeurs de 50 cm à 2 m se prêtent merveilleusement à l’utilisation de soie flottante ou intermédiaire, une approche qui confère tout son intérêt à l’utilisation d’une canne à mouche. En ce début de saison, mes compagnons réussissent plutôt bien au spinnerbait et au chatterbait. Les carnassiers, brochets et perches en tête sont particulièrement sensibles aux vibrations. Pour mes montages, je ne déroge pas à cet artifice qu’est l’éclat d’une palette placée soit en tête soit en queue du streamer. C’est un gage d’efficacité, le résultat parlant de lui-même. L’occasion d’insister sur cette mince frontière entre les deux approches évoquées précédemment. Au-delà du vocable « mouche », le streamer appartient bien à la catégorie des leurres. D’ailleurs, de nombreux pêcheurs au lancer l’ont adopté et le propulsent avec des cannes adaptées (CQFD !), type ML, quand les conditions sont favorables. L’adjonction d’appendices, type wiggle tail, participe de cette recherche de vibrations accentuées mais ne repose pas sur les mêmes principes mécaniques.

Même le sandre est capturable sur un beau streamer, lorsque les conditions s’y prêtent.
Crédit photo : David Gauduchon

Par eaux teintées ou froides, la taille et la forme du streamer, du fait qu’il « pousse » plus ou moins d’eau à l’animation, doivent aussi être prises en compte. Le choix des coloris a aussi son importance, plus agressives en ce début de saison, les teintes chartreuses et fluo ont souvent ma préférence. Si l’on est « focuse » sur une big mama, il faudra en principe lui présenter une grosse bouchée, 25 à 30 cm par exemple. Voilà pour quelques généralités basées sur un long retour d’expérience. Mais nos prédateurs se font parfois un malin plaisir à déjouer nos connaissances, somme toute empiriques ! Autre cas de figure, après une longue matinée, où mon coéquipier et moi-même étions capot, c’est finalement une petite mouche chartreuse équipée d’une palette en queue (15 cm de longueur totale) qui me permettra de capturer un joli brochet de 110 cm sur les coups de 14 h, alors que les nuages menaçants laissaient entrevoir une éclaircie. En fin de journée, c’est au nombre, mais sur des sujets de tailles modestes, que mon ami s’en sortira honorablement. Pour revenir à cette « dualité » leurres-mouches à tort souvent abordée, le pêcheur au lancer aura cependant toujours un net avantage sur un point. En effet, il battra plus de terrain grâce à la fréquence de ses lancers. Ce ratio n’est sans commune mesure avec une canne à mouche, quand bien même on maîtrise parfaitement son geste et la double traction. À la mouche, la notion de « rendement » est par conséquent très relative, et c’est très bien comme ça !

Une palette en queue d’un streamer déclenche parfois des touches
Crédit photo : David Gauduchon

Vive l’été

Mi-juin cette fois. Les températures sont caniculaires depuis quelques jours, et le vent orienté sud-est n’est pas suffisant pour rider la surface. La journée s’annonce compliquée, et elle le sera ! Petit, moyen, grand streamer, changement de coloris, de densité de soie, de type animation, seuls quelques brochetons joueront les kamikazes. Lassé du manque d’activité, je prends ma canne spinning et, intuitivement, je me mets à gratter un petit shad de 5 pouces plombé en 7 g sur une pente douce de 2 m, là où j’étais passé 50 fois avec mon streamer. Le verdict est sans appel : une dizaine de sandres, quelques grosses perches et, en fin de journée, deux brochets honorables de 80 et 90 cm. La messe était dite !

L’adjonction de wiggle tail modifie singulièrement les streamers
Crédit photo : David Gauduchon

Semaine suivante, changement de temps radical. Le vent orienté sud se met à souffler. Bientôt se forment des vagues qui viennent taper la berge de l’étang. Maintenir le bateau dans de telles conditions s’avère difficile, je décide de pêcher en wading, face au vent avec mon ami Dudu. Nous voilà lançant des streamers de type Piker Point de 10 cm qui permettent de bien percer le vent et de les poser à une quinzaine de mètres. Équipés de palette dorée, nos coloris orangés et rouges font un tabac dans la vague. Les beaux brochets, agressifs, se sont donné rendez-vous dans un mètre d’eau, sur un plateau, où une belle concentration de poissons fourrage s’est concentrée. Que la fête continue !

Contre toute attente, le streamer peut réussir même dans des conditions venteuses
Crédit photo : David Gauduchon

À l’approche de l’été, les nénuphars et les myriophylles offrent le gîte et le couvert au brochet qui prend ses quartiers d’été. Évoluer en float-tube ou en wading dans ce dédale aquatique a des allures de « mini-aventure ». Les moucheurs que nous sommes vont pouvoir tirer leur épingle du jeu avec bonheur. Quoi de mieux adapté qu’une soie flottante et des « mouches » de surface pour peigner consciencieusement chaque trouée, chaque corridor laissé vacant par la végétation. Streamers montés sur montage texan, imitations de grenouilles ou de rongeurs, poppers, sliders… Il ne reste plus qu’à soigner notre approche, à ajuster nos lancers et à se faire plaisir. Car au bout du compte, n’est-ce pas là le plus important ? Les pêcheurs aux leurres auront, quant à eux, tout loisir d’affiner leurs montages weightless et d’armer leurs poppers et jerkbaits d’hameçons simples s’ils ne veulent pas ramasser trop de salade ! Et que le meilleur gagne !

L’évolution du montage, des protocoles comme des matériaux, a permis de faire naître un genre nouveau de streamers dont certains modèles empruntent largement aux leurres : l’apparition de palettes, de bavettes, de lestages divers et variés a permis de repousser les limites des actions de nage jusqu’alors connues. L’apparition de streamers équipés de palettes de chatterbaits, par exemple, a nécessairement réduit le fossé entre la pêche à la « mouche » et celle aux leurres. Une fusion, en quelque sorte, s’opère de plus en plus entre deux approches, deux mondes de plus en plus perméables. Et ce n’est qu’un début.
Crédit photo : David Gauduchon

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