Je monte des mouches depuis près de trois décennies maintenant. Très vite, après avoir commencé la pêche au fouet je me suis mis à fabriquer mes propres modèles imitant les grands classiques d’abord puis m’autorisant quelques digressions voire fantaisies ! J’eus une période où il ne m’était pas possible de pêcher avec une artificielle que je n’avais pas montée, j’avais encore suffisamment de temps pour ça. Puis, rattrapé par le quotidien et des activités de plus en plus chronophages, je me résolus à acheter quelques modèles. Je pêchais de plus en plus d’espèces et cherchais à découvrir de nombreuses techniques.
Des mouches de piètre qualité !
J’eus à cette époque moult déconvenues avec ces mouches « industrielles » ! Certains hameçons s’ouvraient au ferrage même sur des ablettes anorexiques, d’autres perdaient plumes et poils lors du lancer et bien souvent les proportions des montages n’étaient absolument pas respectées. Il arrivait de recevoir de superbes « pheasant tail » avec des cerques de quatre centimètres de long et des sèches avec la moitié d’un sachet de dubbing en guise de thorax… En somme, la qualité n’était franchement pas toujours au rendez-vous ! Beaucoup de sociétés de l’époque achetaient des milliers de mouches pour une bouchée de pain, directement en provenance d’Afrique, le tout monté souvent par des enfants avec des matériaux chinois… D’autres commençaient à miser sur l’Asie et les usines de montage se développaient en Thaïlande ou encore aux Philippines. C’est sur cette dernière destination que j’eus la possibilité de partir former des gens pour la firme Mustad qui se lançait dans la fabrication de mouches de qualité ! J’ai ainsi pu me rendre compte de la façon dont cela se passait de l’autre côté du miroir. En effet, avec l’augmentation de la demande en général et l’explosion de la pêche à la mouche en mer certaines firmes, américaines notamment, se mirent à tirer vers le haut la qualité des artificielles qui, à partir de là, n’ont cessé de s’améliorer. Il y avait donc de plus en plus de choix à des tarifs assez compétitifs et de moins en moins de raisons de monter ses propres mouches.
Le syndrome de la mouche manquante
Pourtant, j’ai toujours continué à fabriquer des imitations car, il faut bien le dire, la plupart d’entre nous sommes d’éternels névrosés de la boîte à mouche ! Partant du principe que les imitations sont toujours plus vertes dans la boîte du voisin, il nous manque toujours « LE » modèle qui nous fera prendre plus de poissons, la couleur qui sera sans aucun doute irrésistible sur cette rivière, la bonne taille, le bon poids etc.… À notre décharge, la pêche à la mouche est une discipline infinie. Si de nos jours nous savons que tous les poissons ou presque sont prenables au fouet, cela fait que les proies à imiter sont extrêmement nombreuses ! Même si l’on se cantonne à la traque des salmonidés, le développement des techniques de nymphes au fil fait que nos gilets sont de plus en plus chargés.
Les compétiteurs qui sont souvent à la genèse de nouvelles artificielles et qui, par obligation, doivent sélectionner et classer certains modèles se retrouvent pourtant avec des boîtes quatre faces pleines car il faut plusieurs tailles et surtout nombre de poids de billes différents par mouche. J’avoue avoir également mes favorites qui sont souvent commercialisées et que j’achète en toute confiance car elles sont bien réalisées et utilisent comme base de bons hameçons. Cela me laisse le temps de me mettre à l’étau pour en créer d’autres différentes et qui, bien souvent, trouvent leur place sur mon bas de ligne. Pour ceux qui ne montent pas, je vous conseille vivement d’acheter vos mouches chez un des monteurs professionnels que nous avons dans l’hexagone. Vous serez assurés de la qualité des montages et d’acquérir des artificielles adaptées à la pêche sur nos rivières et même dans toute l’Europe. J’ai aussi une petite préférence pour les mouches de mes amis Igor et Nadica Stancev qui habitent en Macédoine et qui sont parmi les meilleurs monteurs au monde.
Mouches mer et à carnassiers
Lorsque l’on recherche le carnassier, en eau douce comme en mer, le problème est que les mouches à disposition ne sont pas légion. Il existe quelques bons streamers à brochet en effet et quelques-uns pour le bar mais ils sont souvent chers et le choix est limité. Ici rentre en ligne de compte le côté financier de ces montages. Même si les matériaux sont parfois onéreux, il est beaucoup plus économique de fabriquer soi-même ce genre de grands plumeaux ! Pour les espèces plus rarement pêchées comme la carpe, le silure ou l’aspe par exemple, il n’y a pas vraiment le choix, il faut se mettre à l’étau.
En ce qui concerne les séjours de pêche qui nous amènent à découvrir de nouveaux poissons et des techniques différentes, il est aussi intéressant de monter ses mouches. C’est une préparation qui fait partie du voyage et nous permet de rêver avant même de partir. De plus, hormis pour le triumvirat des flats, bonefish, tarpon, permit et en eau douce le saumon (Atlantique comme Pacifique), les modèles de mouches efficaces pour d’autres poissons sont assez rares. Pour les prédateurs tropicaux d’eau douce comme le peacock bass et le dorado, les streamers à brochet peuvent fonctionner mais, la plupart du temps, ils ne sont pas montés sur des hameçons suffisamment résistants et s’ouvrent pendant les combats. Il en va de même pour les gros salmonidés comme les taïmens mongoles, les ombles arctiques canadiens par exemple ou même les huchons slovènes. Tout cela pour dire que, même si en général les guides locaux ont toujours quelques modèles adaptés, il est bon d’avoir passé un peu de temps à se creuser les méninges à sa table de montage. Cela m’a bien souvent sauvé la mise sur des destinations lointaines…
Le montage de mouches, une passion complémentaire de la pêche
Je crois enfin que l’on peut se passionner presque autant pour la fabrication de mouches que pour la pêche. Pour avoir fait quelques concours de montage à une certaine époque, je me souviens combien il est grisant de chercher des solutions pour améliorer ce qui existe déjà ou, tout simplement, pour donner vie à ses idées. On se met alors à l’entomologie et l’étude des différents stades de développement des insectes. On se rapproche encore un peu plus de la nature et de nos chères rivières. Comprendre ces cycles naturels c’est donc aussi devenir un meilleur pêcheur… Mais j’en conviens volontiers, il est tout à fait possible de nos jours de très bien réussir à la pêche avec des mouches du commerce et d’avoir des boîtes très bien achalandées en artificielles de qualité. J’utilise avec bonheur les modèles que j’ai sélectionnés chez certains artisans en complémentarité de ceux que j’ai méticuleusement mis au point. Cependant, je pense que lorsque l’on est monteur un jour, on reste monteur toujours…