Texte et photos d’Eric Joly
Le plan d’eau du Bassin d’Arcachon accueille une belle population de bars francs et de bars mouchetés. Il faut simplement savoir où les trouver. On vous explique.
Dans le Bassin, les bars rentrent au printemps et repartent vers l’océan au début de l’hiver. Ils passionnent les habitués qui les pêchent au leurre – souple et rigide – à la traine, au vif, à l’appât naturel. La taille des poissons n’est pas très élevée. Mais il arrive quand même de prendre des spécimens de plus de 2kg. Et il arrive aussi que de grands bancs de maigres accompagnent les bars…
La période et le site
C’est surtout à partir du mois de mai que les bars entrent dans le Bassin. Il faut attendre les rentrées massives de poisson fourrage, sardines, anchois et athérines pour que les bars suivent. A l’automne, on prend souvent de gros poissons. Au début de l’hiver les bars s’en vont – avec les daurades royales.
Présentons d’abord le plan d’eau. Comme Venise, les palais en moins, le bassin d’Arcachon est une lagune. Elle casse le cordon de dunes long de 250 km qui s’étend de l’estuaire de la Gironde au fleuve Adour. Une petite mer intérieure ? Oui, du moins si on l’observe à marée haute. A marée basse, c’est autre chose. Comme Venise, la lagune s’ensable. Vu du ciel c’est même impressionnant. Venus de l’Atlantique, les bras d’eau tentent de s’insinuer sur le sable et la vase, comme les tentacules d’une pieuvre.

Les bons coins
C’est une règle d’or : comme le pêcheur de champignons, le pêcheur de bars ne donne pas « ses coins ». Cela dit, sur le Bassin, c’est un secret de polichinelle puisque tout le monde les connaît. La caractéristique des « bons coins » c’est d’être mouvants. Celui-ci était bon hier mais il sera mauvais le lendemain et réciproquement. Tout dépend de la présence des poissons et Dieu sait que ces derniers vont et viennent sans nous communiquer, hélas, leur plan de nage. Voici tout de même quelques incontournables qui devraient vous offrir de belles pêches.
Les passes

La passe nord. Elle s’insinue entre le banc d’Arguin et le banc du Toulinguet, et peine à en être une, c’est à dire qu’il faut s’abstenir de la franchir les jours de « grand frais » et même « de frais ». Les fonds sont faibles, une dizaine de mètres en moyenne et quand il y a de la houle cela chahute dans tous les sens. Tous les ans, un navigateur en fait les frais. Le bateau, fracassé par des lames qui pèsent d’autant plus lourd qu’elles sont chargées de sable, gite et finit par couler. Pour le pêcheur de bar, c’est un « bon coin » dans la mesure où le courant et les tourbillons brassent le sable.
Chaque pêcheur a un peu ses habitudes. Les uns préfèrent la bouée 6, d’autres la bouée 8. Ils les chérissent car ils y ont bien réussi. D’autres préfèrent rester entre le banc d’Arguin et le banc du Toulinguet, à l’entrée de la passe, là où les eaux sont plus calmes.
La passe nord peut « donner » de façon surprenante avec des prises qui s’enchainent. Elle peut aussi décevoir terriblement.
La passe sud. Elle longe la grande dune et les plages du Petit Nice et de la Lagune. Cette passe s’est ensablée. Elle est toujours pratiquée par certains navigateurs mais n’est plus balisée. On y va donc à ses risques et périls. Mieux vaut avoir un petit tirant d’eau car la profondeur n’excède pas cinq mètres en moyenne.

La passe Sud est intéressante pour plusieurs raisons. D’abord les bars l’empruntent volontiers ; ensuite elle est moins fréquentée par les pêcheurs sauf quand des bancs de maigres sont signalés.
La digue Bartherotte
Située à l’extrémité du Cap Ferret, c’est aussi un point de ralliement incontournable. Benoit Bartherotte, le corsaire de la Pointe, a réussi à la sauver en engloutissant des tonnes de pierres.
Cette digue fait le bonheur des pêcheurs. C’est, en effet, tout un écosystème qu’elle a créé. Crevettes roses, crabes et coquillages se sont installés dans la roche et attirent les carnassiers.

Les parcs à huitres
Encore un écosystème qui attire le poisson et notamment la daurade royale et le bar. On pêche au lancer, au descendant et au montant, en plaçant le bateau au ras des piquets. Les poissons nageurs vont bien mais présentent l’inconvénient de pouvoir s’accrocher dans les cages. C’est la raison pour laquelle on peut préférer le leurre de surface ou le buldo suivi d’un bas de ligne et d’un anguillon de plastique. Ou encore un Big-Big, leurre mis au point par Ange Porteux pour Ragot et qui est aujourd’hui dédaigné. La mode joue un rôle écrasant dans la pêche sportive et les excellents leurres d’antan sont aujourd’hui mis au placard, souvent à tort.
Les épaves

A l’intérieur ou à l’extérieur du Bassin gisent un certain nombre d’épaves. Certains pêcheurs détiennent leurs coordonnées exactes et veillent jalousement sur leur carte au trésor. L’une des plus connues est le fameux chariot qui a servi à la construction du wharf de la Salie. On peut la trouver à proximité du ponton, même sans GPS, pour la bonne raison que les professionnels l’entourent de lignes de surface eschées de crabes. Il en existe une autre tout aussi repérable au large de la plage de Biscarosse.
Le problème avec l’épave, c’est qu’il faut opérer au mètre près. Et que le courant vous chasse vite.
Les brisants
C’est la pêche reine mais aussi la plus dangereuse car on pêche à ras des déferlantes. Il faut pêcher dans la « mousse » et le leurre ne doit pas avoir parcouru plus de cinq mètres avant d’être pris. Dès qu’il arrive dans l’eau bleue c’est fini. Un bar en action dans la mousse ne se préoccupe ni de la nature du leurre ni de sa couleur. Il saute dessus sans réfléchir. D’ailleurs comment pourrait-il réfléchir dans le tourbillon qui l’entoure ? Tout est sable, écume et confusion. C’est la raison pour laquelle il est inutile d’insister sur la mousse. Soit le poisson est là et vous l’attrapez, soit il n’est pas là et vous pêchez dans le vide.

Les bancs de sable
Le bar vient aussi se nourrir sur les bancs de sable de l’intérieur à marée montante et descendante. Point n’est besoin cette fois d’avoir un grand bateau. Un modeste canot suffit car la mer est toujours confortable. Curieusement les spécialistes du bar dédaignent les bancs de sable de l’intérieur alors qu’on y trouve souvent de grosses pièces. Les bancs qui se situent devant la jetée du Moulleau et jusqu’à la plage Péreire sont excellents.
Les techniques de pêche
Leurres de surface
Contrairement aux leurres métalliques ou même aux poissons nageurs qui doivent bouger pour séduire, les poppers sont souvent attaqués alors qu’ils sont à l’arrêt complet.

L’effet mode joue à plein. A une époque les pêcheurs de bars ne juraient que par le Sammy. Formidable astuce marketing, ce poisson en matière translucide avait le ventre plein de petites billes de métal. En tirant sur le leurre on les faisait s’entrechoquer. On reproduisait ainsi, disait-on, « les signaux de détresse » d’un poisson blessé. Carton plein pour le Sammy. Jusqu’au jour où quelques pêcheurs rentrés bredouille affirmèrent qu’en fait le bar s’était habitué au bruit et refusait le leurre. Déclin du Sammy.
Rien n’est plus excitant que de voir un gros bar se jeter sur l’ersatz dans un jaillissement d’écume. Pour m’amuser à reprendre un cliché qui me hérisse le poil car éculé au-delà du possible : « vous n’en sortirez pas indemne. »
Le leurre de surface donne bien quand le vent ride la surface. Vent faible et vent moyen. Si l’eau est totalement lisse, qu’aucune vaguelette ne l’anime, le poisson a tendance à suivre sans attaquer. Il peut même le faire couler d’un grand coup de queue.
Les leurres souples

Chaque année de nouveaux leurres souples apparaissent. L’un d’eux m’a conquis, je dois l’avouer, il y a quelques années déjà. C’est le Black Minnow concocté par une équipe bretonne. Steve Jobs a créé le Mac dans un garage. Ces gens-là ont fourbi le « Black » » dans le même local. Il faut croire que les vapeurs d’essence favorisent la carburation mentale. Ce qui frappe d’abord dans la conception du leurre c’est la matière, quelque chose de souple, de doux, prodigieusement réaliste. Quand on l’a dans la main on se demande si c’est un leurre ou une réalité. Tout cela nacré, avec un dos bronze ou bleu et un grand œil noir qui invite à la pêche.
Dans l’eau, c’est encore plus beau. Le leurre nage et virevolte et vous seriez bien en peine de dire s’il s’agit d’une imitation ou d’un véritable petit « coustut » (chinchard, en dialecte local).
Les poissons nageurs
Chaque année il en apparait de nouveau sans que l’efficacité soit forcément supérieure aux précédents. Il y en a pour tous les goûts : des peu plongeants, des très plongeants, des oscillants etc. La mode a longtemps été aux Lucky Craft, excellents au demeurant mais très chers. L’essentiel est d’avoir confiance dans son leurre.
Les cuillers
Ce sont les mal aimées de l’époque pour une raison simple : elles ne coûtent pas assez cher, pense-t-on, pour être efficaces. C’est vrai qu’une cuiller ondulante coute le tiers du prix d’un poisson nageur. C’est vrai aussi qu’elle n’est pas très ressemblante avec un poisson. Maintenant, dire que le bar fait la différence, c’est à voir. Bien manier une ondulante exige du talent. Ces cuillers ne sont plus gère utilisées dans les pays développés qui croulent sous les biens de consommation. C’est autre chose en Afrique ou à Cuba ou le pêcheur pauvre est bien content de les avoir sous la main.
La petite cuiller tournante « Angel » va bien elle aussi. C’est une palette suivie d’un anguillon de plastique. Très efficace, comme je l’ai dit, pour travailler au-dessus des parcs à huitres.
On peut aussi utiliser une cuiller argentée en eschant un ver marin sur l’une des branches du triple. Le poisson vient en curieux et finit par croquer la friandise.
A la mouche
Très séduisante, cette technique est peu pratiquée sur le Bassin. C’est très rare de voir un « moucheur » opérer en bateau ou du bord. Le matériel est semblable à celui employé pour pêcher la truite : une canne de neuf pieds, une soie DT n°5, un bas de ligne de deux mètres. Une canne puissante pour soie 7 à 9 sera préférable si on veut pêcher loin ou propulser contre le vent si nécessaire un petit popper dont l’aérodynamisme n’est pas la qualité première. Les imitations d’alevins, de petits crabes et de lançons sont les meilleures.
Au vif
C’est celle qui a le plus de succès car la plus rentable. Chaque matin, pendant l’été, ce sont des kyrielles de bateaux qui vont s’approvisionner en vifs le plus souvent en face de la grande dune. Ils les prennent avec un train de petites plumes, appelé « mitraillette », qu’ils descendent au fond. Il suffit ensuite de les animer avec un mouvement de canne. Les vifs sont majoritairement des « coustuts » c’est-à-dire des chinchards, mais on prend aussi des petits « grisets » (daurades grises). Le vif est là. Ou pas. Les jours fastes en trois coups de ligne on a de quoi pêcher toute une journée car on les remonte en grappes. Attention toutefois : la réglementation est souvent complexe concernant la pêche au chinchard. Restera l’athérine, mais qui a beaucoup moins de résistance au bout de la ligne. Comme la sardine d’ailleurs qui rend les armes très vite. Le « coustut » lui peut se promener 30 minutes au fond sans problème.
Aux appâts naturels
C’est surtout la seiche qui fonctionne, et plus particulièrement le « casseron » qui est la petite seiche entière.
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