Ouvrez la cage aux oiseaux
Mi-mai, la cage est ouverte ! Mon premier truc de fin de confinement c’est d’aller faire un saut au magasin de Cédric, pour le saluer et faire quelques achats de premières nécessités, financière pour le magasin et halieutique pour moi. Un peu de tresse, quelques leurres, un billet de 100 balles dont on ne savait que faire chez soi, même durant la pénurie de PQ ! A la caisse Cédric me dit qu’il faut qu’il pose des congés fin mai. Ça tombe bien, au boulot les ressources humaines me tannent aussi pour que je pose 5 jours de RTT d’ici juin. On s’accorde pour se caler une pêche ensemble, à bonne distance sociale.
Le premier jour de RTT, Cédric a finalement d’autres impératifs que d’aller à la pêche. Moi aussi. En théorie il faudrait que je tonde le jardin, taille la haie etc, ce qui ne m’empêche pas, en pratique, de charger et décharger le float-tube du coffre sur trois biefs différents, à la recherche d’un brochet ou de signes d’activité. J’y ai promené deux kilos de bouillettes toute la journée, pour finalement amorcer en fin d’après-midi un poste que j’ai l’habitude de pêcher, faute de manifestation de carpes ailleurs. Sur ce dernier bief, et bien que le temps soit radieux, un vent soutenu m’interdit de revenir à la voiture en palmant. J’accoste et rentre à pied, le float-tube sur le dos, par un petit chemin longeant la rivière. En arrivant à la voiture, je croise deux connaissances, Léopold et son papa. Son père et moi faisions partie du même club carpiste, il y a une vingtaine d’années. Léo m’apprend qu’il a prévu de faire une nuit sur le poste que je viens d’amorcer. Ni l’un ni l’autre ne pouvait savoir qu’on avait des intentions similaires, lui de nuit, moi de jour. Après toute la rivière est à tout le monde et comme on a tous besoin d’y retourner, autant se la partager en bonne intelligence. On parle de choses et d’autres, de l’école, du futur permis de conduire et forcément de pêche. Léo me dit avoir vu un amour sur ce poste, en grimpant dans un arbre pour l’amorcer, l’an dernier. La discussion en reste là, ou presque. Je conclus par un « merde » pour la nuit à venir.
Une volée de moineaux
Le lendemain Léo doit plier tôt, pour être au lycée à 9h. Avant cela il poste sur un réseau social quelques photos. Il a fait 4 carpes… Je suis content pour lui, mais à vrai dire assez peu enclin à prendre la suite. De son côté Cédric souhaite pêcher un poste qu’il amorce depuis le 11 mai.
Je traîne et n’arrive sur « mon » poste qu’un peu avant midi. Le premier montage est déposé en float-tube à 12 heures sonnantes, berge d’en face. Ici j’ai mes habitudes, comme de regarder en combien de temps ont lieu les premières touches. En règle générale il faut au grand maximum une heure, sinon c’est que les poissons ne sont pas là ou qu’il y a un truc qui cloche. Je reviens en palmant vers ma berge, pose la canne sur son support et prépare la deuxième canne. Je n’ai pas loisir de la tendre qu’un premier poisson a déjà rejoint l'épuisette. Je l’y laisse en guise de sac de conservation, après l’avoir libéré de l’hameçon, histoire de faire une photo lorsque j’aurai retendu la première ligne et tendu la seconde... A peine fait, la première canne démarre. Quelques dizaines de secondes plus tard c’est au tour de la seconde ! Assis dans le float, je cale le talon de la première canne dans le pli de l’aine gauche, passe l'avant-bras sous le blank, au-dessus du porte moulinet, pour saisir la manivelle de la seconde canne et sortir le poisson des frondaisons de la berge d’en face. Une fois amené en pleine eau, je cale le second talon dans l'autre pli de l'aine et empoigne le blank avec la main qui moulinait... pour libérer la seconde main et prendre une photo des scions. Ce fut un peu épique, mais en 15 minutes chrono, avec deux cannes, j’avais trois communes dans l’épuisette ! Au rythme des bips, Je traverserais ainsi une bonne trentaine de fois la rivière, finissant ce Luc Léger improvisé au pallier 12 vers 19 heures. 7 heures de pêche le cul dans l’eau, 12 poissons, sans compter les quelques carassins, c’est plus qu’il ne m’en fallait, pour remettre les pieds, à l’étrier. Cédric termine sa journée avec une douzaine de poissons également. De fait nous n’avons qu’une envie, l’un comme l’autre : remettre 100 balles dans le nourrain, ou dans le flipper, et s’accorder une nouvelle partie.
La poisse
Le lendemain matin je fais une grasse mat’ - c’est quand même un peu les vacances - avant de filer au magasin de Cédric, sans Cédric, faire un rapide réassort de pellets. Je prépare dans la foulée une quinzaine de chaussettes solubles (nombre impair car il y en a toujours une qui est passée on ne sait où), puis j’essaie de connecter ma GoPro à l’appli de mon smartphone, en vain. Hier un pote en vadrouille est passé me voir lorsque j’avais deux poissons dans l’épuisette. A peine reparti il est gentiment revenu sur ses pas, à ma demande, pour immortaliser une petite fully. Pour autant, je me dois d’être autonome, et en float rien ne vaut la GoPro pour faire les photos. Le hic c’est que j’ai beau insister, elle ne veut rien savoir.
Mon nouveau téléphone n’est pas compatible avec l’appli, ou un truc de geek qui me dépasse et qui a tendance à m’énerver quand j’y passe des heures carrées, au lieu d’être au bord de l’eau. Tant pis, je ferai sans. A 14 heures environ, je suis de prêt pour mon bain de siège quotidien prescrit par ma psy Rika. Le montage est à peine déposé que je prends un carassin. Bis repetita (« un autre » en langue vivante). Ce n’est pas forcément bon signe, ou ça ne sent pas bon devrais-je dire. D’une part parce que lorsque les carassins sont là, c’est souvent que les carpes n’y sont plus ou pas encore. D’autre part « ça pue » parce que le stock de chaussettes diminue à vue de nez (snif). Enfin, je dois multiplier les allers-retours, avec toujours ce petit vent de travers, qui porte à mes oreilles le bruit peu rassurant d’un moteur. Je traverse, en regardant bien à gauche puis à droite comme on me l’a appris. Je vois se rapprocher le bateau de l’IBSN (une grosse plateforme en alu avec une grue à grumes) que j’avais croisé en venant, amarré au bord de la route quelques kilomètres en amont. La paume de ma main essayant de le pousser vers l’autre berge, je lui signifie de s’écarter un peu. Le capitaine dévie gentiment, avant de s’arrêter une centaine de mètres en aval, pour y retirer un premier arbre couché dans l’eau. Avec dextérité, il l’attrape et le pose sur la barge, tandis que son second le débite à la tronçonneuse. Je ne devine que trop l’avenir qui se dessine. La barge va remonter en face de moi et retirer les embâcles sous lesquels je prenais les poissons. Bon, je me dis que c’est mort pour aujourd’hui et essaie de faire contre mauvaise fortune bon gré. Autant rester stoïque, je n’y peux rien et les agents de l’IBSN doivent bien faire, ce qu’ils font, leur boulot d’entretien de la rivière !
Le poisson
Une fois qu’ils ont (enfin) délaissé ce chantier, je retends à l’identique. Plutôt que de me dire que je n’ai aucune chance, je me dis que sur un malentendu… Allez comprendre, j’arrive à prendre trois petites communes avant qu’une touche dénote des autres. Je ferre un poisson qui roule en surface et me montre une longue robe dorée, du style de celles qui moulent le cul des andalouses. Je pense tenir une belle commune jusqu’au moment d’apercevoir ce qui les fait bouger. « C’est l’amour mour mour ! » Peut-être - sûrement - celui dont parlait Léo(pold Nord et vous). Un amour blanc, reconnaissable à sa micro dorsale, à sa longue silhouette et à sa gueule… d’amour ! J’ai desserré le frein et commence à faire un peu d’huile sur mon siège. Chaque fois que se rapproche l’amour, il repart de plus belle. Et comme les histoires d’amour finissent mal, en général, on pense tous à la même chose : pourvu que l’hameçon tienne ! Et il tint bon. Me voilà désormais avec un bestiau qui tend le filet de l’épuisette comme un mât tend le chapiteau… Bon, je vais faire comment sans ma GoPro, sans sac de conservation ? Oui comment faire ? Surtout lorsque l’autre canne démarre ! Ferres Forrest, ferres ! Sans prétention aucune, je vais avoir du mal mais je vais essayer de vous la faire courte. Sinon vous pourriez penser que je me prends pour Alphonse Daudet décrivant la chasse au lion de Tartarin de Tarascon, ou Eitchebest faisant le tuto du Tartare de ton carassin. Qu’importe le prisme ce qui y est pris n’est plus à prendre ! Je décroche l’hameçon de la bouche d’une petite commune, qui ne demande pas son reste pour filer.
Du coup, il n’y a plus rien à prendre, les deux cannes sont détendues… J’appelle Cédric à la rescousse, pour savoir s’il peut venir mes faire les photos. Je l’attends trois quarts d’heure, le temps qu’il fasse la route. C’est toujours long lorsqu’on attend. Pourtant, rejouant Tartarin pour qu’il accélère le pas, je lui avais dit que j’avais un amour d’au moins un mètre soixante dans la filoche.
Le lendemain, peu avant 10 heures, j’ai reçu un SMS de mon acolyte, dont voici le verbatim : « C’est peut-être moi qui aurai besoin d’une photo ce matin, je t’en dis plus dès que c’est au sac ». Cédric venait de toucher sur son amorçage de déconfinement une vieille et grosse miroir. 45 minutes plus tard je leur tirais le portrait, en long en large et en travers. Tout en respectant la distanciation sociale, on a même fait un selfie avec une boisson à base de houblon dont l’abus est dangereux pour la santé. Finalement - c’est peut-être aussi ça qui est bon - sur ce point le monde d’après ressemblera drôlement au monde d’avant : le bonheur ne vaut que s’il est partagé !
[1] Institut du Bassin de la Sèvre Niortaise