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Erase : repartir de presque zéro

L’amour pour la vie aquatique et la pêche m’envahissent depuis très longtemps. Je me suis naturellement spécialisé sur les grands lacs qui m’entouraient par facilité d’accès et soif de découverte. En une bonne décennie et des rencontres décisives j’ai réussi à attraper mes premières géantes de ces lacs et à avoir des résultats assez réguliers. J’avais ma jeunesse et le temps qui allait avec !

Ma principale préoccupation était de passer du temps au bord de l’eau, presque y vivre. Avec mes amis nous échangions et pêchions régulièrement ensemble pour com prendre tout ce qui se passait. Très organisés, nous gagnions du temps et nous avons découvert de nombreux spots sur les secteurs de nuit. Nous sommes parvenus à trouver des détails apparemment insignifiants, ou parfois même des spots au milieu de rien, des petits plus qui expliquaient notre réussite. Nous nous sommes interrogés et remis en question sur des sujets spécifiques comme les méthodes d’amorçage, la pêche en tresse ou à très grande distance. Nous étions au top dans l’art de la pêche en grand lac. Progressivement nous avons découvert que les poissons étaient vraiment capables de déserter à tout jamais certaines zones productives ou de se sauver d’un secteur quand nous y étions. Heureusement nous avions toujours quelques coups d’avance ici et là pour prendre quelques carpes.

Je réserve les cannes de faible puissance aux pêches très fines et généralement montées en nylon par souci de discrétion. 
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

Y consacrer du temps

Et puis là-dessus les années passent et des projets différents naissent. Je me suis formé pour mon métier, j’ai réalisé des travaux, j’ai des enfants… Malgré cela la pêche est restée en moi. Je n’y allais plus autant qu’avant mais suffisamment pour m’échapper le temps de souffler. C’était d’ailleurs frustrant car pêcher la carpe dans les lacs implique de s’y investir complètement pour obtenir des résultats valables. D’ailleurs, sans investissement, rien n’est vraiment acquis ou réussi dans la vie. Ce manque de temps m’a poussé à m’adapter et à revoir toutes mes techniques de pêche. Mais on ne change pas du jour au lendemain croyez-moi ! C’est difficile de sortir de sa zone de confort au bord de l’eau ! J’ai multiplié les échecs en voulant réaliser des pêches éclair de nuit, de jour en bateau, en modifiant les montages, rapetissant les appâts, le diamètre des lignes… Je suis passé à côté de bons résultats en ne sachant pas vraiment quand et comment modifier les choses. J’ai par exemple pêché avec du matériel léger où il n’y avait pas de poisson. Et dans ce cas, pas de miracle. Par manque de temps pour repérer, j’ai amorcé des zones que je pensais bouillantes mais finalement abandonnées par les carpes. J’étais sur une bonne voie avec mes idées, mais pas encore totalement au point, ni confiant. Le fait de pêcher seul est également un frein dans ce type de nouveau départ, car il s’agissait vraiment de tout reprendre à zéro pour mieux repartir.

Si vous constatez une différence, les carpes aussi… Lorsque toutes les conditions propices sont réunies, je pêche avec des montages ridiculement petits par rapport à mes standards ! 
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

Remise en question

Chacun de nous se remet en question selon ses propres capacités et à ce titre nous ne sommes pas égaux. Certains vont plus vite que les autres et aussi à des degrés différents. Certains resteront aussi campés dans leurs certitudes et resteront par exemple sur le même poste avec les mêmes montages toute l’année parce qu’ils y ont cartonné autrefois. La remise en question, cette capacité à s’interroger pour mieux repartir est une prise de risque sans gravité. On a tous le droit d’être curieux et de vouloir élargir sa vision, ce n’est qu’une question de volonté. C’est pour cette raison que la pêche est aussi une bonne école de la vie, à tout âge. Et je peux vous dire qu’à mon âge, il y a eu un paquet d’anecdotes de pêches un peu foirées, que je vous épargnerais. Le plus gros décrassage de mon disque dur de pêche a débuté il y a environ six ans, avec mon amitié avec Lilian Joly. Lilian a une expérience de pêche très différente de la mienne et des pêcheurs que je côtoie régulièrement. Il a davantage de maîtrise sur notre impact envers les poissons, son sens des amorçages et des appâts est chamanique et il pêche des endroits différents des miens. Il avait commencé à m’ouvrir les écoutilles !

Cette miroir sauvage de 28,2 kg aura cintrée ma petite canne durant un long moment, mais l’issue du combat s’est finie dans l’épuisette.
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

Le partage est essentiel

Un jour Lilian avait organisé une rencontre entre équipes CCMOORE et NASH. Elles pratiquaient chacune à leur manière une pêche spécialisée dans laquelle elles excellaient. Lors de ce rendez-vous je me suis nourri des échanges pour commencer à gamberger et réfléchir à d’autres possibles. J’ai notamment reçu des conseils très avertis de Laurent Valette. Je venais justement de lire son livre « une vie de pêcheur de carpe » et je pouvais alors mieux comprendre comment il s’y prenait pour pêcher, généralement en gravière. En reprenant les bases de Laurent, je pêche le plus souvent possible à deux cannes pour réduire le bruit des lignes dans l’eau et si cela est opportun, sur le même spot. Si le site le permet, je pêche en nylon, avec des montages et des esches qu’on pourrait penser faits pour la grosse friture. J’évite au maximum l’échosondeur, le bateau, le moteur électrique et si j’ai tout repéré à l’avance, je lance du bord. Déjà rien que la modification de ces détails a considérablement augmenté mes résultats et la moyenne des captures, car les carpes les plus lourdes sont souvent les plus âgées et les plus expérimentées.

Deuxième poisson de cette nuit incroyable. Une commune de 28,8 kg piégée par une minibouillette.
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

Et le repérage dans tout ça ?

Bien évidemment, le plus important restera toujours le repérage. Je passe énormément de temps à observer et parfois à réaliser de petits amorçages pour vérifier s’ils ont été consommés ou pas. De cette façon je ne suis pas vraiment inquiété par les silures ; j’ai remarqué qu’ils étaient majoritairement occupés par les écrevisses ces dernières années. Même les pêcheurs de carnassiers qui les recherchent rencontrent des difficultés à les capturer. Depuis mes premiers nouveaux pas, je continue d’apprendre. Les capots sont toujours au rendez-vous évidemment, mais les belles pêches aussi. Au printemps 2023 mon projet principal consistait à pêcher un lieu de rencontres coquines entre carpes prêtes à frayer. Je le connais bien, mais fallait-il encore tomber au moment où les poissons allaient arriver. Je n’avais pas d’autre choix que de me rendre sur ce lieu le week-end, pour une ou deux nuits en famille. D’ailleurs à ce propos, là aussi j’ai dû réadapter pas mal de choses pour que tout le monde puisse être au bord de l’eau sans tomber dans le camping moche ! Les deux premiers week-ends ne m’avaient pas du tout été favorables, malgré les journées chaudes. Certaines carpes avaient certainement déjà frayé dans les alentours. Le troisième week-end, je disposais d’une seule nuit pour conclure. Il y avait étrangement très peu d’herbe par rapport aux autres années et le terrain était exempt de souches.

La pêche a deux cannes rend les choses plus simples et nous gagnons en discrétion. 
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

Deux cannes sinon rien

Tout comme les deux précédentes sessions, j’avais donc emporté deux cannes rétractables de 10 pieds et de 2,25 lbs pour pêcher très fin, en nylon. Mes montages étaient composés d’un plomb in-line de 65 grammes, d’un fluorocarbone de 35 lbs et d’un hameçon de taille 9. Au bout d’un petit cheveu pendait une bouillette dure taillée au couteau (ou avec les dents selon le parfum) de dix ou douze millimètres. Je ne pouvais pas être plus discret. Les cannes pêchaient deux endroits espacés de quelques mètres dans la même profondeur, sur une bande de gravier qui se termine par de la glaise. Tout avait été lancé du bord et amorcé à la fronde. Même si les poissons ne semblaient pas présents, je tenais à mettre tous les avantages de mon côté. Il ne faisait pas particulièrement beau et les poissons avaient peut-être déjà frayé ? Mais dans la nuit, les premiers bips que je pensais venir d’un blanc, se sont tout de suite accélérés. Le poisson partait au large très facilement et je ne faisais qu’attendre qu’il se fatigue avec ma « nouille » entre les mains ; car oui, tenir une carpe avec une canne de cet acabit revient à cela.

La pression de pêche assez significative sur nos eaux se ressent sur notre pêche. Nous devons sans cesse nous interroger sur notre pratique pour réussir, et quelque chose me dit que le meilleur reste à venir !
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

Un peu de puissance

Mais en pêchant aussi finement il ne serait pas raisonnable de prendre des cannes plus puissantes puisque les hameçons se décrocheraient systématiquement. Les choses sont devenues intenses quand le poisson commençait à donner les premiers signes de fatigue en revenant près du bord. Malgré le monofilament je parvins à ressentir la puissance et le poids de cette bagarreuse qui en tirant à droite m’obligeait à me déplacer assez loin sur la berge. Mon moulinet s’est plusieurs fois retrouvé presque à poil de nylon. Au bout de peut-être trente minutes j’épuisais une longue miroir, la souche géante de ce lac. Elle pesait plus de vingt-huit kilos et me comblait car j’avais touché au but, avec trois fois rien comme matériel. Quelques heures plus tard l’autre canne démarrait. Le combat était lourd, mais différent. Les poissons étaient donc là, mais pas pour frayer et je pense être arrivé en retard au rendez-vous des amoureux. Le lac était tout de même très calme comparé à la brutalité des deux poissons. Après plusieurs tentatives pour m’échapper, j’arrivais à glisser un nouveau monstre dans le filet. Cette fois c’était une commune boule blanche incroyable que je tenais dans les mains. L’épuisette ouverte posée à la surface lisse, je prenais mon temps pour admirer et toucher ce qu’il y a de plus beau sous la surface de cette eau. Elle était d’une épaisseur incroyable et n’avait probablement pas frayé vu son ventre gonflé. Cette carpe de 28.8 kg était parfaitement piquée. L’hameçon n’avait pas dérapé et la canne souple, alliée au nylon, avait absorbé tout ce qu’il fallait. Laurent avait raison, dans cette pratique, tout doit être adapté. Le jour se leva et la session prit fin. Qu’il fut long le chemin pour atteindre ce genre de résultat ! Cette anecdote est une pépite parmi d’autres dans un vaste chantier que j’ai mis en place pour être plus efficace au bord de l’eau. La finesse et la discrétion jouent leur rôle et je suis impatient de vous dévoiler progressivement encore bien d’autres possibilités pour gagner en efficacité.

Certes les carpes ont de grandes gueules et nos appâts traditionnels y passent largement. Cependant ces « gouffres » permettent aux poissons d’aspirer d’importantes quantités de différents substrats comme le sable, la vase afin de f iltrer leur nourriture de taille généralement microscopique. Face à des poissons rusés par leur crainte, j’aime utiliser les petits appâts, des petites bouillettes, des micrograines voir des farines.
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

Ma conclusion

Avec le recul, je pense que la meilleure recette pour se remettre en question consisterait à s’autoriser à redevenir un débutant ; et il n’y a rien de honteux à l’être. À ce sujet, qu’est ce qui donne envie de pêcher à un néophyte ? Les gros poissons ? C’est un leurre ! Le matos, le camping, boire des coups ? Ce qui devrait d’abord tous nous animer c’est la Nature et sa biodiversité, avoir envie d’y vivre le plus chichement possible, en tomber amoureux et vouloir la préserver et pourquoi pas s’impliquer pour agir. Et puis quelque part dans tout cela, il pourrait germer cette envie d’en découdre avec des carpes, un poisson plutôt discret et normalement plutôt rare dans nos eaux. Tellement rare que chaque capture doit être considérée comme un trophée.

Les petits appâts, même en plastiques ne sont pas à négliger !
Crédit photo : Jean-Pierre Becker

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