(Textes et photos de Steffen Schulz)
On se demande souvent à quelle profondeur pêcher, à quelle vitesse, avec quel leurre… mais on oublie un paramètre tout aussi important: la distance. L’expert allemand des carnassiers Steffen Schulz nous explique comment prendre en compte cette donnée déterminante.
Ne t’approche pas de moi ! Tout le monde a déjà entendu ou prononcé cette phrase.
L’anthropologue et ethnologue américain Edward Hall distingue quatre zones de distance, qui régissent nos rapports sociaux : la zone de distance intime, la zone personnelle, la zone sociale et la zone publique. Elles vont de 60 cm à 3,50 m de la personne concernée. Bien sûr, cela diffère selon les cultures.
En Amérique du Sud et dans les pays arabes, par exemple, les hommes ont plus de proximité. Mais quel est le rapport avec la pêche, me direz-vous ? Lisez la suite … vous serez peut-être étonnés, et vous vous souviendrez de mon article à chaque sortie, je vous le promets.
En tous cas, l’idée que je vais vous détailler fut pour moi une grande découverte …
Petite cause, grand effet
Entre le succès et l’échec à la pêche, de nombreux facteurs sont décisifs. Ca se joue parfois à pas grand chose, par exemple, si tous les pêcheurs pêchent en lançant vers le bord, il est parfois judicieux de pêcher du bord, ou en lançant parallèlement à la rive.
Ce genre de petit détail suffit à transformer un capot en journée de rêve. Comme je baigne presque exclusivement mes leurres et streamers dans des eaux très pêchées, j’ai pu apprendre beaucoup de ces petites astuces, et j’ai compris que l’une des plus importantes était… la distance.

Éviter l’effet d’effarouchement
En principe, tous les pêcheurs en rivière savent que plus on est proche d’un poisson, plus il se méfie. Tels des Indiens, ils se faufilent parfois en rampant (cf. Les conseils de Nicolas Germain sur la nymphe à vue, ndlr), se font aussi petits que possible pour ne pas „spooker“ un poisson.
Pour les premiers lancers, il est généralement judicieux de pêcher à proximité. Que ce soit au ruisseau, en rivière ou en lac, il faut éviter de lancer directement le plus loin possible, car si l’on touche et combat un poisson au loin, on fera fuir tous ceux qui sont plus proches de nous.

Les pêcheurs en bateau ont en outre un effet d’effarouchement plus important que les pêcheurs du bors, en kayak ou en float-tube.
Un bateau est plus grand, projette plus d’ombre, le moteur fait du bruit… autant de facteurs qui peuvent minimiser les chances de capture lors de journées difficiles ou dans des eaux où la pression de pêche est importante.
Il est donc judicieux de ne pas faire tourner le moteur électrique au maximum, ou d’éviter l’emploi d’une ancre flottante. Il peut également être intéressant de réduire la puissance du moteur à essence lorsque l’on s’approche des hot pots.
Les exceptions confirment la règle; il suffit de penser aux Muskies qui chargent souvent le leurre jusqu’au bateau, et l’attaquent quand le pêcheur fait des 8 avec la canne, au ras de la coque !
Le live ouvre de nouvelles possibilités
La technique du live, dont on parle beaucoup en ce moment, m’a ouvert les yeux à bien des égards et m’a révélé l’astuce principale que je vais vous partager dans cet article.
J’utilise pour m apart mon GPS Garmin Maß 8410 XSV avec une sonde DVA 34 exclusivement en mode frontal, c’est-à-dire en mode anticipation.
Pour la pêche à la perche, je regarde à environ 22 m derrière moi lorsque je navigue avec mon float tube, et je cherche des structures. C’est en pêchant la perche que j’ai eu le déclic …

Étude de cas du jour X
Depuis quelques années, ce n’est plus un secret que les grands lacs néerlandais sont un véritable eldorado pour la perche, surtout en hiver. Ce boom de la perche a laissé des traces et les perches sont désormais assez éduquées.

Par une froide journée de décembre, j’étais donc parti traquer les perches avec ma canne à mouche.
J’ai scanné le premier spot prometteur et peu de temps après, j’ai aperçu un groupe de perches, toutes de plus de 45cm, qui se tenait à 18 mètres, juste au-dessus du fond.
En cette journée calme, j’ai donc arrêté le moteur, tourné en direction des perches et lancé à environ 15 mètres.
La mouche est descendue vers les poissons et une fois à 4 mètres d’eux, je commence à faire des strips, c’est-à-dire à tirer lentement le streamer vers moi.
Immédiatement, la première perche lève la tête, puis la deuxième. Les deux suivent le streamer, j’attends la touche, surtout lorsqu’une troisième se joint au jeu. Personne ne mord.
Sur tous les spots suivants, même histoire.
Changement de zones de distance
Je m’étonne, je ne suis pas forcément désespéré mais agacé que personne ne morde. Ce n’est pas la faute de mon streamer, je le sais.
Le choix du leurre est bien plus décisif en pêchant au lancer qu’à la mouche. Je décide de revenir sur tous les spots et de laisser le streamer tomber au milieu des perches.
Pour que cela fonctionne, il faut s’approcher au plus près des poissons. C’est ce que je voulais éviter au départ, pour ne pas les effrayer ou pour passer inaperçu.
Je m’approche du banc du début, et à 6-8 mètres, je passe par-dessus puis laisse mon streamer tomber à environ 1 mètre au-dessus de leurs têtes.
Les perches réagissent immédiatement, trois puis cinq d’entre elles me suivent. Je le laisse descendre, une forte tirée, une pause de 2-3 secondes et soudain POCK ! C’est au bout !
Comme dirait Edward Hall, je suis passé de la zone de distance publique à la zone de distance personnelle des perches, avec succès.
Ce jour-là, j’attraperai de cette manière neuf autres grosses perches, la plus grosse mesurant 52 cm.

Analyse de la distance
Comment se fait-il que des poissons aussi éduqués ne se laissent capturer qu’en s’en approchant fortement ?
Tout d’abord, cette approche me permet de présenter mon appât plus longtemps et plus lentement dans la zone à proximité des perches. Comme si je pêchais en verticale.
Grâce à l’angle plus prononcé, je peux maintenir le leurre plus longtemps parmi les poissons, et mieux contrôler la vitesse de descente.
A distance, le leurre, qu’il s’agisse d’un leurre souple ou d’une mouche, se déplace de manière plus linéaire.
A la mouche, on peut aussi jouer avec des soies plongeantes, mais c’est souvent moins efficace. Au leurre dur, c’est évidemment différent.
Deuxièmement, la distance réduite avec les perches permet à plusieurs poissons de voir le leurre en même temps et de le suivre.
Les poissons inertes ont tendance à ne pas suivre un leurre seul au-dessus d‘eux. Mais si plusieurs perches se retrouvent derrière l’appât, la compétitivité alimentaire augmente considérablement et, au bout d’un moment, fait craquer l’un des poissons.
Soudain, j’ai compris pourquoi certains pêcheurs à la verticale faisaient de vrais cartons de perches. En règle générale, le lancer est TOUJOURS plus efficace, mais seulement si l’on a trouvé la distance.
L’avantage offert par la pêche de proximité est donc supérieur à celui offert par la distance. Pour les perches, la règle est claire : le manque de distance peut provoquer des étincelles ! (Citation d’Erich Limpach, poète et écrivain allemand) Mais qu’en est-il pour le brochet et le sandre ?
Percidés de près, brochet de loin !
Avec les sandres, c’est comme avec les perches. Ces percidés grégaires aiment la proximité, et sont peu sensibles à notre approche. Les brochets, en revanche, préfèrent qu’on ne s’approche pas d‘eux.
Les poissons les plus gros suivent longtemps avant de mordre. Lancer à distance vers des nénuphars ou des roselières rapporte plus que pêcher de près.
Les brochets veulent suivre, et on a plus de temps pour les convaincre de mordre en les pêchant de loin. De plus, la pêche au live donne un feed-back direct sur les animations qui plaisent et celles qui font fuir les poissons.
Toutefois, si l’eau est trouble, le leurre ne fonctionne généralement plus d’aussi loin, et il faut littéralement se mettre à l’affût du poisson. Il en va de même dans l’obscurité.
Ceux qui pêchent sans le livescope peuvent également en tirer des conclusions, en pêchant les spots prometteurs de cette même manière.
La deuxième distance
La deuxième distance à laquelle il faut penser, en plus de celle entre le pêcheur et le poisson, est celle entre le leurre et le poisson.
Les pêcheurs en dropshot connaissent bien cet effet : lorsque vous augmentez ou diminuez la distance entre le plomb et l’appât, cela peut faire toute la différence.
Bien entendu, la technique du livescope donne ici des informations géniales. Mais on peut aussi mettre en pratique ce que l’on sait ou ce que l’on a appris sans sondeur, en pêchant des postes marqués, avec des leurres de différents poids, donc à différentes distances.
Lorsque les prédateurs sont actifs, ils parcourent plusieurs mètres pour attraper un leurre. Lorsqu’ils ne le sont pas, mieux vaut les chercher de près.
En règle générale, c’est la turbidité de l’eau qui est déterminante. Les brochets détectent les leurres de loin. J’ai attrapé un brochet de 115 cm à l’été 2023, qui se trouvait à 12 mètres de profondeur et qui avait déjà perçu le streamer à 2 mètres sous la surface.
Si l’appât est trop proche du poisson, on peut aussi le faire fuir. Quelques centimètres séparent la touche de la fuite…
Et la couleur ?
La couleur aussi a un lien avec la distance. Dans une eau claire, les coloris de leurres naturels et discrets peuvent s’approcher des poissons sans les gêner.
Si l’on présente à l’inverse un leurre fluo de trop près, on risque de provoquer des fuites. Est-ce pour cette raison que les couleurs naturelles sont en général plus efficace ?
Sans livescope, il est impossible d’évaluer ce genre de choses. C’est du moins ma première impression, mais je suis encore en train d’observer beaucoup de choses, et je me ferai une opinion définitive plus tard !
Pour moi, ma façon de pêcher a changé le jour où, en plus des questions habituelles sur la météo, la pression de pêche ou l’heure, je me suis demandé si je pêchais à la bonne distance du poisson. Essayez vous-aussi !
A quelle distance pêcher quel carnassier ?
| Zone de distance intime (au plus près du poisson) | Zone de distance personnelle (un peu plus loin) | Zone de distance sociale (à bonne distance) | Zone de distance publique (loin du poisson, plusieurs mètres) |
| Tous les carnassiers, la nuit et par forte turbidité | Généralement des perches, surtout les jours difficiles | Perches très actives | Brochets, surtout les spécimens de grande taille. |
| Perches par forte turbidité due aux crues | Sandres pendant la journée | Sandres actifs |
Retrouvez Steffen Schulz sur son instagram : https://www.instagram.com/steffen_schulz_flyfish/