Dès que la profondeur moyenne d’un milieu excède quelques mètres, on peut commencer à observer une répartition des poissons par couches d’eau. Mais c’est surtout dans les grands lacs, où elle peut atteindre 5, 10, 20 m et plus, que ce phénomène devient critique puisque le risque est alors grand de perdre son temps à prospecter des couches d’eau vides de tout poisson (du moins de l’espèce recherchée) ou trop faiblement peuplées pour être intéressantes, ou bien encore peuplées seulement de petits sujets (répartition différenciée par tailles). C’est cette fameuse « troisième dimension » propre à ce type de milieu, qui complique les prospections et alimente les spéculations. Pour être honnête, ces histoires de « bonne » profondeur concernent plus le pêcheur embarqué (bateau, float-tube, kayak, etc.) que celui qui pratique du bord. Ce dernier est en effet limité dans le choix de la profondeur prospectée et ne dispose pas d’un échosondeur donnant des indications, quoique les sondes à lancer, de type Deeper, aient tendance à être de plus en plus utilisées.
Deux piliers
Néanmoins, même du bord on devrait accorder de l’importance à la profondeur de tenue des poissons, ne serait-ce que pour choisir son secteur de pêche, sa distance de lancer, le type de poste ou de technique à privilégier, etc. La quête de la bonne profondeur s’appuie sur deux piliers : une bonne connaissance des comportements des poissons (biologie) et une approche technique cohérente (prospection). La théorie et la pratique, donc. Nous aborderons ici le premier aspect, le second sera bien sûr abordé dans un autre article. Si, comme toujours à la pêche, rien n’est gravé dans le marbre, il existe des tendances assez fiables. Les exceptions ne sont pas rares mais on ne construit pas une méthode logique et efficace en se basant sur des cas particuliers, il faut juste se souvenir qu’ils existent. Parmi ces principes, deux se vérifient très souvent : la profondeur de tenue change avec les saisons d’une part, et d’autre part avec la clarté de l’eau. Ces deux règles obéissent à l’influence de certains paramètres essentiels : température, préférences biologiques, reproduction, chaîne alimentaire...
La température
Dans un milieu profond, la stratification thermique, c’est-à-dire la température de l’eau en fonction de la profondeur, évolue avec la saison pour passer par quatre phases distinctes du printemps à l’hiver (voir encadré).
Températures des eaux : les quatre saisons
- Printemps : réchauffement des couches superficielles avec des couches profondes restant froides et (a priori) moins hospitalières.
- Été : réchauffement progressif des couches profondes peu à peu plus confortables, tandis que les eaux de surface peuvent devenir trop chaudes. Formation d’une thermocline qui se stabilise vers 15-20 m en général.
- Automne : refroidissement des couches de surface qui redeviennent plus confortables. Le refroidissement des eaux profondes, progressif ou brusque (turn over), entraîne la disparition de la thermocline.
- Hiver: température homogène sur toute la colonne d’eau, à l’exception de la couche de surface qui fluctue de quelques degrés selon la météo.
On comprend facilement les raisons pour lesquelles on trouve plus facilement du poisson peu profondément au printemps et en automne et pourquoi il a tendance à s’enfoncer l’été. Mais il est difficile d’expliquer pourquoi il cherche la profondeur en hiver, quand la température est la même à tous les niveaux. On lit parfois qu’en hiver l’eau serait un peu moins froide en profondeur mais pour avoir fait de nombreux relevés de température hivernaux dans différents biotopes profonds, je peux affirmer que c’est faux (sauf cas particulier type résurgence profonde).
Les zones intéressantes
Quoi qu’il en soit, ce qu’il faut retenir c’est que, typiquement, les carnassiers se tiennent moins bas au printemps et en automne qu’en été et en hiver, encore que cela mérite d’être tempéré en fonction des espèces et des classes d’âge. Les zones peu profondes et en pente douce sont donc souvent plus intéressantes au printemps et en automne. L’été et l’hiver, les zones plus abruptes avec rapidement de bonnes profondeurs sont généralement mieux peuplées. Par ailleurs, les juvéniles étant bien plus tolérants que les adultes aux hautes températures, on les trouve souvent dans très peu d’eau au plus chaud de l’été. La nature est bien faite, c’est là que leurs chances de survie sont les meilleures. Cela explique aussi pourquoi celui qui en été fait les bordures, les plages et les fonds de baies se contente souvent de brochetons, petites perches et sandrillons.
La carté de l'eau
Le second principe est que plus l’eau est claire, plus les poissons ont tendance à se tenir en profondeur (eaux calcaires, lacs alpins, par exemple). Deux raisons à cela : une intolérance aux fortes luminosités et le fait qu’une eau de surface très claire est pauvre en plancton qui peut se tenir plus bas, entraînant avec lui toute la chaîne alimentaire à sa suite. Là aussi, c’est variable selon les espèces et on sait bien que le sandre est plus gêné par la lumière que le brochet.
Mais ce qu’il faut retenir, c’est que quand l’eau est trouble ou teintée, il est fréquent que les carnassiers montent de plusieurs mètres ou se tiennent même dans très peu d’eau. C’est important parce que dans beaucoup de grands biotopes, on trouve des zones plus ou moins claires au même moment. En lac de barrage, il est classique d’avoir des eaux plus teintées près des arrivées d’eau et en fond de baie (zones limoneuses riches) que vers la zone profonde proche de l’ouvrage, souvent rocheuse et moins affectée par les coups d’eau. Il en résulte que dans un même milieu et le même jour, la profondeur de tenue peut varier de plusieurs mètres selon les secteurs.
Le garde-manger
Une troisième règle plus complexe est que cette profondeur moyenne de tenue est souvent liée à la ressource alimentaire. Dans le cas des carnassiers, ça veut dire l’espèce de poisson fourrage dominante. Complexe parce que les tenues du fourrage lui-même sont fluctuantes et qu’il est bien rare qu’il n’en existe qu’une seule espèce. La règle est plutôt de disposer de plusieurs niches alimentaires dans un grand biotope avec des espèces ou des individus se spécialisant sur un type de proie. Mais globalement, si la perche-soleil ou l’ablette sont les proies dominantes, les carnassiers chasseront forcément moins en profondeur que s’ils en ont après la perchette ou l’écrevisse.
Grégarisme, pélagisme
L’ablette a en outre la particularité, de par son mode de vie souvent en pleine eau, de générer des comportements pélagiques chez les carnassiers, ce qui n’est pas le cas de la perche-soleil ou de l’écrevisse. Certaines espèces, comme la perche et le sandre, ont également des comportements grégaires pélagiques lorsqu’ils sont au stade juvénile abandonnés en grandissant.
En période de reproduction
Cas à part, la période printanière de reproduction est la seule pendant laquelle la tenue des carnassiers est déconnectée de la chaîne alimentaire. Ils ne se positionnent pas en fonction de la présence de proies mais uniquement selon cet impératif biologique. Au sortir de l’hiver, il est donc fréquent de trouver des carnassiers sur les bordures alors même que le fourrage dont ils se nourrissent est resté en profondeur. C’est même un classique dans les lacs profonds plus longs à se réchauffer.