Texte de Thierry Bruand, photos CNR
En 2012, « les chasses du Rhône » – ainsi appelées par le grand public – avaient constitué un traumatisme pour le monde de la pêche, en raison d’impacts environnementaux jugés inacceptables, notamment du fait d’une coordination difficile avec la Suisse. Un protocole établi en 2016 a ensuite posé un cadre plus strict. Les campagnes de 2016 et 2021 ont montré des progrès tangibles, bien que ces interventions restent, par nature, très perturbantes pour les milieux. Que retenir de l’édition 2025 ?
Les APAVER – pour « Abaissements PArtiels de la retenue du barrage de VErbois » – sont des opérations de gestion sédimentaire menées tous les 3 à 5 ans sur le Haut-Rhône, à la frontière franco-suisse.
Elles consistent à abaisser temporairement la retenue du barrage de Verbois, situé à quelques kilomètres en aval du lac Léman, afin d’évacuer les centaines de milliers de mètres cubes de sédiments charriés chaque année par l’Arve, affluent particulièrement turbide du Rhône.
Leur objectif est de limiter les risques d’inondation dans les quartiers bas de Genève. Ces opérations impliquent également les six retenues françaises situées en aval, qui s’enchaînent entre Génissiat, en amont, et Sault-Brénaz, près de 100 km plus bas, toutes gérées par la Compagnie Nationale du Rhône (CNR).

Les enjeux piscicoles
Mais cette gestion du fleuve, rendue nécessaire par l’urbanisation et les besoins énergétiques, reste un exercice d’équilibriste.
Déclencher artificiellement le transit sédimentaire sur une courte période – l’équivalent de plusieurs années de dépôts évacués en une dizaine de jours – soulève des questions de sûreté, mais perturbe aussi inévitablement les écosystèmes aquatiques!
Pour les poissons et les pêcheurs, les APAVER représentent un moment critique : baisse du niveau d’eau, forte turbidité temporaire, déconnexion de certaines lônes ou bras secondaires, perturbation du frai pour certaines espèces… Autant de facteurs susceptibles d’impacter gravement les habitats et les populations piscicoles.
Pour limiter ces effets, des seuils de concentration en MES (matières en suspension) ont été fixés selon les normes françaises :
5 g/l en moyenne sur l’ensemble de l’opération et des pics tolérés à 10g/l pendant 6 heures consécutives et 15 g/l sur 30 minutes.
C’est sur cette base qu’a été conduite la campagne 2025, du 15 au 26 mai.
Ces opérations nécessitent également d’ajuster les niveaux des lacs Léman, d’Annecy et du Bourget – tous reliés au Rhône.
Le flux de sédiments est orienté en priorité vers les sections canalisées du fleuve, afin de préserver au mieux les trois Vieux-Rhône de Chautagne, Belley et Brégnier-Cordon, identifiés comme zones sensibles.

Pêche de Sauvetagedans le Vieux Rhône de Chautagne – les poissons d’une mare déconnectée en aval du barrage sont récupérés.
Le déroulement des opérations
La campagne 2025 a atteint les objectifs fixés : 1,6 million de tonnes de sédiments ont été évacuées, avec un taux moyen de MES limité à 3,4 g/l, donc, en dessous des seuils réglementaires.
Contrairement à l’édition 2021, marquée par des pics de turbidité critiques, aucune bouffée majeure n’a été relevée cette année.
Une météo favorable – avec une température de l’eau ne dépassant pas 15 à 17°C dans les Vieux-Rhône – a aussi contribué à limiter le stress et la mortalité piscicole.
Sur les 130 km du Rhône français, environ 700 kg de poissons ont été sauvés par capture au filet ou pêche électrique dans les mares temporairement déconnectées.
En parallèle, les observations de terrain, renforcées cette année par une équipe de dronistes, font état d’environ 100 kg de mortalité, principalement due à des échouages dans des zones inaccessibles. Ce chiffre, communiqué par la CNR, reste approximatif : basé sur des observations ponctuelles, il ne reflète ni les pertes dans le flux sédimentaire ni celles dues à la prédation.
Toute extrapolation serait scientifiquement infondée. Comme le souligne Alain Devaux, ancien chercheur de l’INRAE et représentant scientifique au sein du comité décisionnel 2025, « il est illusoire d’appliquer un coefficient multiplicateur à ces données, faute de base méthodologique solide ».

Rester mobilisés
Une nouvelle étude d’impact va être engagée par la CNR dans les prochains mois, en vue de renouveler l’arrêté préfectoral des prochains APAVER. Ce nouveau cycle de réflexion explorera plusieurs scénarios pour leur organisation, notamment en ce qui concerne les périodes d’intervention, à la lumière des évolutions climatiques récentes.
Lors de l’enquête publique, les pêcheurs devront saisir cette occasion pour faire entendre leur voix. Une information plus détaillée, incluant une cartographie claire des zones interdites à la pêche durant les opérations, serait souhaitable.
Certaines gravières ou annexes déconnectées pourraient rester ouvertes à la pêche si aucun risque n’est identifié.
Un meilleur suivi scientifique des populations piscicoles sur le temps long notamment des tronçons de Rhône canalisé, jusqu’ici peu étudiés, serait également pertinent.
En guise de conclusion
On ne peut nier que la CNR collabore activement avec les fédérations de pêche et déploie d’importants efforts pour limiter les impacts : respect du protocole de dilution, suivi environnemental à court et moyen terme, abaissement progressif des niveaux, observation par drone, sauvetage piscicole, etc.
Toutefois, l’hydroélectricité, bien qu’issue d’une source d’énergie « renouvelable », n’est pas pour autant une énergie « verte ». Elle transforme profondément les cours d’eau et impose des opérations d’entretien aux conséquences écologiques majeures.
Elle a donc un coût environnemental concret, que nous devons garder à l’esprit à chaque kilowatt consommé.
NOTA BENE 1 : Le témoignage de Jean-Marc Girault, président de l’AAPPMA de Yenne et élu à la fédération de pêche de la Savoie
« Nous nous sommes mobilisés pendant tout au long des opérations et j’ai suivi pendant deux jours le comité décisionnel environnemental, qui réunit des membres de la CNR, des scientifiques et la fédération de la Savoie suppléée de celle de l’Isère. Le secteur où nous disposons du droit de pêche – le vieux Rhône de Belley – est relativement peu impacté par la gestion sédimentaire puisque la CNR parvient à faire transiter les MES entièrement dans le Rhône canalisé.
Mon secteur est alors alimenté par les eaux du lac du Bourget (dont le niveau a été préalablement relevé) via le canal de Savières. Notre rôle consiste à éviter que la baisse temporaire du niveau ne piège des poissons dans certaines lônes, grâce à des pêches de prévention ou de sauvetage.
Je me suis également rendu sur le vieux Rhône de Chautagne, plus en amont, où ces possibilités n’existent pas. Près de Seyssel (74), nous avons constaté une mortalité regrettable mais limitée : des poissons piégés par la baisse des niveaux. »
NOTA BENE 2 : A l’aide !

La participation des pêcheurs, pourtant tous membres d’AAPPMA, est restée étonnamment faible. Malgré les appels à bénévoles lancés en amont par les fédérations, très peu ont répondu présents pour suivre les opérations de terrain.
Un constat d’autant plus amer que, comme en 2021 (voir l’article), les réseaux sociaux se sont rapidement enflammés à la moindre image de mortalité piscicole. Or ces photos, souvent postées sans localisation précise ni transmission aux instances compétentes, auraient pu être bien plus utiles si elles avaient été partagées de façon structurée aux fédérations avec un minimum d’informations précises.
Elles auraient permis des interventions ciblées – voire de constituer un retour d’expérience utile pour les opérations futures.
Difficile, enfin, de ne pas relever un certain paradoxe : dénoncer les effets de l’hydroélectricité tout en communiquant frénétiquement via des outils numériques… qui fonctionnent à l’électricité.