Qu’on la nomme plombier, gambe ou sondée, la pêche des corégones est longtemps demeurée une affaire de spécialistes locaux. Mais depuis quelques années, on assiste à un véritable et assez étonnant engouement.
Un vrai phénomène
C’est en effet par centaines que l’on compte désormais les bateaux sur les lacs du Jura, des Alpes ou du massif des Vosges. Lors de l’ouverture, dans le Jura, nous étions plus de vingt pêcheurs du Morvan à nous retrouver sur le lac de Chalain… au milieu de plus d’une centaine d’embarcations ! Il en avait été de même quelques semaines auparavant sur le lac du Bourget en Savoie. Comment expliquer que cette pêche traditionnelle, très localisée, soit devenue une activité appréciée par un si grand nombre en l’espace de quelques années ? Il faut sans doute y voir la révolution apportée par le matériel utilisé, en liaison avec ce qui s’est passé pour les pêcheurs de carnassiers. Ce n’est pas un hasard si la plupart de ces nouveaux adeptes se recrutent dans leurs rangs. Deux éléments sont essentiels à mes yeux : l’échosondeur et le moteur électrique équipé d’un i-Pilot, ce qui n’a pas été sans quelques grincements de dents de la part des anciens… Par le passé, en effet, pour immobiliser et stabiliser une embarcation, il fallait descendre un poids de plusieurs kilos et le remonter, parfois de plus de 25 m, pour changer d’emplacement. Manier la corde, à la main ou à la manivelle, même par beau temps, n’était pas notre occupation favorite. Sans parler du manque de discrétion quand le plomb atteignait le fond. En outre, en ramenant le poisson, il y avait toujours un risque d’emmêler la ligne dans la corde. Avec l’i-Pilot, véritable ancre virtuelle, ces problèmes ont disparu… sauf là où la réglementation en interdit l’usage, sur le lac du Val, par exemple.
Bien plus simple
D’aucuns nostalgiques diront que le plomb, en touchant le fond, soulevait un nuage qui pouvait attirer les corégones. Que pour éviter d’accrocher la corde en remontant le poisson, il suffisait d’utiliser une bouée pour éloigner cette corde du bateau… Mais toutes ces manœuvres fastidieuses sont désormais inutiles. Pour faire du sur-place, un clic vaut mieux que deux kilos de plombs. D’autant que de grands progrès ont été réalisés en matière de batteries : plus puissantes, plus légères, elles tiennent plus longtemps même par vent soutenu. Concernant les spots, le choix se faisait jadis à l’intuition, à l’expérience diront certains… Mais, le plus souvent, c’est en repérant où pêchaient les premiers arrivés qu’ils venaient se positionner, quitte à se disperser si les touches se faisaient attendre. Désormais, l’échosondeur est le juge de paix. Moteur électrique et sondeur ont aussi eu une influence directe sur le matériel et sur l’action de pêche. En début de saison, les corégones se trouvent généralement près du fond. L’échosondeur permet de les localiser et, le plus souvent, son rôle s’arrête là. Bateau stabilisé à l’i-Pilot, on pêche les trois-quatre derniers mètres. Il en va tout autrement à partir de mai, quand les bancs de poissons évoluent en pleine eau. Le sondeur permet alors de les identifier de façon plus précise.
Une pêche à vue
Finies donc les pêches à l’aveugle, avec une ligne équipée de 14 à 18 hameçons (suivant la réglementation) qui permettait de prospecter différentes hauteurs d’eau. Désormais, on pêche quasiment à vue en amenant un montage réduit (5 à 7 nymphes) à la hauteur des poissons repérés. S’ils se nourrissent à proximité du fond, deux tactiques, posée ou gambe, sont possibles. Dans le premier cas, plomb sur le fond et canne en main, on ne perd pas de vue l’extrémité du scion qui indique la touche. Mais le plus souvent, on gambe, c’est-à-dire que l’on soulève la ligne d’une façon continue et régulière pour imiter une remontée de chironomes vers la surface.
Au moindre doute...
Dans tous les cas, la touche est discrète : dans 20 m d’eau, l’aspiration d’une nymphe par un corégone ne peut pas être considérée comme une attaque foudroyante ! Au moindre doute, petite piquée du scion ou, au contraire, légère détente, il faut ferrer sans retard et amplement, compte tenu de la profondeur de pêche. Pour ma part, j’ai remplacé le nylon par une tresse en 6 ou 8/100 qui permet de réagir bien plus efficacement, le moulinet étant bien réglé pour éviter la casse. Quand les corégones évoluent en pleine eau, c’est un peu plus compliqué. Il faut vite descendre le plomb sous les poissons et remonter les nymphes en gambant plus ou moins rapidement jusqu’à leur hauteur. Et le sondeur permet de voir si les poissons sont mordeurs ou non, s’ils sont intéressés par nos nymphes ou complètement indifférents. Il est même possible d’anticiper la touche, quand on suit sur l’écran un poisson quittant sa trajectoire et s’approchant d’une nymphe, 20 ou 30 m plus bas. Adrénaline garantie ! On ne gagne pas à tous les coups, les corégones restent des poissons assez lunatiques et imprévisibles et s’ils ne sont pas en mode «repas» il demeure difficile de les faire mordre. On a beau varier la vitesse de remontée, changer de nymphe, de taille, de couleur, ils peuvent rester bouches cousues et continuer à nous narguer à l’écran !
Moment critique
Malgré tous ces changements technologiques, quelques éléments clés demeurent. Le bas de ligne en nylon 16/100 est relié par une agrafe à la tresse ou au fluorocarbone de 20/100 en provenance du moulinet. On y relie un lest de 8 à 15g selon la profondeur, le vent et une éventuelle houle. Y sont montées aussi, sur une potence très courte (5 cm maximum), 5 à 8 nymphes, espacées de 50 cm. Si la disposition générale reste la même, le raccourcissement de ce montage facilite la mise à l’épuisette, moment souvent critique de cette pêche. La canne, elle, est terminée par un scion couleur fluo, de sensibilité variable selon les conditions rencontrées et le lest utilisé, pour faciliter la perception de la touche. Un peu plus longue que l’ancien canin traditionnel, elle facilite également le combat et la mise à l’épuisette. Pour cette dernière, un filet à grosse maille évite que les nymphes s’y emmêlent.
De nouveaux matériaux
Si leur allure générale n’a pas changé, le montage des nymphes s’est affiné grâce à des matériaux et des vernis nouveaux. On n’hésite plus en effet à employer des hameçons n°18, même si les n°14 et 16 sont les plus courants. Aux couleurs franches de jadis –rouge, vert, noir, brun– ont succédé des rouge cerclé doré, argent tête noire, vert cerclé doré tête noire, marron cerclé noir, etc. En n’oubliant pas les sept ou huit couches de vernis nécessaires à une parfaite finition. En compagnie de l’excellent spécialiste qu’est mon ami Jean-Bernard, j’ai pu me rendre compte de l’importance du changement de modèles en cours de pêche. Je me contente en effet souvent d’utiliser une seule ligne, choisie en début de sortie ou celle qui marchait la veille, alors que, sans touche pendant dix minutes, il n’hésite pas à en changer. Et ses résultats prouvent qu’il est dans le vrai.
Plus naturel
Monteur infatigable, toujours à la recherche du petit plus, l’ami Jean-Bernard ne part pas sans ses nombreuses boîtes de lignes, soigneusement classées par couleur et nuance, par nombre, taille et profil d’hameçons. Il a abandonné les hameçons doubles, constatant qu’il ne déplorait pas plus de décrochages. En revanche, il veille toujours à utiliser une boucle pour relier la nymphe à la courte potence. Cela donne une allure beaucoup plus naturelle à l’imitation dans sa remontée vers la surface. Reste bien entendu, l’attention permanente requise pour surveiller les mouvements, souvent presque imperceptibles, du scion à la touche et réagir instantanément.
L'émotion
Cette modernité et ce confort nouveau dans la pêche du corégone ont bien changé la perception qu’on pouvait avoir de cette pêche où alternent toujours des moments de grande excitation et des périodes de frustration, rythmés par le comportement des poissons. Ce n’est pas tant le résultat qui a changé que le supplément d’émotion que la touche, souvent pressentie, nous apporte. Ce supplément d’émotion que nous recherchons tous, n’est-ce pas !
Réglementation
Qu’on l’appelle féra, lavaret, corégone ou encore bondelle, ce poisson appartient à la grande famille des salmonidés, malgré sa livrée blanche et brillante. Il est présent dans de nombreux lacs : Chalain, Le Val et Ilay (Jura), Pierre-Percée et Gérardmer (Vosges), Aiguebelette et Le Bourget (Savoie), Annecy et Léman (Haute-Savoie) ou Saint-Point et Remoray (Doubs), sont les plus connus. Le choix est grand mais très peu sont réciprocitaires, tous faisant l’objet d’une réglementation particulière (dates d’ouverture, nombre de nymphes autorisé, taille et quota de capture). Le moteur thermique voire électrique peut être proscrit. Timbre bateau et carnet de prises sont souvent exigés. Il faut donc penser à se renseigner en consultant les sites des fédérations et AAPPMA concernées.
Selon les régions, on peut pêcher le corégone presque toute l’année. Ainsi, sur le Léman la saison s’étale du 12 janvier au 18 octobre, du 1er février au 18 octobre sur le lac d’Annecy, sur celui d’Aiguebelette du 1er février au 1er novembre, du 8 février au 1er novembre sur Le Bourget, pour ne parler que des lacs alpins. Ces dates peuvent changer d’une année sur l’autre...