Bien que la pêche des salmonidés au lancer reste encore globalement associée aux leurres durs, cuillers et poissons-nageurs, le leurre souple progresse lentement mais sûrement. Le récent développement des pêches dites « alimentaires » avec des petites créatures participe à cette ascension, tout comme l’utilisation des petits shads ou finess déjà un peu plus ancienne. Dans ce contexte, la question se pose : les attractants permettent-ils de prendre plus de farios ?
Postulat de départ
Quand je lance un protocole de tests, j’aime partir d’un postulat que je vais soumettre à validation ou à réfutation à travers mes expérimentations. En ce qui concerne les attractants, j’avais initialement l’intuition de leur efficacité. Cette conviction s’est forgée grâce à deux observations. Tout d’abord, j’ai remarqué que la montée en puissance des souples pour la truite coïncidait avec le développement des leurres souples préimprégnés (notamment par la firme Berkley). Mon confrère Marc Delacoste avait d’ailleurs relevé que les premiers essais, il y a quelques décennies en arrière, de pêche des farios avec des shads ou des twists avaient été décevants, justement en raison de l’odeur et du goût répulsifs de plastique des modèles de l’époque. Ensuite, j’ai noté que les compétiteurs truite aux leurres en réservoirs utilisent quasi systématiquement des attractants complémentaires quand ils pêchent avec des worms ou des teignes artificielles. Je pense qu’ils sont rationnels et ne perdraient pas leur temps et leur argent à recharger fréquemment leur leurre s’il n’y avait pas un avantage certain à la clé. Reste à savoir si cet attractant incontournable sur des truites de pisciculture, élevées aux granulés odorants, l’est également pour des poissons sauvages évoluant en eaux vives.
Le protocole
Afin de multiplier les sorties, j’ai bénéficié de l’aide de mon compère Olivier Meira, bien connu dans le monde des compétitions salmonidés. Il postulait, quant à lui, sur l’inutilité des attractants en milieu naturel. Pour effectuer nos tests, nous avons réalisé 16 sorties d’environ 2 heures 30 chacune, soit une quarantaine d’heures de pêche environ, étalées de mars à fin juillet. Cela pour éviter l’effet « saison », car les attractants auraient pu, par exemple, se montrer plus efficaces en eaux froides ou en eaux chaudes. Deux types de cours d’eau ont été retenus : les rivières moyennes, généralement soumises à une forte pression de pêche, et les torrents ou ruisseaux où la capturabilité est plus élevée. Deux catégories de leurres ont été testées : la teigne artificielle (micro-souple) et le leurre souple à caudale (shad). Le protocole consistait à alterner, toutes les 10 minutes, deux leurres souples rigoureusement identiques (couleur, taille, armement, plombée) un avec attractant, l’autre sans. Deux compteurs ont été utilisés pour dénombrer, pour chaque séquence de 10 minutes, à gauche le nombre de contacts et à droite le nombre de prises.
Quels leurres ?
Il fallait évidemment partir d’une base de leurre sans aucun attractant. Pour le shad, j’ai donc opté pour le Rockvibe de Reins, un des rares leurres qui n’est pas vendu avec un attractant préimprégné. De plus, il présente une partie annelée, juste avant le paddle, intéressante pour retenir les attractants pâteux. Pour les teignes artificielles, nous avons opté pour des leurres faits maison. Pour les booster, j’ai utilisé pour ma part un duo d’attractants en associant un liquide (le Trump de Sawamura) et un produit visqueux (le Nitro Booster crustacé d’Illex). Olivier, quant à lui, s’est contenté d’un seul attractant puissant en gel : le Mayhem, goût écrevisse ou sardine selon les sorties. Nous avons en fait simplement utilisé nos attractants habituels sans nous poser de question sur la marque ou l’arôme, le but n’étant pas ici de déterminer quel produit est le plus performant (ce qui, à mon avis, est impossible) mais de vérifier si l’ajout d’un attractant, quel qu’il soit, augmente les captures.
Nette différence
Et le moins que l’on puisse dire c’est que les résultats sont sans appel. En nombre de prises, le souple avec attractant l’emporte largement avec 121 farios capturées contre 86, soit un pourcentage de différence de 40% (près de 20% de plus pour le shad et 60% pour le micro-souple). À vrai dire, avec Olivier, nous avons même été surpris par l’ampleur des écarts. Sur 16 sorties de pêche, sur des parcours différents, une seule fois seulement le leurre simple l’a emporté sur le leurre boosté avec un attractant. L’exception qui confirme la règle en quelque sorte. Même s’il faut toujours être prudent pour fournir des facteurs d’explication, l’analyse plus fine des statistiques permet d’avancer une hypothèse. On remarque en effet que le nombre de contacts est à peu près équivalant avec ou sans attractant sur l’ensemble des sorties (240 env. de chaque côté). C’est intéressant puisque cela laisse supposer que l’attractant est supérieur non parce qu'il déclenche plus de touches mais parce qu’il occasionne moins de tapes avortées ou de décrochage avant la mise à l’épuisette.
Une mise en bouche
Pour le dire autrement, l’attractant ne ferait pas la différence puisqu’il attire davantage les truites (en eaux vives en tout cas où les attaques sont souvent rapides) mais puisqu’il permet des attaques plus franches au moment du contact ou une meilleure tenue en bouche qui laisse un tout petit peu plus de temps pour ferrer. Nous en revenons donc à l’une des observations préalables : l’attractant aurait donc pour fonction essentielle non pas de diffuser mais de cacher ou masquer le goût et l’odeur du plastique au moment de la prise en gueule. Il semblerait aussi (mais nous n’avons pas pu le calculer avec rigueur) que le nombre de poisson pris à la deuxième tape est supérieur avec l’attractant. Même si au leurre en général, et surtout au souple, les truites ne reviennent que rarement après une touche ratée (contrairement au vairon ou au vers) l’attractant semblerait donc légèrement augmenter le nombre de « retape ».
Enseignements et pronostic
Les résultats de ce test invitent donc à privilégier les leurres souples préimprégnés les plus gras et saturés d’attractant et de ne pas hésiter à en rajouter encore sous forme de gel ou de crème tous les deux ou trois lancers. Pour les leurres de type shad, je recommande particulièrement les modèles de 5 à 7 cm partiellement ou complètement annelés qui retiennent très bien les ajouts complémentaires comme le swing Impact Slim (Keitech), le Slit Shad (Sakura) ou le Tipsy (Gunki). Bien que ces leurres ne soient pas les plus imitatifs, l’enseignement de nos tests laisse à penser que c’est le sens olfacto-gustatif qui fait la différence plutôt que l’aspect visuel. Il semblerait également, mais ce n’était pas ici l’objet de nos expérimentations, que les leurres à la gomme la plus molle soient aussi les plus efficaces pour les truites. Au-delà de ces conseils pratiques, je voulais terminer mon propos avec un pronostic. Pour la rédaction de cet article, j’ai effectué des sessions complètes de pêche avec de petits shads, ce que je n’avais jamais fait auparavant. J’utilisais habituellement ces leurres plutôt de manière occasionnelle, lorsque d’autres types de leurres échouaient. Et j’ai été vraiment agréablement surpris par leur efficacité, en particulier en début de saison (mars-avril), une période où j’avais l’impression qu’il y avait un fossé entre l’utilisation du vairon manié et celle des leurres artificiels. Or en pêchant intégralement 2/3 heures avec un shad bien armé (triple voleur) et bourré d’attractant, j’ai obtenu des résultats remarquables, qui bien que ne rivalisant pas complètement avec le vairon, s’en approchaient. Tout au long de la saison, le shad s’est également révélé extrêmement polyvalent en termes de possibilités d’animation, dépassant ainsi les capacités de la cuillère et du poisson-nageur. À l’instar de l’évolution observée dans la pêche des carnassiers (comme mentionné dans l’article de Michel Tarragnat de février 2023), on peut envisager que, à moyen ou long terme, peut-être une décennie, les leurres souples s’imposeront face aux leurres durs auprès des amateurs de salmonidés. Les attractants jouant probablement un rôle essentiel dans cette évolution en comblant le manque de stimulation olfacto-gustatif chez les truites, qui, rappelons-le encore une fois pour conclure, ne sont pas des vrais carnassiers.