Avant même de parler des techniques actuelles et des petits secrets permettant d’améliorer les résultats, il peut paraître bien utile de rappeler les traits de caractère de ce poisson. L’ombre est un animal grégaire, c’est-à-dire qu’il vit en groupe plus ou moins important selon les postes occupés et l’âge moyen des individus qui le constituent. Mais n’allez pas croire pour autant que tous les individus appartenant à un groupe donné soit forcément de la même taille comme on l’entend dire si souvent. Chaque groupe peut être considéré comme une petite famille dans le sens où les poissons y échangent sans cesse des informations, et en particulier des molécules émises lors de stress. Lorsque vous voyez un ombre moucher, vous pouvez être certain que d’autres individus invisibles à vos yeux sont tapis sur le fond, parfois très près de vous et si vous vous déplacez trop rapidement ou trop près de l’emplacement du gobage, vous risquez fort d’alerter tout le groupe. Son champ de vision latéral est assez étroit, mais il est capable de voir loin devant lui tout ce qui dérive entre deux eaux ou en surface. C’est un élément dont il faut tenir le plus grand compte, surtout lorsque l’on pêche en sèche, l’emplacement du gobage ne correspondant pas du tout à l’aplomb de l’emplacement du poisson au fond de la rivière, ce dernier se trouvant nettement en amont.
Son comportement
L’ombre ne chasse pas et n’a pas du tout le comportement « carnassier » de la truite, même si l’on a parfois décrit des prises de spécimens en pêchant au vairon, à la cuiller ou au streamer. L’ombre ne vit pas caché et ne s’enfuit pas toujours à toutes nageoires dès qu’il perçoit les ondes provoquées par des pêcheurs en waders ou qu’il aperçoit une silhouette. N’allez pas en conclure qu’il est très « bonne pâte », voire idiot. Il sait alors que vous êtes là, et vous allez avoir un mal fou à le convaincre de prendre votre leurre, même s’il continue de gober par exemple. L’ombre est un poisson curieux, souvent attiré par des couleurs qui nous paraissent incongrues et ne correspondent à rien de naturel. Mais il ne faut pas en déduire trop vite qu’il s’agit d’un poisson « fantaisiste », et nous ne savons du reste toujours pas encore précisément comment il perçoit les couleurs. Pour pratiquer sa pêche depuis si longtemps, je finis par lui trouver une certaine logique et une certaine prévisibilité (y compris quand il me fait savoir que je ne le prendrai pas !). Enfin, contrairement à ce que pensent certains ou ce que laisserait supposer son nom, l’ombre aime la lumière et a peur de l’obscurité, comme l’ont montré bon nombre d’expériences.
Pêche en nymphe
Nous ne parlerons pas ici de la pêche à vue, cette merveilleuse technique réservée aux parcours aux eaux cristallines où l’on peut voir le poisson (et non la nymphe !). Pour tous ceux qui voudraient s’y mettre sérieusement, je vous renvoie aux « vieux » articles et aux conseils de mon ami Piam qui a tout inventé de la pêche moderne de ce poisson, des bas de ligne aux nymphes, et reste la référence en la matière ! Concernant la nymphe au fil, adoptée aujourd’hui par le plus grand nombre, il y a évidemment beaucoup à dire. Le succès, mérité, des perdigones et des modèles proches, nymphes lisses à bille tungstène ou encore des modèles en céramique ou en plomb moulé (ceux de Piam justement) a occulté un temps le mérite des autres nymphes « non lisses » que nous nommons ici nymphes « naturelles », sans référence à une couleur naturelle mais en référence aux matériaux utilisés, fibres de faisan et dubbings variés. Les choses sont en train de se rééquilibrer, et ces modèles naturels ont réinvesti les boîtes des moucheurs. C’est une bonne nouvelle ! Il y a en effet des moments et des postes où les modèles en fibres et poils naturels, cerclés ou non de fil de cuivre ou d’argent, se révèlent bien supérieurs aux nymphes « lisses ». Pour donner quelques repères, une nymphe en faisan ou en dubbing de taille assez importante (hameçon 14) et pas trop lestée, un peu « planante » dans sa dérive, se révélera souvent plus efficace en début de saison, en mai, et en fin de saison, en novembre, qu’une petite nymphe lisse s’immergeant très rapidement. Il en va de même pour pêcher une veine d’eau assez lente et moyennement profonde, quelle que soit la saison cette fois.
Cohérence et harmonie des artificielles
On peut évidemment chercher à « combiner » ces deux types de mouches dans des montages à deux nymphes, en espérant ainsi multiplier les chances de capture, mais la pratique montre que c’est un peu illusoire et qu’il est souvent préférable de conserver une cohérence et une harmonie entre les deux nymphes utilisées, qui seront donc de même « type ». Quel que soit le modèle choisi, il faut toujours réfléchir sur le lestage le mieux adapté. La règle est simple : le plus faible lestage possible, car c’est là que la dérive est la plus naturelle. Mais parfois, bien sûr, on n’a pas le choix ! On l’a dit, l’ombre vit sur les galets, et même s’il peut se déplacer pour cueillir une nymphe entre deux eaux, c’est prioritairement à ras du fond que nos nymphes doivent évoluer. Sur certains courants puissants et profonds de la Dordogne par exemple, au mois de mai, nous utilisons parfois des modèles qui dépassent allégrement le gramme ! Il en va de même en plein été, lorsque certains gros poissons se calent dans des courants très agités et très profonds pour y rechercher un peu de fraîcheur.
La plus lourde en pointe
Si l’on réserve les montages à une seule nymphe aux postes assez encombrés, étroits, et aux spots à très gros ombres, c’est le montage à deux nymphes qui se révèle le plus passe-partout et qui permet une présentation parfaite, surtout pour des dérives à ras du fond, les deux nymphes s’entraînant et se soutenant tour à tour. On peut aussi bien utiliser deux modèles de lestage identique ou décider au contraire d’installer deux nymphes de poids différents. Dans ce dernier cas, je trouve toujours préférable de positionner le modèle le plus lourd en pointe et je n’ai jamais observé un seul avantage à faire l’inverse, bien au contraire. Un écartement de 25 à 30 cm permet une immersion rapide et une pêche efficace avec de petites nymphes lisses très denses (céramique, tungstène). C’est ainsi que l’on pêchera les courants pas trop profonds et un peu « tendus » au cœur de l’été et en début d’automne. Si l’on cherche un effet plus planant, en particulier avec des nymphes à matériaux naturels, un espacement de 50, voire 60 centimètres est préférable et se révèle parfait pour pêcher les grands lisses pas trop rapides et moyennement profonds.
Un petit tag
Pour le choix des couleurs des nymphes lisses et des perdigones, tout est ouvert bien sûr, mais l’expérience montre que certains modèles ont fait leur preuve depuis longtemps sur les ombres. C’est le cas des nymphes vert-mauve moiré, gazoline, menthol, violette, rose, bleu sombre et des coloris « naturels », caramel, jaune paille (et rose), tabac, olive, cuivre… Il faut toujours tâtonner un peu avant de trouver, et ceux qui prétendent le contraire se bercent d’illusions ! La question peut se poser de l’utilité d’un tag ou pas. Personnellement, je crois assez à l’efficacité de cet appendice, sous forme d’un toupet de fibres jaune ou orange pâle ou encore intégré à l’extrémité de l’abdomen sur les nymphes lisses, dans des coloris rouges ou jaunes cette fois. Avant de parler de pêche en sèche, un mot sur une technique « mixte », très à la mode en ce moment où l’on associe une mouche sèche « indicateur » comme une « tabanas » et une nymphe légère évoluant non loin de la surface. Il s’agit d’une pêche assez plaisante et très efficace à certains moments, en particulier lorsque les ombres se montrent actifs et prêts à monter en surface sans pour autant gober les subimagos et les imagos.
En sèche
C’est bien sûr la technique reine, de loin la plus excitante, sans doute la plus difficile, même si les ombres se montrent beaucoup plus coopératifs en début de saison qu’au cœur de l’été ou durant l’automne. Lorsqu’un ombre s’intéresse aux insectes qui dérivent en surface, il les observe depuis le fond. On l’a dit, son champ de vision est limité latéralement et s’axe plutôt sur l’étroit corridor qui se situe à son aplomb, en amont de sa position. Il voit ainsi arriver l’insecte en surface bien en amont de son poste, traverse toute la couche d’eau pour aller le cueillir et le gobe finalement en aval de l’aplomb du poste qu’il vient de quitter. La conséquence pour un moucheur est simple : il doit se positionner correctement, légèrement en amont et en retrait de l’axe où s’est produit le gobage et il doit poser sa mouche nettement en amont du gobage, à au moins deux fois l’équivalent de l’épaisseur de la couche d’eau où s’est produit celui-ci, soit souvent plus de 4 ou 5 mètres en amont de ce gobage. Et durant toute la dérive, aucune anomalie ne doit être détectée par le poisson. Vous l’avez compris, les grands pêcheurs d’ombre en sèche sont les maîtres de la dérive ! Entraînez-vous donc sans cesse pour maîtriser les posés courbes, les posés décalés vers l’amont, les posés parachutes, et en vous souvenant que les beaux lancers et posés bien rectilignes sont à réserver aux photographes mais sûrement pas aux ombres. Pour la plupart, les mouches efficaces varient bien sûr au cours de la saison bien que quelques modèles soient incontournables à tous moments. Pour simplifier les choses et éviter de longs discours explicatifs, on peut lister les mouches à emporter absolument (ci-dessous). Et de grâce, abandonnez la nymphe au fil et tentez votre chance en sèche dès que les gobages deviennent assez nombreux, pour pratiquer cette pêche subtile qui vous fera tant progresser au niveau technique !
Les mouches à emporter absolument
TOUTE LA SAISON
•Petits « sedges » sur hameçon 18 et 20 à aile en pardo Flor de Escoba et Corzuno
•Chironomes noirs, gris, parfois rouge sang. Hameçon 18 et 20
•Émergente parachute CDC de tonalité gris, corps en dubbing gris sombre cerclé de cuivre, cerques pardo. Hameçon 16 à 20
•Mouches « fantaisie » à tag orange ou jaune, corps en dubbing marron, crème, gris, noir, cerclé de cuivre et/ou de tinsel, collerette en CDC. Hameçon 16 et 18
•Quelques « tabanas ». Hameçon 14, 16 (pour les montages mixtes)
PRINTEMPS, DÉBUT D’ÉTÉ
•Émergentes de sulfures (sombres). Hameçons 14 et 16
•Émergentes et subimagos de baétidés, mouches d’Ornans en CDC olive, gris. Hameçons 16 et 18
•Sedge, aile gris-loutre en coq du Limousin. Hameçons 16 et 18
•Émergentes de trichoptères en duvet de faisanne, oreille de lièvre ou de chevreuil, poils de chien Cortal. Hameçons 14, 16 et 18
•Spents d’Ecdyonurus, corps brun orange, 4 ailes en pardo ou en coq limousin, collerette courte et aérée, cerques en pardo. Hameçon 16
CŒUR D’ÉTÉ, DÉBUT D’AUTOMNE
•Émergentes et subimagos de baetidés sur hameçons 18 et 20
•Fourmis ailées. Hameçons 14 à 22. Les ombres gobent les mammouths comme les liliputs !
•Sedges gris aile en pardo medio hameçon 16
•Sedges cannelle ou roux écureuil. Hameçon 14 (pour les premiers Anabolia)
•Émergentes, « la bossue », imagos et spents de Serratella ignita. Hameçon 18
AUTOMNE
Prenez les mêmes en laissant bien sûr de côté les spents d’Ecdyonurus et les émergentes de sulfure !