Il existe dans le monde une quarantaine d’espèces de Balistidae, « balistes » en français et « triggerfish » dans les pays anglo-saxons. Ils aiment les crabes et les crevettes, viennent se nourrir souvent dans peu d’eau et font de superbes tailings que l’on repère parfois de très loin. Surnommé de façon un peu péjorative « the poor man permit », le permit du pauvre, par certains pêcheurs américains, ce poisson est pourtant particulièrement agréable à traquer canne en main. Petit tour d’horizon des balistes les plus passionnants à rechercher au fouet…
Coquillages en tout genre
Ils sont en général massifs, anguleux et comprimés latéralement avec deux larges nageoires dorsale et ventrale qui les rendent facilement identifiables. Ils sont aussi caractérisés par les grosses épines érectiles qu’ils portent à chaque sommet : la plus visible est dorsale (fruit de la modification du premier rayon de la nageoire, devenu indépendant) et une autre est ventrale, fruit de la fusion des nageoires pelviennes. L’épine dorsale possède un mécanisme de blocage qui permet au triggerfish de se caler fermement dans une cavité rocheuse, mais aussi d’empêcher la fermeture de la bouche d’un gros prédateur. Tous ceux qui ont déjà pêché cette espèce se sont fait casser par des poissons qui rentrent se cacher sous un rocher ou dans le corail ! Plusieurs types de balistes sont connus pour émettre des sons comme les carangues. Les plus grosses espèces ont les dents de devant surdéveloppées et extrêmement dures qui, couplées avec une grande puissance dans la mâchoire, leur permettent de broyer crabes, oursins ou coquillages en tout genre !
Un poisson puissant et agressif
Même s’ils paraissent tout en rondeur et nagent généralement tranquillement par ondulations de leurs nageoires dorsale et anale, ils savent pourtant aussi utiliser leurs caudales lorsqu’ils sont piqués pour accélérer subitement et vous mettre au trou ! La plupart de ceux qui nous intéressent en pêche sportive sont des carnivores diurnes opportunistes et solitaires. Ils forment des couples seulement pour la reproduction et pondent des œufs sur un « nid » nettoyé sur le fond. Ils défendent leur « nid » contre tous les intrus, peu importe leur taille. Il arrive régulièrement que des plongeurs passant trop près se fassent mordre et finissent avec de profondes blessures. Les triggers ont du caractère et sont même plutôt agressifs. Ils n’ont peur d’aucun autre poisson et ils cohabitent même souvent avec les requins ! La plupart de ces espèces vivent sous les tropiques et notamment dans les océans Indien et Pacifique. Sur nos côtes françaises, il est de plus en plus courant de voir des balistes communs (Capriscus) qui se nourrissent de crustacés et coquillages, comme leurs cousins des mers chaudes, et sont donc probablement prenables à la mouche… Affaire à suivre !
L'Ocean Triggerfish
Il ressemble aux balistes océaniques que l’on voit régulièrement sur les flats de certaines destinations des Bahamas, des Caraïbes et des Antilles. L’Ocean Triggerfish est un poisson massif dont la couleur varie du gris clair au bleu foncé avec toutes les nuances possibles entre les deux. Il aime venir se nourrir dans peu d’eau sur les flats donnant directement sur les barrières de corail et les chenaux, où il vit la plupart du temps entre deux et cinquante mètres de profondeur. Il fait régulièrement du « tailing », sortant toute sa caudale au-dessus de la surface. Cela permet de le repérer de loin, même les journées où la faible luminosité rend difficile la traque des bonefish. J’aime le rechercher, car sa pêche ressemble à celle du fameux permit. Il faut déposer sa mouche non loin de lui, mais sans l’effrayer, et ensuite le laisser venir et basculer sur notre imitation avant de ferrer. Sa bouche n’est pas très grande et les crevettes destinées au bonefish en taille d’hameçon numéro 8 à 4 maximum sont efficaces. Le Queen Triggerfish, ou Balistes Vetula, communément nommé Baliste royal ou De sa majesté, est aussi présent dans les eaux tropicales de la zone occidentale de l’océan Atlantique, soit des côtes américaines au Brésil en passant par le golfe du Mexique et la mer des Caraïbes. Il vit également du côté oriental de l’océan Atlantique et a été vu au Cap-Vert, aux Açores et même au large du bassin d’Arcachon. Sa taille maximale est de 60 cm, mais la taille moyenne est de 30 cm. Il est très beau avec sa queue échancrée et sa teinte bleue, mais sa capture à la mouche est difficile, car il ne monte pas sur les flats pour se nourrir et reste en général dans un minimum de deux ou trois mètres de profondeur jusqu’à plus de cinquante mètres. J’en ai pris deux seulement dans des chenaux aux Bahamas.
La variété de l'Indo-Pacifique
La plupart des autres espèces intéressantes vivent donc dans la zone Indo-Pacifique. Il s’agit notamment de celle considérée comme la plus difficile à attraper, à savoir le baliste titan ou à moustache (Balistoides viridescens), qui peut atteindre 80 cm de long pour plus d’une quinzaine de livres. Il est l’un des plus grands triggerfish existant et se rencontre sur les platiers et certains flats des Seychelles, d’Australie et de la plupart des îles et atolls du Pacifique. Par sa taille et sa puissance, il constitue un adversaire particulièrement pugnace. Ses énormes dents lui permettent de tordre les hameçons Inox, voire de les couper tout simplement ! Une fois ferré, il cherche systématiquement à vous fausser compagnie dans le corail. Il faut donc le brider très fortement et utiliser un bas de ligne de minimum vingt livres de résistance pour avoir une chance. Sur les flats de certains atolls polynésiens, je le pêche même en trente livres en pointe et avec des hameçons renforcés, type Owner ou Gamakatsu. Le titan est aussi capable d’attaquer un streamer en 4/0 destiné aux carangues. Il vient d’ailleurs régulièrement mordre les autres poissons que l’on pique et qui émettent des signaux de détresse. Il est aussi très beau et coloré avec sa queue orangée et son corps variant du beige au noir suivant son humeur. Sa gueule est souvent relevée de jaune et il possède une ligne noire sur la lèvre supérieure lui valant son second nom de baliste à moustache. La Polynésie Française est d’ailleurs, je pense, la meilleure destination à triggerfish au monde ! On y rencontre également le baliste à marges jaunes (Pseudobalistes flavimarginatus) ou encore baliste géant, le Yellow Margin en anglais. Il est plus rare que le titan et sans doute encore plus beau ! Son museau est totalement jaune orangé et ses nageoires et sa queue, en forme de lyre, sont bordées d’orange vif. Il aime également faire du tailing et adore croquer de petits crabes. Il est assez peureux et son approche doit être lente et silencieuse. Il aime se mélanger avec les carangues bleues et parfois les becs de cane. Il reste un peu plus petit que le moustache, mais de très beaux spécimens existent.
Le Picasso
D’autres triggerfish prennent aussi la mouche, mais restent plus petits. Parmi les plus remarquables, il y a le Picasso (Rhinecanthus aculeatus) qui atteint jusqu’à 30 cm de longueur, mais qui fait le plus souvent autour d’une quinzaine de cm. Il est incroyablement bariolé et c’est l’un des représentants les plus typiques des récifs coralliens de l’Indo-Pacifique. La coloration peut être variable, mais elle comporte habituellement une base de beige plus ou moins clair que l’on retrouve principalement sur le dos et la large partie entre les yeux et la bouche, qui est jaune vif, surmontée d’un trait bleu électrique. Les flancs sont noirs avec un dégradé vers le beige pour la partie supérieure et une frontière bien visible avec le ventre blanc, parcouru sur sa partie antérieure de zébrures noires obliques. De chaque côté, la base de la queue est marquée par trois courtes zébrures noires et blanches horizontales, une merveille de la nature que n’aurait pas reniée le grand peintre qui lui a donné son nom !
Baliste ondulé ou strié
Un autre prétendant à la couronne du plus beau représentant du genre est le Balistapus undulatus, plus communément nommé baliste ondulé ou strié. Sa livrée est marron sombre à noire, avec des lignes obliques orange. Les mâles matures perdent progressivement les lignes sur le museau. Une tache noire est plus ou moins visible sur le pédoncule caudal qui possède des épines et sa nageoire caudale est orange vif réhaussée de rouge! Je n’ai capturé cette espèce que dans les atolls des Tuamotu. Tout comme le Picasso, sa petite bouche oblige à utiliser de petites imitations en hameçon de 10 et 8 maximum pour pouvoir les piquer correctement. Les triggerfish sont de superbes poissons à traquer à la mouche. Ils sont magnifiques et intéressants à pêcher. J’avoue y consacrer de plus en plus de temps. J’aspire encore ardemment à prendre un baliste clown. Une merveille à écailles que je n’ai croisée qu’une fois sur un flat perdu du Pacifique et, malheureusement, je n’avais pas la bonne canne en main. Cette vision irréelle hante encore mes pensées et, chaque moment passé sur ces atolls du bout du monde me rapproche, je le sais, de la concrétisation de ce rêve…