C’est loin, mais c’est beau…
La pertinence et l’efficacité de la pêche à (très) longue distance en barrage n’est plus à démontrer, il faut bien l’avouer. Je précise que je ne parlerai pas ici des grands lacs de plaine, où à moins de pêcher en bateau il est quasi impossible de pêcher du bord sans tendre ses montages à longue distance.
Pêcher la berge d’en face en barrage présente plusieurs avantages indéniables :
- La discrétion : pêcher « dans ses bottes » sur la berge où l’on est installé nécessite une discrétion parfaite. En effet, la pêche en lac de barrage se fait dans son immense majorité dans la zone de bordure, comprise souvent dans les 20 premiers mètres. Cela est dû aux fortes pentes que l’on y rencontre, car il n’est pas rare que chaque mètre de distance corresponde à un mètre de profondeur en plus. En conséquence, exploiter sa berge implique une pêche à courte distance, que ce soit face à soi ou sur les côtés, et cela oblige à une discrétion que beaucoup ont perdu l’habitude d’avoir. Les feux de camp, discussions à voix haute et autres bruits liés au bivouac sont à proscrire autant que possible, alors qu’ils ne posent aucun souci lorsque les montages pêches à plusieurs centaines de mètres.
- La possibilité de pêcher dans des obstacles depuis « l’extérieur » : prenons l’exemple d’arbres immergés en bordure, spots bien connus et recherchés dans un milieu souvent très minéral. En déposant un montage depuis la berge opposée, la carpe aura généralement tendance à fuir à la touche vers le large, donc vers vous. Le combat se déroulera ensuite en bateau, en eau profonde, sans trop de risque que le poisson ne se réfugie dans les obstacles en bordure comme ce serait généralement le cas si l’on pêchait les obstacles depuis la berge où ils se trouvent.
- Une ouverture large et plus de possibilités de spots, alors que sur sa propre berge les possibilités semblent a priori plus réduites. Je dis bien « semblent », car si l’on réfléchit deux minutes, la berge où l’on est installé est par définition la berge opposée à celle d’en face… et donc celle que l’on pêcherait si l’on était installé de l’autre côté ! CQFD !
- Une précision chirurgicale et une présentation parfaite du montage : déposer un montage en bateau est l’assurance d’un montage posé exactement où il faut et comme il faut, et c’est bien l’argument principal en faveur de cette tactique. L’utilisation généralisée de l’échosondeur associé au sondage à la canne – car un plomb donne souvent de meilleures indications sur la nature du fond qu’un écran – permettent de trouver des spots et de les exploiter parfaitement. Ceci-dit, c’est également vrai si l’on exploite sa propre berge…
Il y a cependant quelques inconvénients réels et majeurs à pêcher à longue distance sur la rive opposée :
- La nécessité de disposer d’une embarcation et d’une moteur thermique, car il est illusoire de penser que l’on peut faire une session de plusieurs jours en tendant à la rame (fatigue !) ou au moteur électrique (autonomie !). Si l’on touche du poisson et que les 4 montages sont déposés à 200 mètres ou plus, on imagine aisément le nombre d’allers-retours à faire pour tendre et retendre pendant plusieurs jours…
- Le temps de mise en place bien plus long, comparativement à un montage lancé du bord. Si l’on pêche en lançant, il faut assez peu de temps pour que 4 montages soient opérationnels, et presque le même temps que pour déposer un seul montage sur la berge opposée. A chaque touche, ou simplement lorsque l’on veut rafraichir un peu ses esches, réamorcer ou déplacer un montage, il faut beaucoup de temps pour une seule canne : ramener le montage (ce qui peut être exténuant avec 200 grammes à treuiller sur 250 mètres), escher, partir en bateau sur la zone, sonder, amorcer, déposer le montage, revenir sur sa berge en tenant la canne d’une main et la poignée du moteur de l’autre… Tout cela demande de l’habitude et de l’énergie. Et lorsqu’il faut retendre en pleine nuit sous une pluie battante et que l’on sait que l’opération va prendre au moins 15 minutes, j’avoue avec l’âge en avoir de moins en moins envie… D’autant que, pour rappel, la navigation de nuit est interdite en France…
- Un contrôle parfois aléatoire des touches et du combat. Même en utilisant de la tresse en corps de ligne lorsqu’on pêche à distance, ce qui est pour moi indispensable, il nous est tous arrivé de retrouver un montage tanké à plusieurs mètres du spot où il avait été déposé, en n’ayant entendu que quelques bips « brèmesque » ou même parfois aucun ! Il faut savoir qu’à 200 mètres et plus, une carpe peut parfaitement se piquer et aller se réfugier dans un obstacle en longeant la berge parallèlement sans détendre ni tendre le corps de ligne. Cette pratique est donc plus dangereuse pour le poisson et génère plus de perte qu’une pêche plus classique. A chacun d’évaluer quels risques il est prêt à faire courir aux carpes dans sa pratique…
- Une dangerosité accrue pour le pêcheur. Plus on passe de temps sur l’eau, plus les risques sont mathématiquement élevés. D’autant que très souvent, on se retrouve sur le bateau en bottes, cuissardes ou waders, sans toujours avoir pris le temps d’enfiler un gilet de sauvetage. Car c’est bien connu, les accidents n’arrivent qu’aux autres… De nuit, les risques sont plus importants, quels que soient les mesures indispensables que l’on prend. Et je ne parle pas des situations où l’on pêche des zones nécessitant de ne pas être vus… La prudence n’évite pas le danger, et j’avoue sans honte ne pas apprécier de retendre de nuit.
- L’impact sur les autres pêcheurs, particulièrement les pêcheurs de carnassier en bateau, pour qui il est légitimement difficile de comprendre qu’un carpiste installé à 300 mètres ait déposé des montages un peu partout, monopolisant plusieurs hectares du lac.
Une fois pesés le pour et le contre, je préfère, lorsque la situation ne l’exige pas, tenter de faire ma pêche de façon « classique », c’est-à-dire du bord, de mon côté de la berge, et si possible en lançant mes montages.
Retour aux bases
C’est en pratiquant des pêches « rapides » d’une journée au maximum que j’ai acquis l’assurance que pêcher du bord et « devant soi » était une tactique parfaitement adaptable en lac de barrage. La nécessité de s’encombrer du moins de matériel possible et l’absence d’embarcation oblige à trouver sa pêche différemment, et même en session de plusieurs jours il y a toujours une carte à jouer à pratiquer ainsi. Les avantages de cette méthode sont finalement exactement l’inverse des inconvénients de la dépose à longue distance : rapidité de mise en place, détection parfaite des touches, sécurité accrue pour le poisson et le pêcheur, possibilité de pratiquer sans embarcation. Pour ce dernier point, même si une barque facilite le sondage ainsi que la mise en place de repère et l’amorçage lorsque l’on pêche sa berge, on peut très bien s’en passer sur de nombreux poste en sondant du bord à la canne.
J’ai remarqué qu’en pratiquant ainsi, je me retrouvais à pêcher des zones que je n’aurais pas forcément choisies si j’avais pu (ou voulu) pêcher plusieurs jours avec mon attirail complet du parfait pêcheur de session. Du coup, je n’explorais plus que des zones non autorisées à la pêche de nuit, souvent moins sauvages (proximité d’embarcadères, de plages, de ponts, etc.), mais subissant une pression de pêche quasi inexistante de la part des carpistes. Certains postes ne sont pas attirants du tout lorsqu’il s’agit d’y camper pour plusieurs jours, alors qu’on s’y supporte sans mal pour quelques heures ou la journée, d’autant mieux si l’on y prend quelques beaux poissons ! J’ai ainsi pratiqué plusieurs postes parfois « animés », que ce soit par l’environnement ou par les carpes...
La tactique de pêche s’y apparente finalement à une approche très classique : le repérage en premier lieu, qui est définitivement la clé de tout. Une fois la zone choisie en fonction de l’activité observée, la pêche se fait très simplement : un amorçage préalable si possible, un sondage du bord à la canne ou en bateau lors de la première fois afin de bien cerner le profil du poste, et un positionnement des montages en lançant du bord. Toutes les approches de pêche de pan d’eau peuvent y être tentées : utilisation de sticks ou sacs solubles, corps de ligne en nylon, etc. Bref, une pêche simple à mettre en œuvre et souvent efficace car peu pratiquée dans ce type de milieu. Certes, elle nécessite d’habiter à proximité de lacs car on s’épuiserait vite à pratiquer ainsi en ayant des heures de route pour se rendre sur le lieu de pêche de la journée.
Tu pointes ou tu tires ?
En session, lorsque l’on pêche avec la possibilité d’utiliser une embarcation - ce qui est toujours préférable en barrage - toutes les approches sont possibles : déposer ses montages à distance sur des spots inaccessibles autrement, les déposer en bordure de son côté de la berge, ou utiliser une technique simple de pêche en lançant ses montages du bord. Très souvent, cette dernière option est laissée de côté, soit par habitude de « tendre », soit par peur de mal pêcher. En discutant avec mon ami Stéphane, un des meilleurs pêcheurs de barrage que je connaisse, nous avons fait le constat qu’il ne se souvenait plus de la dernière fois où il avait lancé un montage du bord. Nombreux sont les carpistes de lac qui en diraient autant. J’ai moi-même une préférence pour la dépose des montages, même lorsque je pêche devant moi à portée de canne. Cependant, à plusieurs reprises j’ai changé cette habitude en session, avec des résultats très satisfaisants.
Ma première expérience remonte à 5 ans environ. Je rejoignais Eric Deboutrois sur un barrage où nous devions tourner quelques vidéos pour une des marques qui nous sponsorisait à l’époque. J’avais prévu mon « carp-boat » de 4 mètres avec son moteur thermique, et le zodiac de 2,5 mètres équipé du moteur électrique. L’idée était d’être mobile pour pouvoir s’installer n’importe où sur le lac. Arrivé sur place, il fut impossible de mettre le bateau à l’eau tant le niveau avait baissé.
Je me retrouvais donc obligé de faire avec le seul zodiac pour trimballer tout le matériel. Mes plans tombaient à l’eau, impossible d’atteindre la zone de pêche prévue initialement sans faire de nombreux aller/retours. Sans y croire je m’installais juste en face de la mise à l’eau, dans une entrée de baie que je connaissais mais que je n’avais pas du tout envie de pêcher à cette période automnale… Autant vous dire que j’étais énervé et dépité, car la session commençait très mal ! Malgré tout, j’étais au bord de l’eau et quand on y est on n’a pas le droit de se plaindre, pas vrai ?!! Je m’installais donc sur la pointe à l’entrée de la baie, et je tendais en premier deux cannes sur la berge opposée, par réflexe ou habitude, sur des spots intéressants mais finalement assez peu nombreux en raison du niveau d’eau très bas dans cette arrivée de la rivière.
Restaient deux cannes à placer, et j’avoue que je manquais un peu d’inspiration et de courage pour savoir qu’en faire… Par dépit ou paresse, je décidais de placer un repère sur le bas du tombant de la pointe juste devant moi, à 50 mètres à peine et dans 10 mètres de fond environ. Cela me semblait cohérent, et assez proche finalement de la pêche que nous pratiquions dans ces eaux 15 ou 20 ans auparavant. Après tout, je ne risquais pas grand-chose ! Les montages étaient donc lancés du bord, avec un stick soluble pour une présentation sécurisée. Sur cette session de 3 jours, j’ai touché pas mal de poissons, peut-être plus que si j’avais pêché là où j’avais prévu, et le plus grand nombre et les plus beaux sur les deux cannes qui pêchaient ce spot « confort ». La tactique était simplissime, pratique et rapide d’exécution : lancer du bord et amorcer à la bouillette pure à la fronde ou au cobra. Je suis persuadé que le fait de ne pas perturber la zone en déposant en bateau a été une des raisons de cette réussite.
Lors de ma dernière session en date cet automne, j’ai rejoint Stéphane Lemée sur un autre barrage pour 48 heures. Nous péchions également une pointe, mais dans une configuration plus ouverte qui offrait beaucoup de possibilités. Stéphane avait déjà trouvé sa pêche et pris quelques jolis poissons à longue distance, dans des profondeurs assez importantes de 15 et 20 mètres. J’avais deux options : soit faire de même, soit tenter autre chose. N’ayant pas pris de moulinet de grande contenance, le choix s’imposait et je décidais de pêcher notre rive, entre 8 et 15 mètres de fond et à courte distance. Le tout en lançant du bord des montages « classiques » eschés d’un bonhomme de neige et agrémentés d’un gros stick soluble… J’ai touché deux beaux poissons avec cette approche durant cette mini-session, sans avoir à passer des heures en bateau pour déposer « en face ». Combattre et amorcer du bord est bien plus agréable, particulièrement lorsqu’une pluie battante s’invite pendant des heures. Un des plus beaux poissons de la session a ainsi été pris en pleine après-midi, sur un montage lancé dans 15 mètres d’eau à 30 mètres du bord. Un vrai plaisir ! Certes, les résultats de Stéphane à longue distance étaient supérieurs, mais au prix d’efforts considérables dans des conditions météos pour le moins pénibles. Je vieillis, et j’avoue ne plus avoir autant de courage aujourd’hui. Stéphane est lui un vrai « warrior », avec une détermination sans faille que j’admire. Nous avons fait notre pêche différemment, avec des résultats proportionnels aux efforts fournis, mais nous avons tous les deux touché du poisson avec des approches opposées mais complémentaires, et c’est bien ce qui compte !
Tendre ou lancer, loin ou dans ses pieds, en lac de barrage les possibilités sont multiples et les choix sont dictés par les conditions du moment, l’équipement dont on dispose et le courage que l’on se sent capable de mobiliser. Rien n’est écrit mais une chose est certaine : ici comme ailleurs les stéréotypes ne doivent pas s’imposer comme la seule approche. « Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier », voilà bien un dicton plein de bon sens. Alors, n’oubliez jamais que si les carpes longent la berge d’en face, il est certain qu’elle se balladent aussi là, juste devant vous, à quelques mètres…