Nous voyons régulièrement que de nombreux paramètres sont à prendre en compte et que ce n’est pas un challenge si facile. Or, le jour où la chance vous sourit et que cette Goliath tant espérée est enfin devant vous, il va falloir immortaliser votre prise mais aussi prendre le plus grand soin de la belle pour qu’elle puisse retrouver son élément dans les meilleures conditions et en bonne santé. Elle fera sans doute un jour la joie et le bonheur d’un autre pêcheur. Voici donc les bons gestes, pas barrières ceux-ci, à adopter lorsque votre jour de chance se présentera.
Garder la tête froide
Ça y est, le poisson que vous recherchiez et pour lequel vous vous êtes investi corps et âme est enfin dans votre épuisette et les émotions décuplées ajoutées à l’adrénaline s’emparent de vous. Tout se bouscule dans votre tête et l’on ne sait plus très bien si l’on vit un rêve ou si c’est une réalité. Nos membres se crispent, nos mains deviennent moites et nous rentrons dans un état second fait d’un mélange de joie, de panique et d ‘anxiété. Cette sensation très humaine nous met face à un moment exceptionnel que nous ne sommes pas habitués à vivre régulièrement. C’est pourquoi il faut savoir rapidement prendre du recul sur la situation afin de rentrer dans une méthodologie efficace qui vous permettra d’effectuer chaque étape pour immortaliser cette prise sans risquer un instant de mettre la santé du poisson en danger. Bien sûr, le coup de fil à un proche est tentant, aller annoncer la bonne nouvelle à un ami posté un peu plus loin sur le lac aussi mais gardons à l’esprit que la goliath que nous venons de croiser est sans doute un poisson fragilisé par la vieillesse et les différentes et longues étapes de la vie qu’elle a dû traverser.
De l’épuisette au tapis
La mise à l’épuisette si simple qu’elle paraisse n’est pas chose si aisée lorsqu’il s’agit de glisser dans le triangle une géante. Tout d’abord, il va sans dire que lorsque l’on recherche ce type de poisson, un filet relativement grand a toute son importance. Il serait dommage d’être surpris devant la taille du poisson et où l’ouverture de votre épuisette suffirait à peine à accueillir celle-ci. Il existe des cas fréquents de décroches de très gros poissons lors de cette même mise à l’épuisette où le pêcheur surpris par la longueur et largeur du poisson s’empresse de vouloir relever le filet alors que l’ensemble du corps n’est pas encore à l’intérieur de celui-ci . Nous nous retrouvons donc face à une tension extrême de la ligne, le poisson partiellement sorti de l’eau faisant jouer tout son poids et facilitant ainsi un décrochage. Je vous laisse imaginer la tristesse et la frustration devant une telle situation.
Une fois celui-ci bien au fond de votre épuisette, c’est à ce moment-là que les choses ne doivent pas se précipiter. Je vous conseille à tous de désolidariser le filet du mât afin de faciliter le transport du poisson jusqu’à votre tapis de réception. Avant d’enrouler le filet et de sortir entièrement votre prise de l’eau, il faut vérifier si toutes les nageoires sont bien positionnées de façon naturelle. Une nageoire mal mise lors du levage du filet hors de l’eau aurait vite fait de se briser, handicapant le poisson pour le reste de sa vie. Cette première étape est essentielle au bon déroulement des suivantes. Veillez donc, même dans l’excitation, à réaliser celle-ci avec la plus grande douceur. Il en va de même lorsque vous poserez le poisson sur votre tapis de réception où cette même vérification a toute son importance. Je privilégie, même si l’on effectue une séance photo dans l’eau par la suite, un tapis à larges rebords et suffisamment hauts pour que votre prise ne puisse pas en sortir ou glisser. Les larges tapis dits « bassines » sont un accueil de premier choix pour nos belles. De nombreuses marques débordent d’ingéniosité en créant des modèles qui apportent un soin et une sécurité exemplaires aux poissons. Bien évidemment, avant de poser le poisson sur votre tapis, veillez à ce qu’il soit parfaitement humidifié.
Le verdict…
Cette géante tant rêvée est maintenant sur votre tapis et cela va être l’heure du moment tant attendu où celle-ci va révéler son poids du moment. Peut-être un « personnel best » pour vous mais également le record de l’eau que vous pêchez. Pour les mêmes raisons de sécurité du poisson citées précédemment, veillez à utiliser un sac prévu à cet effet de taille suffisamment large et profonde afin que le poisson n’ait aucune chance de se retrouver à même le sol. N’hésitez pas, si vous en avez la possibilité, à vous mettre à plusieurs pour manœuvrer le poisson et effectuer la pesée, celle-ci n’en sera que plus juste. Des trépieds solides sont une très bonne alternative mais une grande barre rigide portée sur deux épaules fait tout autant le job. Il n’est pas rare une fois le peson taré de voir celui-ci s’affoler devant les mouvements que le poisson émet à l’intérieur du sac. Une légère attente afin que celui-ci se calme, est préconisée pour avoir un poids juste. Une fois le poids et les mensurations généreuses de votre poisson connus, s’offre à vous un cas de conscience et une question essentielle quant à une éventuelle mise en sac de rétention ou non de votre prise. Bien évidemment, cette question ne doit pas se poser si la capture est effectuée en plein jour, les conditions lumineuses étant réunies pour réaliser vos photos dans de parfaites conditions.
Pour les captures effectuées la nuit, la réflexion est importante et cela dépend pour moi des conditions dans lesquelles s’est effectuée la capture. Si le combat s’est éternisé et que le poisson semble montrer des signes évidents de fatigue mais aussi de la température de l’eau, de la présence de végétation ou non à l’endroit où vous souhaitez conserver votre prise, les plantes consommant de l’oxygène la nuit et produisant un taux non négligeable de CO2 (dioxyde de carbone) . Cette situation mettrait le poisson dans une position inconfortable et nuirait à sa bonne ré-oxygénation. Nous avons pu voir dans un précédent article de mon ami Alexander Kobler qu’il est tout à fait possible avec un peu de technicité d’obtenir de superbes et originales photos de nuit. Lorsque j’ai la chance de capturer une carpe spécimen, cette question de la mise en sac m’obsède en permanence et je privilégie en priorité la bonne santé de ma prise. Quand la décision sera prise de maintenir le poisson en sac, tenez compte également de la configuration de votre poste et des conditions météo. Evitez par exemple les abords rocheux qui pourraient blesser la carpe si un vent soudain venait à se lever. N’hésitez pas également à mettre vos sacs de conservation dans suffisamment d’eau quitte à aller les placer en bateau dans une couche d’eau profonde. Equipez vos sacs de petites boules marqueurs flottantes qui vous permettront de les trouver facilement dès la luminosité revenue.
Prenez également en compte l’espace-temps. Il est complètement irresponsable de laisser une carpe spécimen que l’on a pris le soir en sac jusqu’au lendemain matin suivant. Le temps passé dans celui-ci est bien trop important et nuit inévitablement à la bonne santé du poisson. Je ne m’autorise maintenant la mise en sac que lorsque je sais et que j’observe la carpe en bonne santé mais en étant conscient que celle-ci ne restera pas plus qu’une paire d’heures enfermé dans celui-ci. Par exemple, si la prise est effectuée en fin de nuit, les risques pris sont moindres. Je vous laisse bon juge de cette décision mais vous suggère d’être pleinement responsable de celle-ci. Gardons toujours à l’esprit qu’un poisson à la génétique avantageuse aura toujours un certain potentiel de grossissement si celui-ci ne connaît pas de dommage irréversible lors de sa capture et en fonction du temps où il sera resté hors de son élément naturel. J’ai, par expérience, été témoin à différentes reprises de la mortalité de différentes carpes hors norme et certaines d’entre elles étaient des poissons très connus et parfois de véritables stars de la scène carpe. Les mauvaises manipulations, des temps hors de l’eau abusifs ou de trop longues heures passées en sac de rétention ont eu malheureusement raison de celles-ci. Cela ne devrait pas se produire. Les gros poissons sont par définition, sauf cas très exceptionnel, de vieux poissons et comme tout sujet âgé, sont beaucoup plus fragiles et très sensibles aux erreurs de manipulations. Leur métabolisme connaît à leurs âges inéluctablement des carences qui fragilisent leurs organismes.
Souriez…
C’est légitime, nous avons tous l’envie d’immortaliser la prise d’un tel poisson, et c’est humain, nous voulons garder un maximum de souvenirs que ce soit photographiques ou vidéos de notre poisson. Alors certes, nous allons avoir tendance à décupler les prises photos en oubliant parfois que nous avons entre nos mains un être bien vivant. Pour rendre ce moment plus acceptable pour le poisson, car à l’inverse de nous, ce ne sera jamais une partie de plaisir pour lui, il faut être prêt bien avant la prise et tout doit être minutieusement préparé et bien en place. Je vous recommande par exemple, que vous soyez seul ou en binôme, d’effectuer une simulation et une mise en situation lorsque vous avez un moment de libre.
Cela permettra de gagner un temps précieux sur les réglages manuels de votre appareil photo ou vidéo. Prévoyez également un seau d’eau à proximité de votre tapis et n’hésitez pas à humidifier plus qu’il ne faut votre poisson afin de préserver son mucus protecteur. Usez et abusez des couches de protection sous votre poisson si vos photos sont prises hors de l’eau. Dans la mesure du possible, effectuez vos séances photos dans l’eau, cette manœuvre réduit considérablement tous risques de mauvaises manipulations ou de chutes accidentelles de votre trésor et puis il faut l ‘avouer, une belle photo dans l’eau avec son record dans les bras a vraiment de la « gueule ». J’insiste également comme pour chaque moment de transport à bien veiller que les nageoires soient en place lorsque l’on repose le poisson sur le tapis. Accompagnez également votre geste jusqu’à ce que celui-ci soit confortablement posé et sans risque.
Au revoir ma belle…
Le moment de délivrance pour la carpe est enfin arrivé et elle a bien mérité cet instant où elle va rejoindre son élément et ses congénères. Pourquoi ne pas également regarder si vous pouvez lui apporter une aide supplémentaire à sa bonne santé en essayant de soigner des blessures récentes qu’elle aurait pu s’infliger. De nombreuses marques proposent des produits antiseptiques et cicatrisants très efficaces. Les nombreuses étapes de sa prise à la remise à l’eau ont dû bien la fatiguer et il n’est pas question ici de la remettre simplement et vulgairement à l’eau. Là aussi le poisson a besoin d’être accompagné. Qu’importe si l’eau est froide ou si la météo est déchaînée, rendons à notre prise le bonheur qu’elle nous a apporté. Alors, passons le temps nécessaire et plus qu’il n’en faut, à faire retrouver ses esprits à celle-ci en la maintenant sous l’eau le temps imparti et jusqu’à ce qu’elle soit prête et autonome à regagner les profondeurs. Ce même temps est inévitablement accru lorsque les eaux sont chaudes et si par malheur, au bout de quelques mètres, vous observez votre poisson remonter à la surface asphyxié ou désorienté, il vous faudra impérativement et coûte que coûte le rejoindre et repasser du temps avec lui. J’ai moi-même vécu une expérience de la sorte où lors de la prise d’un très gros amour blanc je me suis vu passer 45 minutes dans l’eau en pleine nuit avec lui et après avoir pensé que celui-ci repartait, je l’ai vu remonter en surface, immobile à une vingtaine de mètres de la berge. Je ne me suis pas posé de question et me suis mis immédiatement en caleçon pour aller rejoindre et récupérer à la nage ce poisson qui avait encore besoin de moi. Bien entendu, pour les plus passionnés d’entre vous, cette remise à l’eau ne devra pas se faire sans le traditionnel bisou d’au revoir, gage de communion et de respect de votre prise.
Je ne le répéterai jamais assez, les amoureux des grosses carpes que nous sommes, devons avoir conscience que ce patrimoine halieutique est une chance inouïe et apporte une dimension très excitante à notre passion. Nous sommes pourtant des étrangers et de simples passagers dans leur monde. C’est pourquoi, nous devons nous faire le plus petit et le plus respectueux possible. Un véritable amoureux des grosses carpes et pas seulement, mais tout simplement des carpes, doit préserver la santé de celles-ci. Au diable l’égoïsme et soyons conscients que le bonheur qui nous envahit lors d’une telle capture n’est au grand jamais une partie de plaisir pour le poisson. Et puis, n’avons-nous pas envie de recroiser un jour la route de cette géante avec peut-être quelques kilos en plus ? Et si celle-ci est en plus en parfaite santé, alors, notre devoir est accompli.
Celui qui respecte la vie animale, respectera plus que tout autre la vie de ses semblables. Cette citation n’est pas de moi mais j’y adhère complètement !