C’est ainsi que dans les années trente, le docteur Ernest Sexe commençait son chapitre consacré au matériel et à la canne à carpe. Je ne doute pas un seul instant que l’illustre docteur au patronyme contenant un tel viatique offert à la naissance s’y connaissait tant en canne qu’en vigueur masculine. Vous me direz que depuis tout ce temps les matériaux ont bien évolué, on va en parler, pour autant son exposé me semble toujours d’actualité pour une canne à pêche, voire même pour une canne à lancer. Car nos cannes ont bien deux fonctions, voire trois, nous permettre de lancer de plus en plus loin nos esches et nos amorces (spomb, baitrocket), de combattre les carpes de forte taille, et accessoirement d’être jolies voire de nous faire fantasmer ce qui n’enlève rien, sauf à notre objectivité et peut-être à notre porte-monnaie.
Les matériaux
Les plus anciens ont connu le bambou blanc ou noir pour les cannes les plus longues qui mesuraient -diantre- jusqu’à 6 mètres afin d’éviter la « scie » du premier rayon dur de la nageoire dorsale des carpes, réputée cisailler le crin de nos aïeux, ou encore les modèles collectors en bambou refendu bien plus courtes, assez proches des dimensions des cannes à saumon de l’époque ou de nos cannes à carpe actuelles. On a ensuite connu l’époque des cannes en fibres de verre télescopiques, toujours aussi longues (qui se rappelle de la Garbolino de Jo Nivers équipée d’un gros pommeau à caler dans le creux de l’aine ?), avant que les cannes dites « modernes » n’arrivent depuis l’Angleterre sur le marché continental. L’usage de la fibre de carbone s’est ensuite assez vite démocratisé et s’impose désormais.
Le carbone
Pour faire simple il y a trois types de carbone, en réalité de « modules » (voir tableau). Tous les fils de carbone proviennent des quelques fournisseurs mondiaux (Granoc, Mitsubishi, Toray…) et quelques fabricants tissent des nappes de carbone qui seront solidifiées par une résine thermodurcissable et tournées par les producteurs de blanks (la tige de carbone). Ceux-ci découpent les feuilles, qui sont enroulées à l’aide d’une presse autour d'un mandrin pour leur donner la forme conique souhaitée. En fonction de la qualité des fibres, caractérisée par un module élastique exprimé parfois en Giga Pacal (GPa), parfois en PSI (1 GPa = 145 037,737 PSI) ou encore en tonnes, le blank sera plus ou moins léger, solide. Plus ce module est élevé, plus la canne sera rigide.
HR |
Haute Resistance (ou standard) |
230-280 GPa |
MI (ou IM) |
Module Intermédiaire |
280 à 340 GPa |
HM |
Haut Module |
340 GPa et + |
Mais c’est plus complexe que cela, en termes de sonorité, de résistance et de procédés de fabrication, que ce soit au niveau des résines et des quantités utilisées, pour superposer les fibres, pour donner de la conicité ou de la finesse aux blanks etc. Par exemple les fabricants de blanks peuvent ajouter au cylindre de carbone, un « scrim » (littéralement « canevas » en anglais) c’est à dire un tissage supplémentaire qui aide le blank à retrouver sa forme ronde après avoir été mis en compression. Le module du carbone, la composition du scrim mais aussi le savoir-faire influent sur les qualités du blank produit. Un blank ou une canne à pêche c’est un peu comme une omelette, à la fois très simple et très subtile à faire…
Au final avec des œufs tout le monde peut faire une omelette, mais toutes seront différentes selon la patte du cuistot : celle de ma grand-mère est différente de celle de la mère Poularde ou encore de celle d’Alain Ducasse, le chef le plus étoilé au monde… De fait chaque marque, en tout cas celles qui fabriquent des blanks et des cannes, peut y aller de son appellation. X45 pour les enroulements hélicoïdaux, HVF pour hight volume fiber, Magnum taper pour les blanks (i)coniques de Daiwa par exemple.
La longueur
Nos anciens souhaitaient donc des cannes longues, si possible d’un seul tenant pour éviter les casses au niveau des viroles. Mais se trimballer avec des cannes de 4m trouvait vite ses limites et il fallait composer. A l’époque, l’extrémité de chaque brin en bambou ou en roseau rubané était évidée pour pouvoir y loger le brin supérieur, ce qui le fragilisait et nécessitait donc l’ajout d’une virole métallique. L’usage des viroles s’est poursuivi sur les cannes à emmanchement en fibre de verre, voire sur celles télescopiques qui comportaient des anneaux soudés. Les cannes modernes sont quasiment toutes à emmanchement inversé (le brin inférieur s’emboitant dans le supérieur) bien que quelques-unes furent à spigot, ce qui permettait de faire des cannes avec un blank d’un seul tenant, coupé en deux parties au milieu ensuite assemblées avec un spigot en carbone collé dans le brin inférieur et rentrant dans celui du dessus. Je ne sais pas pourquoi le système de spigot a été abandonné, probablement parce que les spigots pouvaient fragiliser les cannes vu leur moindre diamètre ou s’user et de fait devenir inopérant, ou si c’est plus simplement parce qu’ils étaient décriés et réputés « casser » l’action de la canne ? Ce qui est toujours d’actualité en tout cas c’est qu’il faut composer avec la notion d’encombrement lorsqu’on fait le choix des cannes.
C’est vrai que le transport (dans le métro, en avion, dans le coffre ou sur un float tube) et la maniabilité des cannes sont grandement facilités lorsqu’elles sont plus courtes, en plusieurs brins ou encore télescopiques pour tout ou partie. C’est aussi vrai que pour lancer les grandes cannes sont plus performantes (en fonction de votre morphologie) et que pour combattre les petites cannes offrent moins de bras de levier au poisson et facilitent le combat. Il en existe donc de toutes les longueurs, allant désormais du simple au double, au gré des modes et des usages. Les longueurs sont exprimées en pieds (foot en anglais, 1 ft = 30.48 cm) voire en pouce (inch en anglais, 1’’ = 2.54 cm). Une canne de 12.6 pieds mesure donc (12*30.48) + (6*2.54) = 381 cm.
LONGUEUR |
USAGE |
6/8 pieds |
Stalking – Kayak - float tube |
9/10 pieds |
Stalking – kayak - float tube – Dépose en bateau (lac/rivière) |
11/12 pieds |
Mixte (dépose/lancer) |
13 pieds |
Lancer du bord à longue distance (pour les grands gabarits) |
L’action
Le néophyte peut facilement s’y perdre dans tous les termes techniques tant il y en a. Les deux points suivants sont probablement les plus importants. Commençons par parler de l’action, c’est-à-dire la courbe que décrit la canne avec un poisson au bout. Soit il n’y a que le premier tiers ou quart qui plie, on parle alors d’une action de pointe (ou d’action rapide, fast voire extra fast chez les pêcheurs de carnassiers). Soit c’est toute la canne (en réalité les 2 tiers environ) du scion au porte moulinet qui fera une courbe régulière, on parlera alors d’une action parabolique (ou slow). Entre les deux (si la canne plie sur la moitié) on parlera d’action semi parabolique (ou moderate). L’action caractérise à la fois la souplesse ou au contraire la raideur de la canne, mais aussi sa capacité à lancer. Pour faire simple, plus la canne est raide et puissante (on va y revenir) et plus elle aura d’aptitude à lancer. C’est assez intuitif à comprendre mais un peu plus complexe que cela en fait, car le blank de la canne est mis en compression lorsqu’on lance d‘arrière en avant et poursuit un peu sa course en faisant ressort et en se redressant lorsqu’on bloque le geste.
Le blank travaille, se déforme, s’ovalise. La canne doit donc en théorie pouvoir restituer le maximum d’énergie que le pêcheur à mis dans le geste et se redresser rapidement. On voudrait tous que nos cannes lancent le plus loin possible, ceci dit tous les pêcheurs, en fonction de leur taille, de leur vitesse d’exécution, n’ont pas cette capacité à exploiter la nervosité du blank. On a tous en nous ce syndrome du petit Gibus (personnage de « la guerre des boutons ») qui ne sera jamais chef parce que ce n’est pas lui qui fait pipi le plus loin (la vraie réplique c’est celui qui a le plus grand zizi). C’était déjà vrai dans ce roman écrit en 1913 par un Franc-Comtois, en 1937 pour les contemporains du Dr Sexe et ça l’est toujours pour nous autres plus d’un siècle après ! Si la notion de « frappe » vers l’infini et l’au-delà peut s’entendre pour les compétiteurs, pour le commun des mortels que nous sommes, disons que le doute m’habite.
La puissance
Par contre, avec un peu de chance, ou beaucoup de talent, on peut tous tomber un jour sur un gros poisson. Aussi faut-il pouvoir compter sur suffisamment de réserve de puissance afin de contrer celui d’une vie. Il est facile de comprendre qu’une canne parabolique aura moins de réserve qu’une canne semi parabolique et encore moins qu’une dite de pointe… Certains fabricants parlent d’ailleurs d’action progressive (pour parler de réserve de puissance) signifiant aux pêcheur qu’ils peuvent tirer sur la canne et qu’elle aura toujours de la puissance. En général c’est dû à la forme du blank généralement un peu plus conique que la normale, mais ça peut aussi dépendre de la conception même du blank, s’il est par exemple renforcé par une couche de carbone sur le talon.
La puissance d’une canne se mesure lors d’un test de courbure (test curve) en livres anglaises (LBS). Cela correspond au poids qu’il faut pour courber la canne à 90°, entre le scion et le talon. Plus le chiffre est élevé plus la canne supporte des charges lourdes. Les puissances des cannes à carpe vont de 2.5 LBS (en dessous se sont plutot des cannes pour pêcher les gros blancs comme les barbeaux) jusqu’à 3.5 voire 4 LBS et plus pour les cannes à spoder. Peut-être serez-vous étonnés par la faible puissance des premiers modèles de cannes importés d’Angleterre dans les années 80 (souvent inférieurs à 2.5 LBS voire même à 2 LBS) mais la raison était simple : elles étaient tout à fait adaptées aux carpes anglaises (de l’époque) qui, à quelques rares exceptions près, étaient d’un petit gabarit.
Cela ne voulait pas dire pour autant qu’une canne de 2.5lbs ne vous permettait pas de sortir des carpes de 20 kilos ou plus (je vous en reparlerai en conclusion), juste qu’il fallait être bien plus doux et patient, et que vous risquiez vite d’arriver en limite de puissance…
ACTION |
PUISSANCE | TC |
POIDS DES POISSONS |
Pointe |
Très puissante |
3.5 LBS et + |
20 kg+ |
Semi parabolique |
puissante |
2.75 à 3.25 LBS |
10 à 20 kg |
Parabolique |
Faible puissance |
2.5 LBS et - |
10 kg |
La puissance de la canne conditionne aussi le grammage que l’on peut propulser sans risquer d’exploser le blank. Sur les cannes carna la plage de poids est indiquée en grammes, pas sur nos cannes à carpe. Une formule permet néanmoins d’estimer le grammage optimum pour atteindre la plus grande distance, en comptant 8.5 g pour 0.25 LBS de test curve. Attention toutefois, comme les valeurs indiquées de test curve ne reflètent pas toujours la réalité et que cette formule est empirique, le grammage calculé restera approximatif, le mieux étant de faire des essais, progressivement. Ce qui ne veut pas dire non plus que vous ne pouvez pas envoyer plus lourd, mais en faisant un geste plus lent, plus ample.
PUISSANCE |
GRAMMAGE OPTIMUM CALCULÉ |
2.5 LBS |
85 g |
2.75 LBS |
93.5 g |
3 LBS |
102 g |
3.25 LBS |
110.5 g |
3.5 LBS |
119 g |
L’équipement
Les cannes à lancer sont bien évidemment équipées d’anneaux, en plus ou moins grand nombre et de plus ou moins bonne qualité, d’un porte moulinet et d’un pommeau (ou d’un butt cap).
Le nombre d’anneaux influe sur la courbure de la canne pendant le combat et plus il y en a, plus la courbure est régulière à tendance parabolique. Mais le nombre d’anneaux augmente aussi le poids de la canne ainsi que les frottements, deux critères contreproductifs au lancer de plus en plus prégnant de nos jours. Les modèles actuels recherchent le meilleur compromis, elles ont en général autour de 6 anneaux, soit deux fois moins que sur les carp X Mitchell des années 80 ! En contrepartie cela permet aussi d’en augmenter la qualité (légèreté des matériaux, meilleure glisse, résistance à l’abrasion) en restant dans des critères de prix abordables. Là encore c’est votre style de pêche (à lancer, à déposer) et la taille de votre porte-monnaie qui vous orienteront vers un choix d’anneaux plutôt qu’un autre. La tendance à l’heure actuelle est d’avoir des anneaux de grand diamètre (40 voire 50mm au départ et 16mm en anneau de tête) tout en cherchant « en même temps » à gagner en finesse pour rester dans des poids acceptables. Par contre le prix final s’en ressent.
Je plie mais ne romps pas.
Il y a vraiment beaucoup de modèles de cannes sur le marché, comparativement au choix que nous avions il y 30 ans en arrière, vous devriez forcément en trouver une à votre main. Sinon, vous avez toujours la possibilité de faire appel aux conseils d’un monteur, vous pourrez tout choisir : du blank aux anneaux en passant par la cosmétique des ligatures. Si vous n’êtes pas assez fortunés rien de bien grave ! Je ne prends pas plus de carpes avec mes Obsessions Collector anneaux low rider 13.6 pieds 3.5 LBS qui devaient se vendre 450€ pièce lorsque Sert les a sorties au début des années 2000 (c’était cadeaux, j’étais sponso) qu’avec mes Extricator Wychwood 3LBS 10 pieds achetées avec mes deniers à moins de 50€ pièce, ou bien avec mes Daïwa Power Mesh 2.5LBS 12 pieds 3 brins qui doivent maintenant avoir plus de 25 ans. Pour la petite histoire, j’ai pris ma plus grosse carpe avec une Saint Cassien Super de chez Décat (2.5 LBS, 3 brins) qui valait en francs l’équivalent de 45 de nos euros et qui pour le coup, je l’avoue, faisait un peu queue de vache avec un tel bœuf au bout…