Avant d’aller plus loin, je tiens à préciser que ce qui suit est bien sûr ma façon de voir les choses et ne représente en rien une vérité si tant est qu’il en existe une en matière d’appâts et qui plus est concernant les appâts à carpe en particulier, tellement le sujet peut être passionnel... Des recettes et des façons de faire, vous en trouverez des centaines sur internet ou à travers vos lectures. Toutes prendront du poisson ! Mais pas partout, pas tout le temps.
J’ai la chance d’avoir un accès privilégié à un plan d’eau où je peux mener mes « expériences » sur une population de poissons équilibrée. Il y a des carpes bien sûr, mais aussi des tanches, des gardons, et des carnassiers. Tout ce petit monde a son mot à dire quand on introduit des appâts dans leur milieu. Par expérience, les carpes ne mettent jamais très longtemps à trouver les bouillettes que je leur donne, parfois moins de 15mn, même si aucune n’était sur la zone au moment de l’amorçage.
Elles les détectent vite mais ne les prennent qu’au bout d’un certain temps, parfois un temps très long, et d’autres fois un temps extrêmement long qui semble interminable quand elles ne sont pas en phase alimentaire. Tirer des conclusions sur un appât quand chaque moment est particulier est impossible, il faut laisser le temps au temps, laisser sa chance au produit. Pour arriver à une certaine satisfaction, sans parler d’avoir fait le tour d’un sujet qui ressemblerait plus à un anneau de Moebius en ce qui concerne les théories sur les appâts, il faudra essayer et essayer encore, saison après saison jusqu’à acquérir de l’expérience d’où découlera une façon de faire, sa façon de faire, trouver sa voie.
La base
Comme il en faut une, même si plus tard on verra qu’on peut très bien s’en affranchir, on va faire très simple et partir sur la très connue :
- Semoule 50%
- Soja 50%
On ne peut pas faire plus simple ! C’est un mélange connu et reconnu qui a pris et prendra des milliers de carpes, même aujourd’hui ! Pour l’anecdote, j’ai été banni sans aucune forme de procès d’un groupe FB de roulage d’appâts pour avoir eu l’audace de proposer ce mélange à un débutant qui recherchait une recette simple et peu couteuse… Les ayatollahs de la bouillette m’étaient tombés dessus et banni sans que je puisse argumenter. Trop simple et pas assez cher mon fils, et pourtant très efficace quand on y ajoute des attractants bien ciblés.
C’est un mélange à base d’hydrates de carbone mais qui contient quand même 20% de protéines. Il plait immédiatement aux carpes et il est idéal pour un pêcheur qui pratique la plupart du temps les weekends ou sur de courtes périodes, ce qui doit représenter au moins 80% de la population carpiste. Une légende raconte que ce mélange est très utilisé dans la fabrication industrielle des bouillettes, sans autre modification, malgré le prix exorbitant du produit fini proposé par certaines marques. Mais les légendes n’existent que pour ceux qui veulent bien y croire…
On a donc notre base avec laquelle on peut déjà prendre des carpes (beaucoup et toute l’année) telle quelle. Le soja peut être avantageusement remplacé par du soja toasté pour une meilleure assimilation, de la farine de lupin ou de la farine de pois chiche. C’est un mélange prenant mais qu’on peut améliorer en s’en servant de corps. C’est lui qui va agglomérer les différents additifs qu’on va lui apporter.
Détection
On a tous lu ou entendu que la carpe détecte sa nourriture en « goutant » l’eau. Ce n‘est pas tout à fait exact. Elle possède des narines qui lui permettent également de sentir et ces deux sens, gout et odorat sont bien distincts, comme chez l’humain. Elle possède des récepteurs dans les narines et dans la bouche qui lui permettent de capter les messages chimiques véhiculés dans l’eau. Comme les composés chimiques sont dilués et non volatiles, il ne semble pas pouvoir y avoir « d’odeur » forte ou puante pour un poisson. Le message est attractif ou neutre. Il existe plusieurs composants qui stimulent la détection alimentaire.
Les acides aminés, plusieurs fois décrits dans la littérature « carpe » dont Rod Hutchinson qui en parlait déjà en 1981 dans son livre Carp Book sont un des composants les plus intéressants. La carpe les détecte aussi bien par gustation que par l’odorat mais ils ne sont les seuls. Partant de là, on a donc intérêt à amplifier les signaux en incorporant des ingrédients solubles qui libèrent des acides aminés et autres messages positifs.
La poudre de lait pour veau, les protéines de poisson solubles ou autres farines prédigérés, le krill, le calamar, les levures, les épices, la poudre de chocolat… enverront un signal fort dès l’immersion de la bouillette. On peut en ajouter 5 à 20% à notre mélange. On obtient par exemple :
- Semoule de blé 40%
- Farine de soja 40%
- Poudre de lait 20%
Pour Rod Hutchinson, les éléments solubles étaient la clé de l’attraction, et l’avènement des farines prédigérées était pour lui une réelle avancée dans la qualité de nos appâts. De mon côté, je ne fais plus de mix sans ajouter au moins un ingrédient soluble. Pourquoi la poudre de lait dans ce mélange ? Je crois qu’en plus de sa grande solubilité, la carpe adore le gout du lait et j’ai du mal à m’en passer dans mes mixs en toutes saisons. La whey protéine est excellente également et apporte en plus des protéines immédiatement disponibles. On verra plus tard que certains additifs liquides ont un grand intérêt également mais restons sur les farines pour l’instant, le corps du mix.
Le « croquant, craquant, fondant »
La carpe aime broyer sa nourriture et certains pensent que le son émis par les dents pharyngiennes lors des phases d’alimentation est un signal positif pour les carpes du groupe. L’intérêt de donner de la texture à notre bouillette c’est aussi d’aérer le mélange qui va donc relâcher plus facilement ses messages qui vont permettre une meilleure détection par la carpe.
On peut donner de la texture de différentes manières. Certains utilisent des coquilles d’œuf broyées, je préfère les graines et autres bird foods. Le chènevis ou les graines pour les canaris s’emploient toujours broyés autrement ils n’ont aucun intérêt et ne font que fragiliser la bouillette. Les croquettes pour chien et chat, moulues elles aussi, sont une bonne option et vont en plus apporter des protéines animales, des graisses et des vitamines. Que des bonnes choses ! On peut en incorporer jusqu’à 60% du mélange selon l’ingrédient ce qui donne par exemple :
- Semoule de blé 25%
- Farine de soja 25%
- Poudre de lait 20%
- Bird food 30%
On obtient un appât qui a du corps, qui diffuse bien, doté d’un bon profil nutritionnel avec des protéines et des lipides en bonne quantité. J’ai choisi dans ce cas d’incorporer du bird food qui va en plus apporter des vitamines et des acides aminés intéressants pour l’assimilation des protéines céréalières puisque ces mélanges sont souvent enrichis en méthionine et en lysine. C’est un de mes ingrédients favoris pour plusieurs raisons que j’aurai peut-être l’occasion d’évoquer ici.
On a déjà un bon mix attractif et nourrissant et qui le restera assez longtemps.
Nous c’est le gout !
Je crois que le gout est un paramètre pas assez pris en compte dans la fabrication des bouillettes. Régulièrement je goute différentes « ready made » du commerce et certaines ne donnent vraiment pas envie d’y revenir. Vous allez me dire que je ne suis pas une carpe et que je ne peux donc pas juger de ce qu’elle pourrait qualifier de bon gustativement, ce qui est vrai ! Mais j’aime bien malgré tout que mes appâts aient bon gout, même si ce « bon gout » est purement anthropomorphique !
Les ingrédients qui vont marquer votre appât ne manquent pas, mais je ne suis pas partisan de trop mélanger les genres. Un ou deux ingrédients marquants sont suffisants de mon point de vue. Sucre, sel, épices, poudre de foie, rehausseurs de gout, certaines poudres réservées à la cuisine comme le bouillon de bœuf ou de poulet sont excellentes, sont à ajouter en fonction de vos envies et de la tonalité que vous souhaitez donner à vos bouillettes. La poudre de foie en particulier, en plus de marquer gustativement votre appât va apporter des vitamines et des minéraux indispensables à la carpe. C’est un super ingrédient dont on n’entend plus beaucoup parler ces dernières années.
Vous pouvez aussi utiliser les « liquid food », encore de super ingrédients complets sans aucun risque de surdosage qui en plus de marquer vos bouillettes sont un concentré d’acides aminés dont je parle plus haut mais là on n’est plus sur la composition du mix mais sur les additifs qu’on verra dans un autre article. On peut faire par exemple :
- Semoule de blé 25%
- Farine de soja 25%
- Bird food 30%
- Poudre de lait 18%
- Epices (poivre noir et paprika) 2%
Des protéines !!
Avec les lipides, les protéines sont le nutriment le plus utile à la croissance des carpes. Elles les recherchent donc en priorité. Si vous décidez de fidéliser les carpes sur vos appâts de long mois en pêchant le même lac à l’année, vous serez obligé d’en passer par la case « protéines ». Les farines de poisson et les protéines de lait, mais aussi les protéines végétales sont idéales pour enrichir notre recette. On peut y aller franchement et en ajouter entre 300 et 600g à notre base. Ce qui donne par exemple
- Semoule de blé 15%
- Soja 15%
- Farine de poisson 40%
- Bird food 20%
- Poudre de lait 8%
- Epices 2%
Des farines de poisson il en existe plusieurs (saumon, LT94, thon, hareng…). Toutes sont plus ou moins grasses et ne se comportent pas de la même manière dans un mélange. On peut bien sûr les mélanger et pour en savoir plus je vous propose de relire mon article les concernant dans le Média Carpe 159.
Les protéines de lait (caséine, whey…) sont très efficaces mais sont devenues tellement cher que je ne m’en sers quasiment plus. Elles s’utilisent dans les mêmes proportions que les fishmeal.
Quant aux protéines végétales, il semble que ce soit l’avenir de la bouillette. Les ressources marines diminuent drastiquement et comme l’écrivait Soël il y a peu, on peut se poser la question de savoir si il est bien « raisonnable » d’utiliser des farines animales pour capturer d‘autres poissons avec comme finalité de poser fièrement devant l’objectif avec notre capture.
On peut utiliser des farines végétales riches en protéine bien sûr, mais on trouve aujourd’hui des isolats de soja, de pois… qui contiennent jusqu’à 90% de protéines. Je n’ai pas utilisé ces isolats et pour l’instant je ne vous en dirai pas plus. Des tests sont à venir…
A travers ces différentes étapes on a vu comment travailler un mélange au fil du temps et de ce que l’on veut obtenir, aussi bien en termes d’attraction que d’équilibre nutritionnel. On a défini une bouillette classique qui tient la route. Je le répète, la version de base suffit pour prendre des poissons, beaucoup et longtemps, tout comme les versions « enrichies ». On n’est pas obligé non plus de passer par la case « protéines ». Pour des pêches de courte durée ou des endroits bien stockés, ou encore des lacs très pêchés avec des farines de poisson, des billes « basiques » font largement le job en toutes saisons ! On reviendra sur les sujets de saisonnalité d’un appât, d’attraction, d’adaptation…
J’espère vous avoir donné envie de fabriquer vos appâts ou de vous avoir éclairé sur les raisons d’utiliser telle ou telle farine. Bien sûr les mixs proposés ne sont qu’un exemple, les produits pouvant entrer dans nos compositions et les possibilités de mélanges étant infinis. Avoir une base solide et travailler autour de celle-ci pour la faire évoluer permet de ne pas se perdre dans les ingrédients à la mode qui nous font vite oublier l’essentiel.