C’est sur l’Yonne, sa rivière de cœur, canne en main et sur son bateau que Jean-Louis a accepté de me livrer sans détour, entre deux lancers, toute une vie de pêcheur. Les conditions du jour étaient difficiles mais il parviendra tout de même à capturer sous mes yeux son… 17037ème brochet !
La compétition
Je dois remonter assez loin dans le temps pour retrouver ma première rencontre avec Jean-Louis Authier qui n’avait rien à voir avec le brochet. C’était lors d’un championnat de France, une 1re division disputée à Vesoul en 1994. Jean-Louis avait en effet décidé, quelques années plus tôt, avec la raréfaction du sandre dans sa région, de se lancer dans la grande aventure des compétitions de pêche au coup. En peu de temps, tout en continuant à pêcher les carnassiers l’hiver, il avait gravi tous les échelons pour se hisser dans l’élite nationale à une période où les places étaient très disputées. Avec des moyens limités et un style particulier, mêlant fausse nonchalance et talent pur, je l’ai vu alors rivaliser avec les plus grands de l’époque, Jean-Pierre Fougeat, Didier Guessard, Jean Desqué, Jean-Jacques Chaumet ou Robert Berlioux. Ce n’est que des années plus tard, discutant avec lui sur le salon de Clermont, que je comprends qu’il est en fait bien plus qu’un pêcheur au coup. Jean-Louis est né à Migennes (89) en 1962. Son grand-père l’emmène pour la première fois au bord de l’eau à l’âge de 4 ans. « Il pêchait le brochet dans le canal de Bourgogne et en même temps il m’apprenait à capturer les blancs, se souvient Jean-Louis. Le soir, nous mangions la friture en famille… » Il a huit ans quand son père lui offre son premier lancer, une canne Tortue en fibre de verre avec laquelle il prend son tout premier brochet de 54 cm au vif. Les deux suivants, il les rate ne sachant pas que les brochets… ça coupe ! Un peu plus tard, il découvre l’Yonne et commence à toucher quelques beaux spécimens. C’est le milieu des années 1970 et Jean-Louis, adolescent, découvre le mort-manié grâce aux articles d’Henri Limouzin dans La Pêche et les poissons, dont il est aujourd’hui encore un fidèle lecteur (NDLR : merci Jean-Louis !) C’est la révélation. Il pratiquera cette technique quasiment exclusivement pendant une vingtaine d’années. Étudiant en géologie à la fac de Dijon au début des années 1980, il se souvient être allé énormément à la pêche. Doté d’une excellente mémoire, les cours photocopiés d’une copine lui suffisent et il regroupe les TD obligatoires sur deux jours et demi. Il peut ainsi filer au bord de l’eau le reste du temps, traquer les sandres et les brochets. Licence en poche, il passe les concours de la fonction publique et devient cadre à La Poste.
L'aventure irlandaise
C’est à cette époque, en 1987, qu’il se rend aussi pour la première fois en Irlande, destination brochet dont il rêve en lisant les reportages dans notre magazine. Ce premier voyage, mal préparé, n’est pas une réussite mais il y croise la route de René Lachenmaier, un des précurseurs du tourisme pêche en Irlande, et qui va devenir son mentor. Il apprend ainsi les subtilités de la pêche du brochet au manié mais sans plomb, de façon très planante, technique que Jean-Louis utilise encore aujourd’hui quand les conditions l’exigent. L’Irlande, avec ses brochets, se transforme en passion dévorante et, pendant une décennie, il s’y rend jusqu’à quatre fois par an du côté de Killashandra, gonflant son palmarès de poissons trophées. « En septembre 1998, René a arrêté son activité et m’a proposé de la reprendre, explique Jean-Louis. Mes parents venaient de décéder, j’avais un peu d’argent de côté, je me suis lancé ! »
Aller-retour
Jean-Louis achète une maison sur place et part, avec femme et enfants, s’installer comme guide de pêche en Irlande. Une vraie bifurcation ! Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que son épouse ne se plairait pas du tout en Irlande. Au bout d’un an seulement, il revend sa maison et rentre en France mais continue d’exercer là-bas en tant que guide de pêche pour le compte d’un tour-opérateur français pendant les treize années qui suivent. « Alors que mes enfants étaient encore très jeunes, je passais environ sept mois par an en Irlande, confie-t-il. Il fallait que mon couple soit solide pour que ça tienne ! » Cette aventure irlandaise ne prend fin qu’en 2017…
Les petits carnets
Depuis ses débuts, Jean-Louis consigne avec rigueur l’ensemble de ses prises dans ses carnets. Depuis trente ans, il les remet d’ailleurs à la fin de chaque année à la fédération de l’Yonne qui les décortique avec intérêt. Jean-Louis transmet sans aucune cachotterie les lieux précis, dates et heures de ses captures de brochets. Les techniciens ont ainsi calculé qu’en 2013, sa meilleure saison, Jean-Louis avait pris un brochet toutes les vingt minutes de pêche. Impressionnant ! Sur ses 17 148 brochets (il en a pris 111 depuis la date de notre interview !), 733 étaient métrés dont 185 piqués sur le territoire français. « Et seulement sept sur le domaine privé ! » précise-t-il, lui qui est très attaché à la pêche publique. Son record d’ailleurs, très récent (2020), n’est pas irlandais : c’est un trophée de 1,31 m, pris au chatterbait sur le domaine public, dans un de ses fiefs de l’Yonne.
Deux cannes, ça suffit
Au niveau du matériel, Jean-Louis Authier plaide pour la sobriété. Pour lui la connaissance des milieux et la technique sont bien plus importantes. Il se déplace le plus souvent au bord de l’eau avec deux cannes seulement, largement suffisantes selon lui. Il pêche très régulièrement sondeur éteint, en dérive naturelle sans activer son moteur électrique, de manière à rester le plus discret possible. Comme je l’interrogeais sur le fluorocarbone, dont je voyais qu’il ne se servait pas, la réponse a fusé : « C’est un beau coup commercial, mais à part ça… Pour le brochet, j’utilise systématiquement 40 cm de crinelle d’acier souple et fine, m’exlique-t-il. C’est discret, fiable et ça contrarie moins la nage des leurres qu’une corde de 90/100 !» J’ai remarqué aussi qu’une de ses boîtes renfermait des leurres durs tous déjà reliés à un brin de crinelle d’acier.
Précis
« Avec les suspending, il faut être précis et le poids du bas de ligne joue sur la densité, m’a-t-il répondu. J’étalonne chaque leurre avec la bonne longueur de crinelle et conserve le montage entier ! » Tout est dit…
Un insatiable touche-à-tout
Attiré par les brochets, Jean-Louis Authier est néanmoins un vrai touche-à-tout. Chaque année, en mars, il traque les farios de son département au toc, en dérive naturelle, avec son ami Éric Laudier dont nos lecteurs n’ont sans doute pas oublié les formidables Direct Live. Les petites rivières de l’Yonne n’ont pas de secret pour lui et il y capture régulièrement de beaux spécimens. Jean-Louis a aussi été, dans un passé récent, président de l’AAPPMA de Sépeaux. Très jeune déjà, il savait se servir d’une canne à mouche et avant de perfectionner sa technique, en Irlande, au saumon.