C’est près de la confluence entre Rhône et Durance, à quelques encablures d’Avignon, que je retrouve aujourd’hui Andy Salmeron. Ce natif d’Arles, âgé de 24 ans, connaît parfaitement le coin. Il ne cache pas son attachement pour la Durance et au spectacle saisonnier de la migration des aloses. «J’y ai d’abord pêché la truite en amont, dans les Hautes-Alpes, puis les carnassiers près de chez moi, rappelle Andy. Il y a six ans, j’ai découvert l’alose, sur le Gardon, un autre affluent du Rhône. J’ai tout de suite voulu les rechercher près de chez moi, sur la Durance !»
Une pêche de printemps
Ici, les aloses sont présentes en masse en mai-juin mais la montaison va de mars à juillet, suivant les années et les appels d’eau. L’an passé, Andy en a pris jusqu’en août… Sur chaque cours d’eau, l’activité est fluctuante. Sur le Gardon, par exemple, les touches se concentrent surtout lorsque le soleil est au zénith, entre midi et 14h00. Sur la Durance, c’est plutôt en fin de journée. En parfaits migrateurs, les aloses sont des poissons qui bougent beaucoup. Le but d’Andy est de court-circuiter leur passage. C’est ainsi qu’il organise ses sorties en fonction des étapes de cette migration. Il a naturellement tendance à pêcher plus en aval en début de saison, pour peu à peu remonter le cours de la Durance. Nous gagnons les berges caillouteuses de la puissante rivière pour une pêche de pure prospection. Andy ne s’encombre pas: un waders, un chest-pack, quelques boîtes de leurres, une canne spinning de 2,13m (5-21g) ainsi qu’un moulinet garni d’une tresse en 10/100.
Les chevesnes aussi
Il va chercher les aloses, certes, mais ne s’interdit pas de cibler d’autres espèces. «Le niveau est assez bas et les aloses seraient plus mordeuses si ça poussait un peu plus, précise-t-il. Mais il sera sans doute possible de cibler aussi de beaux chevesnes.» Le parcours est une alternance de grandes gravières, d’eau lente et de zones profondes et courantes. Andy a une approche très active, venant presque tous les jours sans pour autant s’éterniser. Il pêche en descendant, peignant minutieusement les veines d’eau profondes à la recherche des aloses, pour se concentrer sur les chevesnes en fin de pool, avec le même leurre. S’il préfère le poisson-nageur, le vent l’oblige à choisir une petite ondulante argentée pour la précision et la distance. Andy attaque juste en aval d’une retenue, prospectant minutieusement chaque veine d’eau, multipliant les dérives, mais à des profondeurs différentes.
En attendant...
«Sur les zones rapides, je peigne la colonne d’eau de haut en bas, avec des animations nerveuses, des twitches très secs, m’explique Andy. Mais pour le moment, les aloses ne sont pas actives…» Il préfère alors se concentrer sur le chevesne. L’approche est différente, juste sous la surface et bien plus discrète, en évitant toute animation agressive. Le temps de se régler et déjà, c’est la première tape ! Un petit chevesne d’une vingtaine de centimètres qui retrouve aussitôt son élément. Quelques minutes plus tard, un autre poisson semble plus correct. Andy livre un combat délicat afin de ne pas effaroucher d’autres individus. Et un beau sujet, bien en chair, rejoint la plage de galets.
Pêcher plus léger
L’activité retombant, Andy décide de changer de secteur et traverse la Durance. «C’est pour pouvoir pêcher plus léger, vent dans le dos, se justifie-t-il. Je reste sur le chevesne mais je vais tranquillement regagner une zone de passage et de stabulation des aloses qui ne devraient pas tarder à mordre.» Il opte pour un petit minnow coulant, adapté à la pêche dans les courants, privilégiant les lancers trois-quarts amont. La luminosité de cette fin de journée envahit peu à peu les berges de la rivière et Andy multiplie les lancers sur les courants où il observe, de temps à autre, quelques gobages sporadiques. Scion vers le bas, il joue avec le courant, toujours avec discrétion. Stratégie très vite gagnante puisque, à peine quelques minutes plus tard, il enregistre une belle touche en début de récupération.
Les aloses, enfin
Le chevesne oppose son poids pour rester dans le courant avant de céder. «Maintenant, on va s’attaquer aux aloses, qui ne vont pas tarder à bouger, annonce fièrement Andy. Il y a un beau pool en aval, plus creux et disposant d’une belle arrivée de courant…» Jusqu’à présent, il avait choisi la finesse avec une pointe de fluorocarbone en 22/100. En se concentrant sur l’alose, il doit revoir ce choix à la hausse (25/100) car, en fonction de la taille de certains sujets et de la puissance du courant, les combats peuvent être sévères. Changement de leurre aussi pour un suspending blanc de 8cm. Andy explique que ce leurre, dans moins d’un mètre d’eau, développe une nage imprévisible sur les twitches opérés canne basse, grâce à sa fine et courte bavette. Et le voilà reparti pour une minutieuse prospection des eaux bleues de la Durance. Le vent commence gentiment à baisser, ce qui facilite la visualisation d’éventuels indices en surface. Il lui faut néanmoins une bonne vingtaine de minutes pour enregistrer une première touche. Hélas, dès la prise de contact, le poisson se décroche. Mais il lui suffit de quelques lancers pour enregistrer une nouvelle touche. Et rien à voir avec un chevesne, le combat n’est pas sans rappeler ceux de certains poissons de mer. Une vraie torpille sonde et dévale, obligeant Andy à jouer du frein. Après plusieurs rushes, des éclairs argentés laissent entrevoir une superbe alose de Méditerranée. La photo est vite expédiée car ces poissons sont assez fragiles, d’autant qu’il ne faut pas perdre trop de temps, les phases d’activité pouvant être réduites.
Un soir de folie
Mais parfois c’est l’inverse et Andy me raconte ce coup du soir où il avait fini par enlever les hameçons pour simplement sentir les touches. «Même sans hameçon, j’ai remonté une alose avec le leurre en travers de la bouche, se souvient-il ! J’en ai même prises au popper.» Le vent est maintenant tombé. Sur la queue du pool, Andy enregistre une touche franche. Le poisson semble costaud et notre pêcheur reste attentif, tant la défense de ces migrateurs est vive et imprévisible. Une magnifique alose laisse apprécier quelques secondes ses beaux reflets argentés mêlés de rose, de bleu et de violet avant qu’Andy la libère. C’est que si notre sortie s’arrête là, son long voyage, lui, est bien loin d’être terminé.
Une espèce à part entière
L’alose feinte de Méditerranée (Alosa agone) est une espèce totalement endémique qui se distingue de la grande alose (Alosa alosa) et de l’alose feinte (Alosa falax) qui peuplent la majorité de la façade atlantique. On l’appelle parfois alose feinte du Rhône tant c’est sur ce fleuve que l’essentiel des populations est concentré. Il existe aussi une population cantonnée sur le bassin oriental corse qui présenterait des différences génétiques fortes avec l’espèce rhodanienne.