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Amazonie : les dents du Xingu

Sur les terres du peuple Kalapalo coule le légendaire fleuve Xingu. Ouvert depuis peu à la pêche sportive, ce biotope réserve bien des surprises!

Minuit, tout au nord du Mato Grosso. Devant les phares du vieux pick-up s’envolent des nuées d’oiseaux de nuit. Une paire de tapirs ou un loup à crinière traversent le chemin de terre. Cela fait six heures que nous roulons (après trois avions) vers le village de Tanguro. Pas de doute, nous sommes au bout du monde.

Les bords du Xingu regorgent de vie. Les grands vols de papillons font partie du paysage en permanence et, comme ils sont friands de mucus de poisson, ils s’invitent souvent sur les bateaux quand la pêche est bonne !
Crédit photo : Bill François

Un lieu unique

Je me suis retrouvé là par un véritable concours de circonstances. En déplacement professionnel au Brésil, je souhaitais en profiter pour partir quelques jours à la rencontre des carnassiers amazoniens qui me faisaient tant rêver. Quelques messages sur les réseaux sociaux plus tard, j’entrais en contact avec Gabriel Melazo, un pêcheur brésilien passionné. Gabriel venait d’obtenir un accord avec les Indiens Kalapalo pour pratiquer la pêche sportive sur leur territoire, au bénéfice de leur communauté, et en suivant des règles environnementales très strictes : 100% no-kill, pas plus de deux bateaux par semaine... Obtenir un tel partenariat au cœur de la réserve indienne est rarissime. La zone n’avait jamais été pêchée auparavant, à part par les Kalapalos. Je ne pouvais pas y croire lorsqu’il me proposa d’explorer cette zone de pêche avec lui, et d’être le quatrième non-Amérindien à pêcher sur cette partie du Xingu ! Peu avant le lever du soleil, je suis réveillé par le groupe électrogène. Grâce à ce générateur, nous avons quatre  heures d’électricité par jour, et la lumière tôt le matin. L’occasion d’admirer le travail formidable que Gabriel et ses amis Kalapalos ont effectué pour faire des deux huttes indiennes où nous logeons, un lieu tout à fait confortable, au charme unique. Mais pas le temps de trop traîner, car c’est l’heure de partir en pêche.

Pendant que l’on attend la touche sur les cannes au posé, une prospection au manié ou au leurre rapporte de belles surprises.
Crédit photo : Bill François

Premiers poissons

*Tôt le matin, nous commençons par prospecter la grande fosse située à moins d’une minute du village. Trois cannes sont calées avec de gros poissons morts, et pendant que l’on attend la touche, je monte une ligne pour pêcher à la tirette avec une tuvira, sorte d’anguillon local. L’activité ne se fera pas attendre. Contact pris avec le fond, deux petites animations, et un poisson furieux m’arrache 10 m d’un coup. Puis, il tourne et bondit en surface. C’est une corvina, un maigre d’eau douce, de plus de 5 kg, que nous relâchons rapidement. Au lancer suivant, une touche discrète interceptera la tuvira à la descente. Combat nerveux, tout en coups de tête, et je mets au sec ma première cachorra, le fameux poisson vampire. Il s’agit de la plus petite espèce, la cachorra sabre, mais elle fait déjà un bon mètre. À peine ai-je relâché cet animal étrange que la canne au posé la plus proche de moi se plie soudainement. Cette fois, un poisson de fond est au bout !

La plus grande cachorra (« Hydrolycus armatus ») prise lors de ce séjour, de près de 12 kg, a mordu sur une tête de poisson destinée aux jaus, au moment où on la remontait à toute allure pour changer de poste. Une version rudimentaire du « mort manié ». Les dents de ce poisson sont si longues qu’elles s’insèrent dans des orifices situés dans la mâchoire supérieure, lorsque l’animal ferme la bouche.
Crédit photo : Bill François

Le jauzao

Cela fait moins d’une heure que nous pêchons et je suis déjà attelé à un monstre du Xingu qui tracte notre canot à travers le courant. Lorsque j’avais vu les ensembles lourds en 30 lb, tambour tournant, j’étais un peu sceptique… En France, ce matériel est réservé à la pêche des thons. Néanmoins, dès qu’il a fallu brider le gros poisson-chat pour l’empêcher de gagner son refuge de branches immergées, j’ai tout de suite compris. Ce n’est pas une pêche de finesse, il faut peser de tout son poids pour déséquilibrer la bête. Au bout d’une trentaine de minutes d’efforts, mon poisson est en pleine eau. Le Nylon est effiloché, mais il tient. Un chapelet de bulles perce la surface : comme les silures de chez nous, le poisson « dégaze » en vidant sa vessie natatoire pour tenter de replonger à l’approche du bateau. C’est sans doute un « jau », un poisson-chat local. La tête de celui-ci perce soudain la surface, et il reprend 20 m de Nylon d’un coup. C’est même un jauzao, un « maxi jau » ! Quelques rushs plus tard, Gabriel saisit enfin la bête par les nageoires pectorales. Quand l’animal retombe au fond du bateau, nous laissons éclater notre joie : avec 144 cm pour plus de 65 kg, il s’agit du plus gros jau jamais vu dans le secteur ! Nous admirerons longuement ce monstre étrange, en le maintenant dans l’eau au niveau d’une petite plage pour le réoxygéner. On dirait un silure glane qui aurait fait du tuning, avec ses ailerons pointus, sa curieuse nageoire adipeuse et son immense nageoire caudale. Quelle émotion de se baigner avec un tel poisson pour le regarder s’éclipser dans les eaux troubles. La pause sera de courte durée : le soleil est maintenant plus haut dans le ciel, il est temps d’aller pêcher l’aïmara !

Appelés « trairaos » en portugais, les aïmaras (« Hoplias aimara ») sont en embuscade dans les eaux stagnantes. Ils tolèrent des taux d’oxygène très bas car ils peuvent respirer de l’air. Ils sont même capables de ramper hors de l’eau d’une pièce d’eau à une autre.
Crédit photo : Bill François

Les préhistoriques aïmaras

Le spot à aïmara est à cinq minutes de la fosse, mais c’est un tout autre biotope. Dans cette lagune, la profondeur n’excède pas le mètre. Les aïmaras se cachent dans l’eau stagnante, sous des nappes de débris et de feuilles mortes. Il faut lancer au ras de leur abri, et animer avec lenteur. La difficulté est de rendre la main quelques secondes au moment où l’aïmara attaque, puis d’asséner un ferrage « de poney ». J’en manque plusieurs, déconcerté par la brutalité des touches. Toutefois, quelle satisfaction lorsque je parviens enfin à ferrer un de ces prédateurs ! L’aïmara ne ressemble à aucun autre poisson. On croirait un fossile préhistorique, avec sa tête cuirassée. Son camouflage est parfait : même ses dents sont recouvertes de peau, aux couleurs de racines et de feuilles mortes. Une fois ferré, il enchaîne les chandelles et les départs violents. Le festival de touches durera jusqu’au déjeuner. Je n’imaginais pas pouvoir rencontrer autant d’espèces en une matinée. Mais Gabriel me dit que ce n’est qu’un début…

La cachara ou « sorubim » (« Pseudoplatystoma fasciatum ») a une robe aux motifs merveilleux. C’est un des plus beaux poissons de la région.
Crédit photo : Bill François

Des poissons familiers

La partie haute du fleuve Xingu présente des biotopes très variés. Si les vols de toucans et de perroquets sont là pour nous rappeler que l’on est en terre exotique, le comportement des poissons et les habitats qu’ils occupent ont, eux, bien des points communs avec ceux de nos espèces françaises. Nos carnassiers de France ont chacun leur équivalent amazonien, qui occupent la même niche écologique. Comprendre cette analogie aide à retrouver ses marques pour mieux pêcher en Amazonie. Le brochet du Xingu est l’aïmara. Comme notre Esox, il chasse à l’affût, posté dans des milieux encombrés. Le rôle du sandre est joué par la cachorra, qui, comme lui, chasse en bandes en profondeur. Sandre et cachorra partagent l’habitude de mordre leur proie avec leurs crocs de vampire, pour la blesser avant de revenir la dévorer. Cela rend leurs touches difficiles à détecter. Les piranhas, omniprésents, ont un comportement similaire à nos bancs de perches. En général, on cherche plutôt à les éviter, car ils sont sans pitié pour les leurres et les appâts. Bien sûr, l’équivalent du bass n’est autre que le fameux peacock bass, au comportement versatile et territorial. Un poisson qui appartient à la famille des Cichlidés, comme les Discus et autres Scalaires de nos aquariums. Son nom de bass est donc un abus de langage ; il n’est nullement apparenté au black-bass. Cependant, comme il occupe la même place dans l’écosystème, il a évolué pour avoir une allure et un comportement semblables.

Les peacocks du Xingu (« Cichla melaniae ») sont plus petits que l’espèce rencontrée, par exemple, en Colombie dans le Rio Negro (« Cichla temensis »). Ils dépassent rarement les 60 cm, mais compensent leur petite taille par une force sans pareille.
Crédit photo : Bill François

La maison des peacocks

Le lendemain matin, notre guide Edmundo a l’idée de prospecter un nouveau coin de méandres dans la forêt. Cela sent le peacock… Nous y passerons notre boîte de leurres, avant de comprendre qu’ils montent mieux sur un simple popper. S’ensuit un festival de touches en surface. Les poissons pris sont souvent suivis par deux ou trois autres individus qui cherchent à leur voler le leurre, jusqu’au bateau, ce qui nous permet de faire de beaux doublés ! Il existe des dizaines d’espèces de peacock bass, une par affluent de l’Amazone. Comme pour les truites sauvages, chaque rivière possède sa « souche », unique au monde, et très différente des autres. Ceux du Xingu sont des Cichla melaniae. Après le déjeuner, nous rendons visite à Kurikaré, l’ancien cacique du village, qui nous reçoit dans sa hutte. Sa famille me fait l’honneur de me couvrir de peintures traditionnelles à base de baies de rocou. Les Kalapalos sont un peuple accueillant. Ils ont gardé un mode de vie traditionnel, et cultivent juste ce qu’il leur faut de manioc pour se nourrir, complétant leur menu avec du poisson. Leur seule activité commerciale consiste à réaliser des colliers avec les coquilles d’un mollusque terrestre. Ils les échangent contre d’autres objets fabriqués par diverses ethnies de la région : coiffes de plumes, poteries, nattes, etc.

Les Kalapalos utilisent la peinture corporelle dans les rituels et comme crème solaire. Notre auteur a testé cette tradition pour vous !
Crédit photo : Bill François

Un peuple de traditions

Très bons pêcheurs, les Kalapalos ont de nombreuses traditions liées aux poissons. Kurikaré me montrera, par exemple, comment ils utilisent les dents de la cachorra pour réaliser une sorte de peigne avec lequel ils se griffent la peau jusqu’au sang, pour s’administrer des remèdes à base de plantes médicinales. Des millénaires de savoir-faire en lien avec la nature les ont dotés d’une culture très précieuse. Nos photos des prises du matin ont motivé l’un des pêcheurs du village, Sampaio, qui propose de nous emmener dans un de ses coins ancestraux, qu’il nomme « te saico », littéralement « la maison des peacock bass »! « Je te préviens, plaisante Gabriel, dans ma culture à moi, on ne tue pas les peacocks. » Après une heure de navigation en canot, nous atteignons la fameuse lagune de « te saico ». Cela dit, nos efforts y seront vains : pas moyen d’y faire monter le moindre peacock bass. Nous manquait-il le leurre adapté, ou n’était-ce pas la saison ? C’est le spot de la veille qui nous sauvera de la bredouille avec plusieurs beaux spécimens, au popper et au Shallow Shad Rap. Nous rentrerons juste à temps pour un coup du soir de folie.

Silures du soir

Le soir, l’activité des piranhas baisse enfin, et on peut proposer des appâts aux espèces qui, dans cet écosystème, jouent le rôle des silures. Il y a des dizaines de siluriformes en Amazonie, et tous ressemblent à un mélange de poisson-chat et de Pokémon. En plus de leurs allures surréalistes, ils font du bruit ! Dès qu’on les sort de l’eau, chacun a sa voix, et grogne, couine ou chante. La cachara est l’un des plus beaux, avec ses taches et ses rayures. Au manié, elle offre de belles touches, et il faut alors mouliner très vite car elle remonte immédiatement vers le bateau. Quand la nuit tombe, les jaus sont partout. Il faut les brider très vite pour les sortir des obstacles immergés. Deux fois de suite, ils casseront le fil dans les arbres, avant que l’on ne comprenne qu’il faut baisser la canne jusque dans l’eau pour éviter que le fil frotte sur les arbres immergés. Une fois cette astuce comprise, nous reprendrons les deux poissons précédemment perdus, qui avaient encore nos hameçons dans la gueule ! Le poisson-chat le plus impressionnant de la région est sans conteste la pirarara, le fameux redtail catfish. Et ce soir-là, j’ai eu la chance d’en toucher une de plus de 30 kg… Un vrai bolide qui alterne entre retours vers le bateau, en surface, et rushs de tracteur vers le fond. Au bout d’une longue lutte, ce poisson inimaginable apparaîtra au bateau. On aurait dit une créature d’un film de fantaisie. Ses couleurs sont irréelles, sa peau, lisse, très surprenante, et son bruit est indescriptible. Aux aboiements d’une voix douce succèdent des crissements de ses nageoires pectorales, comme une crécelle ! Rencontrer un pareil animal est un émerveillement inoubliable.

Le jau est longuement réoxygéné le temps qu’il reprenne des couleurs et reparte dans son abri.
Crédit photo : Bill François

Un paradis sauvage

Sampaio n’avait pas dit son dernier mot. Comme son premier poste n’a pas fonctionné, il me propose de m’en faire découvrir un autre. Cette fois, nous explorons un immense flat peu profond. Et quel spectacle ! Nous évoluons dans un véritable aquarium, avec des poissons par milliers, y compris des bancs entiers de peacock bass. Le spot est immense, et je n’aurai que peu de temps pour le prospecter, d’autant plus que les caïmans sont à l’affût et suivent le leurre presque un lancer sur deux. Mais Gabriel y retournera quelques semaines plus tard et y enregistrera des records. Le Xingu est un des derniers paradis de la pêche sportive en eau douce, avec des poissons complètement sauvages dans une nature intacte. Pourtant, il est en danger. Un barrage a déjà détruit une grande partie du bassin aval du fleuve, et de multiples autres projets le menacent. Au Brésil, des exploitations minières et agricoles grignotent sans cesse les terres des Indiens, avec parfois de véritables crimes contre l’humanité pour s’approprier quelques hectares. Sur la route du retour, je traverserai durant trois heures un paysage martien de poussière rouge, à perte de vue. La forêt est systématiquement brûlée, lessivée par la culture intensive puis abandonnée, pour déforester plus loin. Dans ce contexte, développer la pêche sportive, pour soutenir les communautés amérindiennes par une activité durable, prend tout son sens.

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