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Tout savoir sur la vessie natatoire des poissons

La vessie natatoire porte mal son nom. Elle n'a rien à voir avec notre vessie... et ne sert pas non plus à nager. Cet organe remplit en fait un grand nombre de fonctions chez les poissons, et les comprendre permet d'améliorer notre pratique de la pêche...

Vous l’avez forcément remarqué un jour en vidant une de vos prises : les poissons possèdent une poche remplie de gaz dans l’abdomen. La première fonction de la vessie natatoire a dû alors vous sauter aux yeux : comme tout corps plus léger que l’eau, la poche flotte. Tel un gilet de sauvetage interne, elle sert avant tout de ballast. La vessie natatoire permet aux poissons de monter ou descendre dans la colonne d’eau. Ils n’ont qu’à faire varier son volume, pour ajuster leur flottabilité, à la manière du gilet BCD des plongeurs sous-marins. Comme elle est située au niveau du ventre, les poissons doivent aussi se stabiliser avec leurs nageoires pour ne pas se retrouver à l’envers. C’est pour cela que les poissons morts flottent le ventre à l’air… Assurer la flottabilité est une fonction importante de la vessie natatoire, mais il en existe beaucoup d’autres.

Le brochet peut vider sa vessie et résiste donc mieux aux changements brusques de profondeur.
Crédit photo : Bill François

Le poumon des poissons

Lorsqu’il formula sa théorie de l’évolution en 1859, Charles Darwin remarqua que la vessie natatoire était remplie de gaz et émit l’hypothèse que nos poumons ont évolué à partir de cet organe. Avec les progrès de la paléontologie et de la génétique, on sait aujourd’hui que c’est l’inverse : la vessie natatoire est une évolution des poumons des poissons primitifs. Il y a 500 millions d’années, les groupes originels de poissons, qui étaient autant nos ancêtres que ceux des brochets ou des carpes, possédaient un poumon en plus de leurs branchies, pour capter de l’oxygène à la surface. Au cours de l’évolution, une lignée de ces poissons s’est adaptée de plus en plus à la vie aquatique ; leur poumon s’est transformé en une vessie natatoire. Ce sont les actinoptérygiens, ou poissons à nageoires rayonnées, dont font partie la plupart des espèces que nous pêchons. Un autre embranchement de poissons primitifs a, lui, conservé ses poumons : c’est la lignée des sarcoptérygiens.

Roulements de tambour

Quand on vit dans l’eau, une poche de gaz a de multiples utilités. En plus de stabilisateur, la vessie natatoire joue souvent le rôle de tambour. De nombreuses espèces comme les maigres, les grondins et les piranhas la frappent ou la compriment pour produire des sons. Elle leur sert également à entendre, faisant office de caisse de résonance pour mieux capter les bruits extérieurs. Plus de la moitié des poissons d’eau douce possèdent même un système d’osselets qui relient la vessie natatoire à l’oreille interne pour transmettre le son : l’appareil de Weber. Parmi eux, les siluriformes, mais aussi les characiformes (ordre du dorado, piranha et autres tétras), et les cypriniformes. C’est grâce à cet appareil que les poissons blancs possèdent une audition extraordinaire, la meilleure connue chez les poissons. Les poissons n’ayant pas de sens dédié pour mesurer la pression, on pense que la vessie natatoire leur servirait aussi à connaître indirectement la pression de l’eau, donc leur profondeur.

De nombreuses espèces de poissons-chats utilisent leur vessie natatoire pour émettre des sons. Et tous l’emploient pour en détecter.
Crédit photo : Bill François

Le souffle du silure

Comme c’était à l’origine un poumon, la vessie natatoire se forme au bout d’une excroissance de l’œsophage. Chez certains poissons comme les anguilles, les cyprinidés, les silures ou les salmonidés, un conduit pneumatique la relie toujours à l’œsophage. En d’autres termes, ces poissons peuvent remplir ou vider leur vessie natatoire en avalant ou crachant de l’air, par la bouche. D’où le fameux dégazage du silure, qui, lorsqu’il veut que son corps soit plus dense à la fin d’un combat, vide sa vessie natatoire, et l’on repère les bulles à la surface. On appelle ces poissons des physostomes, ce sont les plus primitifs des actinoptérygiens, ceux chez qui la vessie natatoire est encore la plus proche d’un poumon. Chez quelques espèces comme l’arapaima ou les lépisostées (alligator gar), la vessie natatoire est même encore capable d’absorber l’oxygène de l’air. D’autres poissons apparus plus récemment, comme les percidés, sont incapables de vider leur vessie natatoire. Chez eux, le canal pneumatique n’existe plus, et la vessie se vide ou se remplit à travers des échanges chimiques avec le sang. On les nomme des physioclistes. Ils n’ont pas besoin de remplir leur vessie en surface, mais cette évolution les rend vulnérables à la décompression.

Les perciformes comme le black-bass sont sensibles à la décompression, car leur vessie natatoire n’est pas connectée à l’œsophage.
Crédit photo : Bill François

SOS décompression

Si vous pêchez des poissons physioclistes en grande profondeur et que vous les remontez trop rapidement, ils n’ont pas le temps de dégonfler leur vessie et arriveront au bateau flottant le ventre à l’air, l’abdomen gonflé. Cela vous est peut-être arrivé avec des sandres en verticale en lac profond, ou encore des mérous ou des lieus. Pas de panique : il est toujours possible de les relâcher, à condition de pratiquer les bons gestes. Pour cela, deux options existent. La première consiste à redescendre le poisson vers ses profondeurs à l’aide d’une gueuze (monter un gros hameçon sans ardillon au bout d’un cordage avec un plomb, et secouer le plomb pour décrocher le poisson à la profondeur voulue). La seconde, plus délicate, consiste à percer la vessie natatoire. Il faut pour cela utiliser de préférence une aiguille creuse ou une épingle (mais à défaut la pointe hameçon fait l’affaire). On pique sous la nageoire pectorale, et le poisson se dégonfle tout seul, prêt à replonger dans les profondeurs. Attention, si une poche gonflée sort de la gueule du poisson, il s’agit de l’estomac et non de la vessie, et il ne faut pas percer à cet endroit. Le recours à la gueuze doit être employé en priorité, car il prend plus de temps mais est moins risqué pour le poisson. Même avec ces méthodes, la remise à l’eau de poissons pris en profondeur implique toujours un danger, car d’autres organes que la vessie natatoire peuvent être impactés par la pression. Il vaut donc mieux limiter ses prises dès que l’on observe que les poissons remontent en mauvais état.

Quand ce sont encore des alevins, saumons et truites de mer doivent remplir leur vessie natatoire à la surface de l’eau. C’est à ce moment-là qu’ils mémoriseront l’odeur et le fuseau magnétique de leur rivière, ce qui leur permettra d’y revenir un jour .
Crédit photo : Bill François

De multiples usages

Stabilisateur, poumon, organe sonore, capteur de pression… la vessie natatoire possède bien des usages pour les poissons. Les humains aussi ont su en tirer profit. Le collagène qui les constitue fut longtemps employé pour clarifier vins et bières – la Guinness en comprenait encore parmi ses ingrédients jusqu’en 2015. La vessie natatoire d’esturgeon servait jadis de colle utilisée en marqueterie et d’enduit pour la plupart des tableaux anciens qu’on voit dans nos musées. Plus étonnant, les anciens utilisaient les vessies natatoires des poissons pour confectionner des préservatifs, largement employés du XVIe siècle jusqu’au début du XXe siècle. Ils étaient même préférés à leurs concurrents en caoutchouc… et étaient si chers qu’on les réutilisait ! Le même matériau servait également à réaliser des pansements avant l’arrivée du silicone. Les vessies natatoires des poissons marins ont également sauvé bon nombre de sous-marins lors d’opérations spéciales. Se cacher sous les bancs de poissons-hachette, dont les vessies natatoires réfléchissent les sonars, est une astuce connue chez les sous-mariniers.

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