L’étude dans l’Aube a permis de mieux cerner les déplacements migratoires du brochet entre ses zones de repos, d’alimentation et surtout de reproduction. On ne parle pas ici de migration à l’échelle du saumon ou de l’anguille, mais de déplacements de quelques kilomètres sur un territoire donné. Mieux les comprendre permet de mettre en place des mesures de préservation adaptées et répond à la mission d’intérêt général des fédérations de pêche sur la protection des milieux aquatiques. L’étude commence en 2020. Elle est menée par Cédric Pradeilles (responsable technique de la fédération de pêche de l’Aube) et Basile Cousin (apprenti, chargé d’étude), quasiment à temps complet, avec le marquage de 42 brochets matures sexuellement, de 49 à 104 cm et de 745 g à plus de 7 kg.
Méthodologie
Les poissons sont prélevés par pêche électrique à l’aide d’un electrofishing boat, et équipés d’émetteurs acoustiques. Cette technologie très efficace dans le lit mineur est financée par l’UFBSN. Huit récepteurs fixes (des hydrophones) sont placés à des endroits stratégiques, leurs résultats sont complétés par un suivi mobile régulier. La télémétrie est définie sur un secteur précis, d’ailleurs ouvert à la pêche, sur les communes de Pont-sur-Seine et Marnay-sur-Seine, partie du fleuve non navigable. Quatre annexes hydrauliques ayant fait l’objet de travaux de restauration jalonnent le parcours. Température de l’eau, débit… De nombreux facteurs environnementaux sont aussi pris en compte. « Il y a eu d’autres études avec ce genre de protocole, mais pas sur un cours d’eau aussi dynamique que la Seine, précise Cédric Pradeilles. Et elles complétaient les effectifs de brochets sauvages par des poissons de piscicultures. Là, avec seulement des brochets issus du milieu, et 223681 détections, on a pu analyser des statistiques solides et pas seulement s’arrêter à de la description de comportement. »
Continuité écologique
En moyenne, les brochets ont parcouru 11,9 km, avec de grandes disparités puisque neuf poissons ont cumulé 25 km de déplacements. L’essentiel se fait en hiver, à l’approche de la reproduction. Il n’y a pas de différence notable entre mâles et femelles. « On remarque quand même que les individus plus âgés, qui ont au moins une expérience de la reproduction, vont d’un point A à un point B et ont un comportement moins exploratoire », note Cédric. Comme si les brochets savaient où aller, ils ont sans doute en mémoire les zones de reproduction des années précédentes. Les brochets répondent quand même dans l’ensemble à des schémas migratoires différents, il n’y a pas de déplacement type. Un sujet a par exemple nagé 70 kilomètres en un an (voir encadré). « On peut d’ores et déjà affirmer que les brochets ont besoin de la continuité écologique. De ce fait, ils doivent être pris en considération dans les travaux de restauration visant à rétablir cette continuité, note Cédric Pradeilles dans une synthèse de 85 pages. Étant considérée comme espèce vulnérable, et ayant une forte valeur halieutique, l’espèce pourrait ainsi être mise en avant dans les projets de restaurations de la continuité longitudinale afin d’inciter les acteurs locaux à agir. »
Crues et décrues
Cette mobilité obéit à des déclencheurs : les brochets se mettent majoritairement en mouvement lors d’une phase ascendante du débit, pour une température d’eau comprise entre 6 et 12 degrés, et plutôt lors d’une baisse continue et progressive de la température. En dessous de 4 degrés, le brochet ne bouge pas. En gros, c’est avant et pendant la crue que les carnassiers sont les plus mobiles, et ils se dirigent plus vers l’amont que vers l’aval. Un phénomène de montaison que connaissent de nombreuses espèces. D’où l’importance là encore de « maintenir des débits fluctuants, même lorsqu’ils sont contrôlés. Il doit y avoir une logique naturelle d’augmentation et de diminution » pour apporter les bons stimuli de la reproduction.
Une synthèse
Les résultats du département de l’Aube doivent maintenant être synthétisés avec ceux des trois autres départements, d’ici la fin de l’année, pour comprendre les différentes problématiques selon les typologies des milieux. « Dans l’idéal, ce serait bien que ces études se répètent pour confirmer certaines hypothèses et renforcer les analyses », abonde Cédric Pradeilles.
Un brochet marathonien ?
Les chiffres de l’étude sur un an montrent qu’un brochet a parcouru plus de 70 km. Cédric Pradeilles avance plusieurs explications. D’abord, il y a sans doute d’autres sujets qui ont parcouru autant ou même plus de distance, mais ils sont sortis de la zone d’étude qui s’étalait sur un linéaire de 14 km. Peut-être que ces poissons ont aussi fait des erreurs avec des petites crues qui leur ont fait croire qu’il était temps de trouver une zone de frayère. Enfin, Cédric croit (et on est nombreux à penser comme lui) que les poissons ont des traits de caractère différents. Certains sont plus explorateurs que d’autres, plus opportunistes, plus curieux, quand d‘autres sont plus casaniers et ne quittent pas trop leur poste.