Le terme tilapia est connu des pêcheurs sans qu’ils sachent vraiment à quoi il correspond exactement. Tous les tilapias sont des cichlidés endémiques des eaux douces africaines. Dans la grande famille des Cichlidae, qui rassemble plus de 1700 espèces, le tilapia du Nil compte parmi les plus grandes puisque les très beaux spécimens peuvent dépasser les 60 centimètres et les 4 kg. Cela fait de lui un poisson intéressant à rechercher à la canne d’autant plus qu’il se révèle très vigoureux une fois accroché à la ligne.
Le genre tilapia, probablement dérivé du terme « thlapi » qui désigne les poissons de façon générale dans certaines langues bantoues, était très vaste dans un passé encore récent mais il a été divisé en plusieurs autres genres, et notamment Oreochromis, qui concerne l’espèce étudiée dans ce 45e CCM. C’est un poisson au corps court et massif dont l’allure générale correspond bien à ce que l’on imagine lorsqu’on pense à l’ordre auquel il appartient : celui des perciformes. On retiendra notamment comme caractéristique principale la présence de nageoires dorsales et anales qui sont partiellement (voire complètement) séparées en deux parties : une partie antérieure à rayons épineux et une partie postérieure à rayons mous. On distingue assez facilement et rapidement le tilapia du Nil de tous les autres grâce aux rayures verticales très distinctes qu’on peut observer à tous les stades de son développement (du juvénile à l’adulte) sur l’ensemble de sa nageoire caudale. La coloration peut varier en fonction des facteurs environnementaux et alimentaires. Les nageoires dorsales et caudales du mâle ainsi que le bas du corps peuvent se teinter de coloris rose-rougeâtres au moment du frai.
Un Africain qui a conquis le monde
D’un point de vue strictement natif, il est originaire des grands fleuves africains et n’existait que sur les bassins du Nil, du Niger, du Sénégal ou de la Volta par exemple. Seulement voilà : ce poisson semble avoir des capacités d’adaptation presque surréalistes. À commencer par son milieu de vie, très peu exigeant sur le niveau d’oxygénation des eaux qu’il fréquente, il présente une incroyable tolérance aux conditions environnementales qu’on lui impose. De plus, et même s’il ne peut pas survivre longtemps en mer, il tolère également de très forts taux de salinité. Ajoutons à cela que, bien que se nourrissant originellement de phytoplancton et d’algues benthiques, il se révèle capable de faire ventre d’à peu près tout ce qui se présente à lui. Enfin, voilà un poisson qui est capable d’afficher un fort taux de croissance même avec un nourrissage faible en protéines, qui est peu sensible aux manipulations et aux infections parasitaires tout en étant résistant aux maladies.
Une chair appréciée et une reproduction facile en captivité complètent ce tableau idyllique pour en faire un poisson d’élevage quasiment idéal en particulier pour les pays en voie de développement des zones tropicales aux exigences sanitaires pas toujours très poussées. Tout ceci explique qu’on surnomme souvent ce tilapia du Nil le « poulet aquatique » et que les introductions à travers bon nombre des eaux douces de notre planète se soient vite multipliées volontairement ou par échappement des fermes d’élevage. D’aucuns le considèrent aujourd’hui comme l’espèce de poisson la plus invasive du monde car, malheureusement, cela se fait souvent au détriment de la biodiversité à cause de sa capacité à supplanter les espèces indigènes ou de ses dispositions à s’hybrider avec elles.
Écologie et comportement
Si son corps est robuste et massif, la tête est plutôt petite, tout comme sa bouche, qui est ainsi adaptée à son mode de nourrissage natif à base d’algues, d’insectes et de larves. Les aquariophiles qui l’ont eu comme pensionnaire le savent bien : il mangera systématiquement toutes les plantes qui décorent un bac, même les plus résistantes. En plus de sa grande plasticité et sa capacité d’adaptation, il possède bien d’autres atouts qui concourent à renforcer sa prédominance. Par exemple, au niveau de sa reproduction puisqu’il peut faire plusieurs pontes annuelles, jusqu’à une par mois si la température de l’eau dépasse 20 °C (idéalement 24 °C). D’autre part, sa descendance est fortement protégée puisque les œufs sont d’abord pondus dans un nid (une simple dépression circulaire creusée dans le sable) farouchement défendus par le mâle puis rapidement abrités dans la bouche de la femelle (parfois plus de 200 œufs) jusqu’à ce qu’ils éclosent et que les alevins terminent d’absorber leur sac vitellin.
Le tilapia du Nil aime vivre en groupe, parfois important. Il est capable de survivre et de se reproduire dans des eaux dégradées où quasi aucune autre espèce ne parvient à se maintenir. J’en ai ainsi vu des bancs entiers dans de pauvres petites rivières noires et puantes qui traversent les mégapoles de Taïwan. J’en ai pêché, ils étaient combatifs, superbes et paraissaient en pleine forme. Pour autant mon guide m’expliquait qu’il ne fallait surtout pas les manger… Cette extraordinaire adaptabilité en fait un des poissons les plus invasifs du monde et il cause souvent des dégâts, comme à Madagascar, où son introduction a sonné le glas de nombreuses espèces endémiques. D’autres pays d’Afrique comme la Zambie, l’Afrique du Sud ou le Malawi ont interdit toute nouvelle introduction mais il est souvent déjà trop tard.
Pêcher le tilapia du Nil
Le fait que le tilapia du Nil s’alimente de façon très éclectique est bien entendu un avantage pour les pêcheurs qui le recherchent à la canne car ils peuvent lui proposer toutes sortes de techniques. Ainsi, au cours de mes nombreux voyages de pêche à travers le monde, j’ai pu voir les pêcheurs le capturer avec d’innombrables stratégies en fonction des traditions ou des particularités locales. La plus fréquemment observée est probablement la pêche au ver, avec parfois des cannes extrêmement rudimentaires, en eschant communément des vers de terre car ce sont souvent les plus accessibles. Mais j’ai aussi vu l’utilisation de longs vers à bout plat qui vivent dans les papyrus comme, par exemple, dans les marais du Botswana. De nombreuses autres esches carnées fonctionnent également très bien comme des asticots, des larves ou des crevettes (très utilisées en Asie) mais aussi des tronçons de saucisse cuite ou des croquettes pour chien.
Les appâts d’origine végétale sont tout aussi efficaces. Il peut s’agir d’une simple bouchée d’algues filamenteuses récoltées sur les cailloux de la rivière mais également du blé, du riz ou du maïs à l’état de graines ou de farines. Le pain est aussi régulièrement la source de techniques à base d’amorçage à la pelote et d’eschage avec des petits carrés de pain sur des hameçons à proximité immédiate de la pelote. En Thaïlande, j’ai pu voir un vieux pêcheur capturer ces tilapias avec une stratégie originale : sa ligne à main supportait une belle pelote ressort amorcée au pain, juste en dessous était tendue une sorte de voile en filet très fin. Lorsqu’il sentait que « ça tapait » dans la pelote, il remontait sèchement sa ligne avec parfois un tilapia empêtré dans les mailles. Je suis resté un très long moment avec lui et quand je suis parti, il avait une dizaine de très beaux tilapias du Nil de 200 à 1 500 grammes. Si toutes ces tactiques concernent essentiellement des pêches locales souvent de subsistance, les pêcheurs sportifs trouvent aussi facilement leur bonheur avec ce poisson car il mord très bien avec toutes sortes de mouches artificielles à base de nymphes et d’imitation de larves. Il s’intéresse également à de nombreuses familles de leurres pourvu qu’elles restent de petites tailles. Pour ce qui est de mon expérience personnelle, les petits leurres métalliques type cuillers tournantes, ondulantes ou lames vibrantes sont les plus efficients. Le record du tilapia du Nil (Oreochromis niloticus) a été établi en Afrique australe dans l’Est du lac Kariba près de Antelope Island, le 5 septembre 2002 avec 6,010 kg. Cette espèce occupe une grande partie de la planète, alors record à battre : à vos cannes…