6 février 2023. Damien Combrisson est au bord du lac de Serre-Ponçon, à son plus bas niveau. Face au scientifique du parc national des Écrins, chargé de mission sur la faune invertébrée, s’étalent des essaims de moules. Et là, sous le limon, au milieu des zébrées présentes depuis une douzaine d’années, Damien observe pour la première fois sa cousine, elle aussi désignée espèce exotique envahissante : la moule Quagga, plus coriace que la zébrée, qu’elle finit souvent par supplanter. Elle mesure 35 millimètres, sa taille adulte, à trois ans. « On estime donc que l’espèce est apparue sur Serre-Ponçon en 2019 ou 2020, explique le premier témoin de l’érosion de la biodiversité dans l’un des plus beaux parcs naturels français. La moule Quagga vient d’Ukraine, du delta du Dniepr. On est en tête du bassin versant, donc on imagine que son origine sur le plan d’eau est d’ordre anthropique, c’est-à-dire liée à l’homme. » L’hypothèse la plus probable est que des moules ont été transportées par des bateaux : soit des adultes fixées aux embarcations, soit des larves microscopiques cachées dans les reliquats d’eau des moteurs thermiques, par exemple.
La progression de la moule Quagga
La moule Quagga a été identifiée pour la première fois en France en Moselle en 2011. Elle colonise ensuite la Meuse (2012), le Rhin (2014), l’Escaut (2015), la Saône (2016), le Rhône (2017), le lac du Bourget (2019), le lac de Nantua (2022) et maintenant celui de Serre-Ponçon…
Le danger
« La Quagga, comme la zébrée, est une très bonne filtreuse, reprend Damien Combrisson. Donc une des conséquences est que la transparence de l’eau augmente. Un maximum de lumière peut entrer et la végétation aquatique se développe. Cela modifie l’écosystème. Certains y trouvent leur compte, notamment pour la fraie de certains poissons. Mais il y a des risques réels d’encrassement biologiques. » Les moules peuvent en effet s’accrocher aux deux espèces d’anodontes autochtones, classées vulnérables sur le lac, et les étouffer. Stéphan Jacquet est directeur de recherche pour l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement. Il multiplie les plongées en bouteille sur le Léman et le Bourget. « Elles se fixent partout, témoigne Stéphan Jacquet. Ce sont des amas qui colonisent les rochers, les sédiments, les épaves, les infrastructures. Une moule peut aussi servir de support… à une autre moule. » On vous conseille d’ailleurs une vidéo sur YouTube, tournée en subaquatique, pour se faire une idée de l’impact de la Quagga. On y voit une écrevisse signal porter difficilement une vingtaine de moules sur le corps. « Aujourd’hui, on ne peut que constater sa présence, soupire Stéphan Jacquet. Il est impossible de l’enlever. Alors on l’étudie, on mène des recherches pour mieux comprendre ses capacités de reproduction et d’adaptation. Les États-Unis sont aussi touchés (depuis 1989 sur le lac Érié), ils ont 15 ans d’avance et n’ont pas trouvé de solution… Et ils estiment que cette moule coûte chaque année plusieurs centaines de millions de dollars. »
Seule la prévention...
Mais revenons à Serre-Ponçon. Ce premier signalement en région PACA inquiète, car c’est maintenant tout un territoire qui est menacé. L’OFB et le syndicat mixte prennent le relais. L’enjeu est d’éviter que d’autres plans d’eau soient touchés. L’été, la fréquentation du lac est à son maximum. Les autorités vont donc informer les usagers du lac avec des tracts et des tournées, pour leur demander de laver leurs embarcations. Côté pêche, on suit l’affaire de près. « La moule Quagga peut être hôte de certains pathogènes. Surtout, nous n’avons déjà pas une quantité de plancton phénoménale, alerte Vincent Duru, directeur de la fédération des Alpes-de-Haute-Provence, cogestionnaire du lac avec la fédération des Hautes-Alpes. Quand on abaisse la charge trophique, on diminue la population piscicole. Cela peut être une menace sur le corégone, par exemple, et par rebond, sur le brochet ou la truite lacustre. » La fédération de pêche voisine ne veut pas verser dans le pessimisme. « Ce qui sauve le lac, c’est son marnage, fait remarquer David Doucende, chargé de mission pour la fédération du 05. En hiver, les moules qui se retrouvent à l’air libre meurent. On n’a pas vu de différence notable niveau pêche et certains poissons, comme la perche, l’ont intégrée à leur régime alimentaire. » Une campagne de communication est tout de même prévue auprès des pêcheurs à travers les réseaux sociaux et les newsletters. On compte sur vous pour donner l’exemple si vous êtes dans le coin dès cet été !
Comment les pêcheurs peuvent-ils agir ?
Voici les recommandations déjà en place sur le lac du Bourget. Pour toute embarcation à la sortie de l’eau :
- laver la coque, le moteur, les cordes, l’ancre et les pare-battages à l’eau très chaude (minimum 40°C) ou à haute-pression ;
- faire tourner le moteur quelques secondes à terre ;
- vidanger complètement les eaux résidentielles et de fond de cale ;
- laisser sécher l’embarcation et ses équipements ;
- si possible, attendre 4 jours avant la mise à l’eau dans un autre lac