Il est nécessaire de bien faire la différence entre eaux « teintées » et eaux « sales ». Ces dernières n’autorisent aucune technique et forcent le pêcheur à rechercher d’autres parcours plus clairs. Contrairement à des eaux teintées ou « piquées », nous n’y apercevrons aucun élément du fond en milieu de lit comme en bordure. En dehors de l’activité humaine (lâchers de barrages, travaux sur le lit du cours d’eau), deux facteurs principaux peuvent être la cause d’une coloration soudaine. Les rivières sujettes à la fonte des neiges dévalent souvent de fortes pentes au milieu des vallées alpines ou en régions montagneuses. Généralement, elles se parent de couleurs bleutées à verdâtres à l’arrivée du printemps quand le soleil réchauffe assidûment les sommets. Très froides à cette période, leurs eaux ont tendance à ralentir fortement toute évolution de la faune benthique et donc, par la suite, à « caler » nos partenaires de jeux qui ne s’alimenteront que de manière sporadique. Ici plus qu’ailleurs, il faudra se creuser les méninges pour déclencher quelques touches… La pluie, quant à elle, peut se manifester toute la saison. Elle implique une montée plus ou moins rapide des niveaux d’eau et une teinte beige à marron qui s’amplifiera en fonction de la durée et de l’intensité de la perturbation. Ce phénomène doit nous amener au bord de la rivière surtout après une période de manque d’eau… Les températures à la baisse comme l’apport soudain d’oxygène requinquent les poissons. Les eaux ruisselantes transportent avec elles toute une manne de nourriture d’origine terrestre qui vient s’ajouter au menu des salmonidés. C’est alors un véritable « banquet aquatique » qui s’offre aux truites et il n’est pas rare de rencontrer à ces moments précis des poissons actifs et bien ventrus. Si la pluie s’intensifie, il faudra rester attentif à tout changement brutal du niveau de l’eau surtout en aval des barrages.
Adapter ses montages
Par rapport aux eaux claires, pêcher des eaux teintées demande quelques ajustements. En début d’épisode pluvieux, les pêches en sèche peuvent rester prolifiques et nous devons nous adapter pour garder notre mouche en visuel sur une surface qui se teinte progressivement. Afin d’augmenter la visibilité, j’aime utiliser des mouches foncées (ou comportant un repère fluo) qui pourront, par exemple, se substituer aux modèles plus clairs. Des artificielles claires avec des toupets fluo pour la vue du pêcheur et des tags sombres pour celle du poisson peuvent également être efficaces. Pour les nymphes, le concept est très similaire. Une imitation avec une bille noire en tête ressortira toujours mieux qu’une autre dans une eau chargée en matières. Nous pouvons également jouer sur les teintes d’autres parties du corps de nos nymphes. Même accompagnés d’une bille d’un coloris « classique », un abdomen et un thorax foncés ou noirs restent très visibles dans ce genre d’élément. Choisir d’utiliser un dubbing brillant pour le thorax voire un tinsel fin pour le cerclage peut favoriser le renvoi des quelques rayons de soleil perçant la couche d’eau et attirer ainsi l’œil des truites en maraude.
Choix des postes
Une des règles que j’aime respecter ici est celle de pêcher « au plus visible du moins visible ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Dans un premier temps, lorsqu’on arrive au bord de l’eau et que la clarté n’est pas celle qu’on espérait, jeter un œil sur les bordures permettra déjà de se faire une première opinion. Celles-ci seront toujours plus claires que le reste du cours d’eau car souvent moins profondes et abritées du courant principal. Parfois la rivière ne nous laisse que quelques petits centimètres entre cailloux et courant pour poser notre mouche mais cela peut suffire à optimiser sa session.
Taille, volume et poids des nymphes
Qui dit grande mouche dit forcément meilleure visibilité de la part de nos amis aquatiques. Sur les rivières françaises, nous tenterons par exemple des modèles sur hameçons de 14 au lieu de 16, de 12 au lieu de 14 ou encore de 10 au lieu de 12. De plus, sur un même type de mouche, augmenter sa taille permet de l’alourdir de manière conséquente grâce à deux billes tungstène tout en respectant les proportions cerques/abdomen/thorax et tête lors du montage. Ce modèle est très utile en eaux rapides quand les poissons se nourrissent dans la plus basse couche d’eau. En plus d’un effet vibratoire, les collerettes en cul de canard, perdrix ou encore flanc de cane viennent ajouter du volume à nos artificielles qui paraissent plus grosses une fois immergées. En eaux teintées, l’emploi de nymphes légèrement surlestées leur permet de rester plus longtemps dans le cône de vision du poisson. Celles-ci roulent sur le substrat plus lentement que la vitesse du courant offrant de belles bouchées facilement prenables. J’ai souvenir d’un guidage sur la Durance ou, ayant consulté la météo la veille, je savais que la pluie viendrait à notre rencontre à un moment ou à un autre. Ce fut chose faite en fin de matinée. La rivière se mit alors à monter doucement et à se teinter fortement. J’annonce à mon stagiaire du jour qu’il faut changer de nymphe, noue à sa pointe une grosse Pheasant tail noire en double bille tungstène et lui demande de cibler sa prospection sur des postes peu profonds près d’une digue rocheuse… Deux ou trois dérives plus tard c’est la touche. Le poisson est lourd. Il descend le courant, remonte, se cale sous une branche et se décroche. Une truite de plus de 40 cm sans aucun doute…
Incitatives à corps lisses
Et qu’en est-il des perdigones ? Ces nymphes incitatives aux corps lisses et scintillants sont devenues à la mode ces dernières années. D’une densité supérieure aux autres, elles percent facilement les couches d’eau et se mettent rapidement en pêche au niveau où se nourrissent nos salmonidés. Cette « descente accélérée » va à l’encontre d’une dérive de larve naturelle. C’est ce qui fait que je les préconise dans certaines situations précises et uniquement en potence sur des pêches de poissons actifs en nymphe au fil. Je remercie d’ailleurs au passage Grégoire Juglaret pour ses précisions sur les réels intérêts de ces mouches.
Oser d'autres imitations
Ces conditions particulières doivent nous inciter à sortir nos imitations de vers ou autres poissonnets de rivières. Tous les invertébrés terrestres et autres annélides deviennent un mets ordinaire lorsque le volume d’eau augmente, rendant nos zébrées peu hésitantes lorsqu’il faut s’en saisir. Les imitations en Worm chenille ou en plastique souple (type San Juan body) sont alors très prenantes dans ce cas de figure. Les chabots, vairons ou encore loches franches sont de véritables friandises pour les plus belles truites. Les streamers noirs ou foncés animés lentement vous permettront sûrement de tirer votre épingle du jeu sur les beaux sujets… Utilisés au fil ou à la soie, ils seront plus ou moins lestés en fonction de la technique choisie, du profil des postes et de leurs profondeurs, de la vitesse du courant et des types de rivières.
Placements et dérives
En action de pêche, même nos approches peuvent être remises en question. L’eau chargée en éléments fait office de barrière plus ou moins opaque entre le poisson et le pêcheur. En moyennes comme en grandes rivières il est alors possible de s’approcher un peu plus du poisson. De plus, nous pouvons changer nos angles d’attaque en pêchant plein travers ou trois quarts aval sur des parcours prospectés trois quarts amont voire plein amont en conditions normales. Sur des posés trois quarts amont, n’hésitons pas à prolonger les dérives sur l’aval en allongeant le bras. Certains poissons peuvent prendre plein aval aux derniers instants… C’est aussi le moment de faire valser quelques noyées foncées entre deux eaux sur des zones de courants réguliers et de se familiariser avec cette technique.