Élément principal de nos têtes plombées, cendrées, olives, lests d’équilibrage de nos leurres, le plomb est vraiment très utilisé par le pêcheur amateur. Son interdiction, souhaitée par l’Europe, et surtout la Suède, va entraîner de grands bouleversements. L’impact sera surtout économique, car la plupart des produits de substitution coûtent beaucoup plus cher. Quant à leur absence de pollution, elle n’est pas toujours avérée. Un mal pour un bien ? La Pêche et les poissons se penche sur ce dossier dans lequel des éléments sont parfois surprenants, avec des arguments peu fondés.
Un métal magique
Le plomb est relativement abondant dans la croûte terrestre, et on le trouve en majorité sous la forme d’un minerai appelé galène qui en contient en moyenne 86,6 %. Sa forme native est très rare à l’état naturel, mais il est associé à des sulfures ou des carbonates. Il s’agit d’un des métaux courants les plus denses avec une masse de 11,33 g/cm3 . Il est inoxydable et n’est attaqué que par les acides. Il assez mou et facilement façonnable sans outil industriel. Sa température de fonte pour atteindre l’état liquide se situe à 327,5 °C et il commence à se transformer en gaz à partir de 600 °C. On en trouve partout sur le globe ; la Chine et l’Australie représentent à eux deux la moitié de la production mondiale. La consommation annuelle de plomb à l’échelle de notre planète se situe à environ 7 millions de tonnes, dont 3 millions provenant des mines et 4 millions issus du recyclage. Pour le pêcheur, il ne présente que des avantages en permettant d’équilibrer facilement ses lignes, de lester ses leurres et de pouvoir lancer loin en pêchant profond. Élément inerte, le plomb possède un impact environnemental proche de zéro au sens où il ne provoque pas de modification majeure de l’écosystème sauf s’il est ingéré par des oiseaux à gésier. Cet organe broie leurs aliments, et le plomb se retrouvera transformé sous forme de particules assimilables par le système sanguin des volatiles et de leurs prédateurs. C’est bien là le drame !
Son usage depuis l'Antiquité
La plus ancienne trace de l’usage du plomb remonte à - 40000 ans dans des pigments recouvrant des tombes ou des dépouilles du paléolithique. Plus tard, à l’âge du bronze (-2 200 à -800 avant JC), il était utilisé pour colorer et émailler les céramiques, lester des filets, voire sceller des amphores. Sur les sites antiques romains, les canalisations d’eau étaient en plomb et l’acétate de plomb servait à conserver et sucrer le vin. C’est à partir de cette époque que l’on a découvert une maladie induite par celui-ci qui a été dénommée saturnisme au Moyen Âge. On s’en est longtemps servi pour faire de la vaisselle, des plaques de toiture et des gouttières. La toiture de Notre Dame de Paris était en plomb, les canalisations des fontaines du château de Versailles aussi. Son oxyde rouge, le minium, a été utilisé comme revêtement anticorrosion, et son oxyde blanc, la céruse, fut employé dans la peinture du bois. Il fut le premier constituant des fusibles, des caractères d’imprimerie et c’est son ajout au verre qui donne la brillance au cristal. De nos jours, on l’utilise toujours dans la fabrication de vitraux, mais c’est surtout dans l’industrie des batteries qu’il est le plus présent. Il a disparu de l’essence, des jouets (soldats de plomb), du maquillage, des peintures où il est désormais interdit. On le retrouve toujours dans le matériel de protection contre les radiations, les munitions de chasse et les lests pour la pêche ainsi que pour l’industrie. On estime la consommation actuelle à 200000 tonnes pour la France. 75 à 85 % partant à la fabrication de batteries. Aucun métal n’a un bilan carbone aussi bas avec une température de fonte peu élevée et un recyclage possible à l’infini.
Une utilisation dangereuse
Nous l’avons mentionné, le plomb est un métal inerte dont l’ingestion par un système digestif humain n’aurait quasi aucune incidence sur la santé puisqu’il serait expulsé par les voies naturelles. Là où il y a danger, c’est lorsque l’on ingère un composé contenant du plomb sous forme de particules fines ou de vapeurs. Lorsqu’il fond, il dégage des vapeurs assimilables par les poumons. En France, en 1996, 85 000 enfants de 1 à 6 ans étaient contaminés suite à l’ingestion d’anciennes peintures contenant du carbonate de plomb (céruse) ou oxyde de plomb (minium). En 2018, seulement 620 cas ont été déclarés par les autorités médicales. Ces peintures sont désormais totalement prohibées, et les cas de saturnisme infantile en nette régression. Pour le pêcheur, il n’y a aucun risque à manipuler des plombs ou des têtes plombées, car il faudrait ingérer des particules sur une très longue période en se léchant les doigts avant de voir le taux de plomb dans le sang monter. Un habitant d’une grande métropole possède un taux plus élevé à cause de la pollution qu’un pêcheur de la campagne. Ce métal est classé cancérogène, mutagène, toxique pour la reproduction, tout comme l’est la poussière de bois ou le sable, mais il n’est pas interdit de poncer un meuble ou d’aller à la plage !
Qui veut son interdiction ?
Étonnamment, la volonté d’interdire le plomb ne vient pas des autorités médicales. C’est un État européen, la Suède, qui en est à l’initiative. En 2018, cette dernière a demandé l’interdiction totale de ce métal à la commission européenne. Celle-ci a saisi son service scientifique se nommant l’European Chemicals Agency (ECHA) qui a conclu à une candidature du plomb au règlement REACH – un règlement datant de 2007 sécurisant la fabrication et l’utilisation de substances chimiques dans l’industrie européenne. Le comité d’évaluation de l’ECHA se base sur des études qui concluraient que 135 millions d’oiseaux en Europe seraient exposés au risque d’empoisonnement par le plomb dont 7 millions spécifiquement par les plombs de pêche. La LPO, à son tour, y va de ses chiffres avec une fourchette de 21 000 à 27 000 tonnes de plombs qui seraient répandus dans la nature européenne à cause de la chasse et la pêche. La Suède ayant été déboutée suite à la mobilisation des fabricants automobiles dont l’activité batterie représente 30 000 salariés pour un chiffre d’affaire de 5 milliards d’euros, elle s’est attaquée à une interdiction mais seulement en direction du tir sportif, de la chasse et de la pêche qui ne représentent qu’un petit pour cent en tonnage et en activité économique.
Et la pêche dans tout ça ?
Étonnamment, seuls les pêcheurs de loisir dits « sportifs » seront touchés par cette mesure. La pêche professionnelle utilisant des lests en plomb pour ses filets aurait droit à une dérogation. Seraient-ils meilleurs en politique et lobbying ? La consommation française de plomb pour la pêche de loisir est d’environ 1 000 tonnes/an dont 700 tonnes fabriquées en France, 200 tonnes importées et 100 tonnes bricolées par les pêcheurs eux-mêmes. Mais si cette loi passe, qui va contrôler le brave pêcheur sur ce sujet puisque vente mais aussi utilisation seront prohibées ? Et comment vérifier ce qui est à l'intérieur d'un leurre dur ou dans une tête plombée peinte ? Quelles seront les peines encourues par le contrevenant ? La pêche est une activité de loisir populaire et peu onéreuse pour une majorité de pêcheurs, celle-ci sera très impactée par toutes ces mesures d'interdiction, et il est étonnant que nos instances notamment associatives n'aient pas pris une position publique ferme sur le sujet. Face à nous, les animalistes et les défenseurs de l'environnement jubilent.
Quel est le calendrier ?
Selons nos sources, l'ECHA a validé en comité la recevabilité de l'exclusion du plomb en Europe. Le dossier a été déposé fin février à la Commission européenne qui doit désormais préparer le texte qui sera présenté pour vote aux députés européens. C’est dans ce cadre qu’une délégation des représentants des fabricants de matériels et professionnels de la pêche a été reçu le 28 avril 2023 à Bruxelles. Des scientifiques et parlementaires évaluent les requêtes et demandes de toutes les parties prenantes, pêche bien sûr, mais aussi chasse, tir sportif et naturalistes. À partir de maintenant, il faut compter au mieux 18 mois pour que le texte soit voté et publié au journal officiel de l’Europe. Souvenons-nous qu’il y a des élections européennes l’an prochain, la moitié des élus seront sûrement remplacés. Au plus tôt, le texte devrait donc être voté début 2025 avec une application immédiate pour les techniques utilisant des montages cassants, pour lesquels le lest est perdu à chaque fois. Un délai de trois ans serait accordé ensuite pour la vente et l’utilisation des plombs de moins de 50 g et de cinq ans pour les plus lourds, ce qui porte les dates à 2028 et 2030 pour l’interdiction totale du plomb en Europe. C’est à la fois loin… et en même temps demain !
Pourquoi 50 grammes ?
Le calendrier de l’interdiction prévoit à ce jour deux dates, une pour les plombs de moins de 50 g et une autre, deux ans plus tard pour les plus lourds. Vous allez sourire lorsque vous apprendrez d’où vient cette limite. C’est un cygne qui fixa la barre! Il avait en effet avalé un plomb poire de cette taille. Ce fut le plus gros jamais trouvé dans un oiseau… Dommage qu’il n’ait pas gobé un modèle grappin de 200 g ! Vous noterez que la démarche est très scientifique !
Témoignage : Jérôme Riffaud, chef produit Gunki
« Pour Gunki et le groupe Sensas, cette mesure impactera notre production et nous devons nous plier à la loi en proposant des produits aussi compétitifs mais sans plomb. Concernant les leurres, on peut remplacer les billes bruiteuses par de l’acier, du verre ou un autre alliage, les lests fixes d’équilibrages peuvent être remplacés par plusieurs métaux ou alliages métalliques. Il nous faut refaire tous les moules, ce qui coûte cher, et repenser toute notre gamme. Concernant les têtes plombées, cela nous paraît plus problématique, car aucun des matériaux envisagés ne possède autant de qualité que le plomb. Le risque, c’est que face à la hausse des coûts des produits, les pêcheurs se tournent vers l’e-commerce à l’étranger, Chine notamment, pour payer leurs équipements moins chers. Le bilan carbone de ces achats sera catastrophique et la possibilité de contrôle ou de répression sur le terrain difficile à mettre en œuvre par l’État et ses représentants ! »
Témoignage : Numa Marengo, responsable marketing Savage Gear
« Chez Savage Gear, nous connaissons bien le problème. Savage est en effet une marque danoise, or, au Danemark toute forme de plomb est interdite dans les articles de pêche ou de chasse depuis bien longtemps, jusque dans les fermetures éclaires des vêtements ! Nous sommes donc prêts, même si évidemment le plomb était jusqu’à présent la solution de facilité, car il est à la fois dense, malléable et bon marché. L’interdiction du plomb dans les articles de pêche semble inéluctable, et je vais dire la vérité: tant mieux ! Tout ce qui va dans le sens de pratiques plus vertes, dans notre loisir ou ailleurs, est bon à prendre. D’ailleurs, la quasi-totalité des acteurs industriels de la pêche en France se sont déjà fait les signataires d’une charte pour des packagings écoresponsables. Ils anticipent en cela sur la loi. Chez Savage Gear, on utilise déjà pas mal de zinc à la place du plomb, je pense aux leurres pour la truite de mer… Alors, bien sûr, c’est moins dense donc moins aérodynamique, mais c’est aussi plus planant. Le leurre est moins intéressant dans l’air pour le pêcheur, mais plus intéressant une fois dans l’eau. Aux chefs produits, comme Mads Grosell ou Markos Vidalis, de nous montrer leur talent ! »
Les produits de substitution sont-ils meilleurs ?
Difficile de répondre à cette question. Le zamac (zinc, aluminium, magnésium et cuivre), l’étain, le bismuth étain, le zinc, le tungstène et dans une moindre mesure l’acier peuvent être utilisés à la pêche. L’étain, bien que très cher, semble le seul à pouvoir remplacer les plombs fondus, car il est assez malléable. C’est aussi une piste pour les têtes plombées ainsi que le zinc, moins cher, mais leurs densités sont bien moindres. Le tungstène est très cher et nécessite un process industriel plus complexe pour sa mise en œuvre, mais il est plus dense. Le zamac semble mieux remplir les critères de substitution mais il est assez fragile. La piste d’une poudre de tungstène mêlée à une résine polyester est explorée et pourrait revenir sur le devant de la scène. Mais ces produits sont-ils meilleurs ?
Pour aller plus loin : les demandes des fabricants
Des membres de l’European Fishing Tackle & Trade Association (EFFTA) et du Groupement de l’industrie française d’articles de pêche (Gifap) ont été reçus à Bruxelles pour une audition le 28 avril 2023. Stephane Sence, Olivier Portrat, Jan Kappel, Jan Mertens, Istvan Pal ont longuement plaidé la cause des pêcheurs de loisir auprès de membres de la commission d’enquête et d’étude. Ils ont notamment demandé :
- le maintien de 3 à 4 % de plomb dans les lests des leurres durs ;
- l’exclusion pure et simple de cette interdiction des plombs n°8 à 13 étant donné qu’il n’y a pas à l’heure actuelle de possibilité technique de substitution. Cela ne concerne qu’environ 500 kg de ce métal vendu par an en Europe;
- une mise en application globale cinq ans après le vote afin que le marché puisse s’organiser et non à trois et cinq ans comme prévu aujourd’hui.
Pour aller plus loin : interview de Laurent Lécole, Directeur Général de la fonderie Lemer
La prochaine interdiction de ce métal à la pêche vous inquiète-t-elle ?
Laurent Lécole : Bien évidemment, la consommation moyenne de plomb en France pour la pêche est d’environ 1000 tonnes par an et la production de Lemer entre pour 400 tonnes dans ce total. C’est un tiers de notre chiffre d’affaires qui est impacté par cette interdiction à venir.
Qu’est-ce que le plomb représente pour vous ?
L. L. : Il y a quinze ans, nous étions huit fonderies de plomb en France, il n’en reste plus que deux. Sur un chiffre d’affaires annuel de 10 millions d’euros, la pêche représente 3,3 millions. 90 % de notre production part sur le marché européen.
En moyenne, en France, sept plombs de pêche sur dix viennent de notre fonderie. Que va entraîner cette interdiction dans votre entreprise ?
L. L. : À terme, une perte de savoir-faire, car le plomb de pêche se fait sur de petits moules avec des formes complexes et il faut maîtriser cette production délicate. Si nous devions changer, pour fondre autre chose, près de 50 % de notre chiffre d’affaires serait nécessaire à cette mutation. Est-il raisonnable de consacrer un tel investissement pour simplement le tiers de notre chiffre d’affaires ? Je risque de devoir remodeler mon entreprise et me séparer de personnel.
Travaillez-vous sur des substituts ?
L. L. : Oui, bien évidemment. Les fabricants de matériel de pêche nous demandent de leur trouver de quoi lester les leurres, armer les têtes plombées et équilibrer les lignes. Nous avons plusieurs pistes et nous y travaillons d’arrache-pied, mais la tâche est ardue tellement le plomb n’offre pour nous et pour les pêcheurs que des avantages. Ce métal dispose d’une filière bien maîtrisée, toute notre matière première vient des recycleurs français. Il possède un bilan carbone très bas puisqu’il se modèle facilement, fond à basse température et se recycle à l’infini. Son interdiction pour des motifs écologiques et de santé publique dans la pêche est dogmatique et peu documentée scientifiquement.